Les deniers du culte 


Outre qu'il nous apprend que les numismates curés des Baings de Montferrand, avaient réuni une belle collection de pièces de monnaies romaines et celtes, le rapport manuscrit du curé Delmas (1), rédigé en 1709, confirme la présence dans la région d'une quantité de mines : or, argent, fer, plomb, jayet (jais), ambre jaune... 
Mais, il nous apprend aussi que ce "petit curé" de campagne était fort érudit et savant en bien des choses, digne prédécesseur et peut-être même maître en ces matières archéologiques de son lointain successeur Henri Boudet.

Antoine Delmas naquit un 9 octobre 1644 et fut ordonné prêtre par Monseigneur Pavillon, lui-même. Connaissant l'extrême rigueur de ce haut prélat quant au choix des membres de son clergé, on ne peut que supposer qu'Antoine Delmas fut tout au long de sa vie d'une orthodoxie exemplaire.
Fait prêtre des mains du saint évêque en décembre 1669, il fut nommé aux Baings de Montferrand en novembre 1672. 
On peut donc, sans trop de risques d'erreurs, penser qu'il étudia à Alet et y fit de nombreux séjours auprès de son évêque qui convoquait très régulièrement les prêtres de son diocèse à des retraites et était particulièrement attentif à leur évolution intellectuelle.

En 1709, lorsqu'il rédige son rapport, Antoine Delmas a 65 ans et parlant à plusieurs reprises du "curé quy est a présent aux Bains" (nous allons l'évoquer un peu plus loin), on peut penser qu'il a pris une retraite méritée. C'est un homme âgé et qui fait preuve d'une réelle érudition. Il a lu César, bien sur, et ses "Commentaires sur la guerre des Gaules" et sûrement de nombreux autres ouvrages sur l'antiquité romaine, Gallo-romaine ou celtique. Il s'y entend parfaitement en matière d'études numismatiques et semble avoir au moins de bons rudiments ...d'alchimie !

Car n'en déplaise aux forts en thèmes, il écrit la phrase suivante :
 
"L'on voit sortir de temps en temps de ses eaux des bains du mercure, le minerai qu'on en retire est un sel alcali qu'on peut appeller le véritable nitre des entiens on le cognoist en ce qu'on voit gu'il fromante et bouilhonne avec les asides qu'on y mesle comme l'esprit de vitriol du souffre et autres. "


Phrase qui ne laisse guère de doute sur la qualité des lectures "philosophiques" de notre prêtre.

Couverture de l'ouvrage posthume de G. de Catel.
Hommage au berger Paris mais avant 1645 !

Son texte nous prouve aussi qu'il a lu Guillaume de Catel (1560-1626) et son "Mémoires de l'histoire du Languedoc" publié en 1633. Catel, donc bien avant l'arrivée de Nicolas Pavillon à Alet, avait noté les vestiges conservés dans l'église des Bains de Regnes. Preuve de l'intérêt déjà présent au XVe et XVIIe siècle pour les pièces antiques les plus remarquables trouvées sur le territoire de la commune. Catel avait soigneusement rapporté  une inscription placée sur un cippe de marbre blanc et gravée sous un certain "Pompeius Quartus".  Antoine Delmas  nous confirme bien la présence de ce piédestal dans le cabinet du curé, il sera plus tard lui aussi vendu et enfin sauvegardé plus efficacement. 

En dehors des prêtres de la paroisse, Alexandre Du Mège (1780-1862), nous signale que Monsieur l'abbé L'abbé Bertrand Capmartin de Chaupy (1720-1798), archéologue né près de Toulouse, aurait récupéré plus de 400 monnaies d'or et d'argent dans la région de Rennes ! M. l'abbé Bertrand nous a laissé quelques manuscrits sur la civilisation celte ou la langue humaine qui ont du fortement intéresser Henri Boudet
(3). Il a très certainement côtoyé Antoine Delmas.

