"L'heureux
des heureux" - 1
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Un beau
portrait de Nicolas Pavillon (Photo
et infographie Ch. Attard) |
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Depuis
quelques années, le nom de Nicolas Pavillon est, par construction
intellectuelle et sans la moindre preuve circonstanciée à l'appui, associé à des
marchandages sordides, des chantages royaux, des trésors passant de main en main sous Notre-Dame de Marceille. Ces
affabulations **
sont relayées par une multitude de sites sur Internet qui
ne semblent pas avoir pris la peine de la moindre vérification.
Il faut alors revenir sur la vie de celui qui
fut à plus d'un titre un grand homme, trop ignoré de notre temps. |
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Un autre portrait du XIX ° siècle de Nicolas Pavillon
(Photo
et infographie Ch. Attard)
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Nicolas Pavillon naquit le 17 novembre 1597 à Paris, il était le
petit-fils de Nicolas Pavillon avocat au parlement de Paris et poète à ses heures, et le fils
de Catherine de la Bistrade (alliée aux très riches familles Caqueray
et Coislin) et d'Etienne Pavillon, un correcteur en la chambre des comptes.
sa filiation nous est donc connue contrairement à ce que prétend
Alexandre Adler qui le suppose fils de Richelieu !!.(1)
Nicolas est un enfant appliqué, studieux profondément
épris de Dieu dès son plus jeune âge. Il fréquente le collège de
Navarre, très réputé puis étudie la théologie à la Sorbonne où n'
entrent que les meilleurs et ceux qui peuvent assurer le coût des
études. Il admire St Charles Borromée, St François de Sales.
D'une profonde piété, il se croit indigne d'accéder à la prêtrise qu'il
fut forcé d'accepter en 1627.
Comme M. de Comet poussa à s'exprimer dès sa prime jeunesse,
Saint-Vincent de Paul, le bon M. Vincent découvre à