Toujours selon M. du Mège, qui séjourna à Rennes-les-Bains, Messieurs Carbon et Montégut, conseillers au parlement de Toulouse ont rapporté de leur séjour à Rennes quantité de médailles et de pièces. 
Jean-François de Montégut (1729-1794) d'une famille de collectionneurs et d'érudit, possédait plus de 3 000 monnaies romaines dont bon nombre provenaient de Rennes-les-Bains et de nombreuses toiles de maîtres dont des Rubens et des Téniers. Lui aussi a connu Antoine Delmas.

M. Paul Urbain de Villecardet, comte de Fleury (1778-1836)
(2) avait également une belle collection de monnaies et de médailles, objets d'un petit musée. Il demanda à M. Du Mège de l'aider à expertiser l'ensemble de ces pièces.
En 1857, son fils Henri Paul-Elie se vit décerner la médaille d'Argent de l'Académie Impériale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse
(4) pour ses découvertes de Rennes-les Bains et pour la sauvegarde de deux roues et divers débris d'un char de bronze trouvés sur le territoire de la commune. 

Antoine Delmas a même offert une belle lampe sépulcrale au Président du Parlement de Toulouse, M. de Caulet !

Source : Bulletin de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude de 1934

Croire que ce phénomène des collectionneurs d'antiquité n'est vrai qu'au XVIIIè siècle serait méconnaître les fameux cabinets de curiosités créés dès le début du XVIè
Rien qu'à Toulouse, Pierre Borel
(5) note dès 1649 les collections de :

- Mr. Me N. de Puimisson, Conseiller, curieux de médailles, et de tableaux. 
- Le cabinet de François Filhol, Hebdomadier de l’Église Saint Estienne.
- Mr. Dirat, Sacristain de S. Estienne. 
- Mr. Clemens, Chanoine de S. Estienne, curieux des fleurs. 
- Mr. Catel Official. 
- Mr. Paucy, Conseiller. 
- Mr. de S. Ipoly, pour les émaux anciens. 
- Mr. Roc. 
- Le cabinet de feu Domairon, Cordelier. La Bibliothèque enchaisnée des Cordeliers. 
- Mr. de la Bourgade, Chanoine.  Mr. Charles Pradié. Mr. Boutonnier. Mr. de Fresals, Conseiller Clerc. Mr. du May. Mr. de la Combe, Audiencier à la grand Chambre, et Mr. Nicolas Choisy, marchand.

Et cela sans nommer ceux, nombreux de Castres, Carcassonne, Narbonne, Castelnaudary (c'est celui de Jean Fabre, l'alchimiste) qui regroupaient monnaies, médailles, tableaux et vestiges archéologiques divers.

Il faut donc bien comprendre, et pour cela les témoignages historiques ne manquent pas, que contrairement à ce que l'on peut imaginer, la commune de Rennes-les-Bains ne fut jamais totalement ignorée ou coupée du monde. Sa principale richesse, les sources chaudes fut toujours exploitée et cela peut-être bien avant encore la conquête romaine.
Mais les découvertes archéologiques nombreuses commencèrent à attirer les collectionneurs et connaisseurs dès le XVIe siècle et le curé très savant de Rennes, lAntoine Delmas a, durant sa longue présence sous l'autorité de Nicolas Pavillon, soigneusement collecté, annoté et parfois offerts jusqu'à Toulouse ses trouvailles.

On comprend donc que, la station thermale attirant du beau monde, on ne pouvait laisser officier à Rennes-les-Bains un prêtre peu instruit et incapable de discourir avec ses visiteurs. Rattaché au diocèse d'Alet, le mouvement des curistes (dont certains très riches) générait des dons qui profitaient à tous. Rennes-les-Bains étaient la commune la plus riche du canton de Couiza, et dégageait autant de revenus que celle d'Alet (6).
Certains de ces riches curistes décédés durant leurs soins et sous les bons hospices du curé des Bains et plus tard de l'aumônier furent très généreux pour leur dernier confesseur.
Henri Boudet suivit donc en cela ses prédécesseurs dont le plus remarquable reste le curé Delmas.

Mais le successeur même d'Antoine Delmas (qui tomba malade en septembre 1730 et s'éteignit le 20 juillet 1731 à l'âge respectable de 87 ans) doit être celui que le curé décrit dans son manuscrit comme procédant également à des fouilles et recherches et il se nommait Antoine Delmas (1674-1737)
(7) !
Ce probable neveu, souvent confondu avec son oncle, archéologue amateur lui aussi, fit donc enterrer son parent au pied de la grande croix du cimetière de Rennes-les-Bains et le suivit dans la tombe six ans après. Il n'en était pas moins un passionné d'archéologie lui aussi. Donnant de sa personne, il contribua à quelques belles découvertes lors de fouilles sur les chantiers de la commune.
Toutes les découvertes de ces deux hommes furent, à la mort du second Antoine Delmas, transmises à un parent, moine de Sorrèze.
(1)

La gourde du Ve siècle donnée l'abbé Boudet
Source : 
Bulletin de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude de 1934

Enfin, nous avons vu qu'Alfred Saunière fut membre de la commission archéologique de Narbonne, il est étonnant d'apprendre qu'Henri Boudet connaissait lui aussi très bien M. Henri Rouzaud qui fut Président de cette commission. 
M. Rouzaud fit de nombreux séjours d'étude à Rennes-les-Bains et Henri Boudet lui offrit plusieurs objets découverts sur le territoire de sa paroisse : Vases de terres, poteries et une magnifique gourde datée du Ve ou VIe siècle.

Rennes-les-Bains fut donc bien loin d'être une petite commune tranquille. Archéologues, numismates, antiquaires, chercheurs de pierres ou de fossiles, membres de sociétés savantes ont parcouru ses collines et bois. D'autre part, loin aussi d'être des prêtres discrets, détenteurs de secrets millénaires, les curés de la commune furent tout particulièrement connus à cause même de l'intérêt que portait l'ensemble des ses chercheurs d'antiquités à la commune mais également pour leur savoir et connaissances.

Le milieu des archéologues semble donc à ne plus négliger pour comprendre le réseau relationnel que tissèrent et les frères Saunière et les prêtres Boudet et Sarda.

Christian Attard

Notes et sources :

(1) Source Bulletin de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude de 1934 - Dc Paul Courrent : "Notice historique sur les Bains de Rennes...". qui retrouva un manuscrit souvent évoqué et en possession de la Société des Antiquaires de France, ancienne Académie celtique. Cet article fut déjà signalé sur le site de Patrick Mensior voir ici : http://jhaldezos.free.fr/lespersonnages/boudet/images/Boudet%20par%20Courrent.pdf
Voir ici sur le site d'Octonovo le texte de ce manuscrit


(2) La famille de Fleury fut propriétaire des Bains jusqu'en 1890.

(3) Voir le catalogue des manuscrits français de la BNF :
sous références : 
6494 : « Origines Celtiques. » -- 429 feuillets.6495 : « Religion Celtique : inscriptions et autres monuments. » 441 feuillets.
6496 : «Tableau des populations Celtiques.» 463 feuillets.
6497 : « Histoire des Celtes. » 435 feuillets.
6498 : « Gaule ancienne; géographie, topographie et histoire. » 369 feuillets.
6499 :. « Dissertation sur l'antiquité de Toulouse et des Volsques. » 338 feuillets.
6501 : « Essais sur la langue humaine. » 531 feuillets.

(4) L'abbé Boudet présenta son ouvrage : "La vraie langue Celtique..." à cette illustre académie qui dans son rapport de 1887, signé de M. Lapierre se montre très ironique.

(5) Voir l'article de Pierre Martin. «Pierre BOREL, 1649 : « Roolle des principaux cabinets curieux, et autres choses remarquables, qui se voyent ez principales Villes de l’Europe. Redigé par ordre Alphabetique ».

(6) Voir  : "La Situation financière des communes en France" présentée par M. Bihourd. En 1891, on estimait le nombre de 3000 curistes et visiteurs.

(7) Cette "transmission" familiale était assez fréquente car la paroisse assurait un revenu modeste mais sûr. Les Bigou firent de même à Rennes-Le-Château.

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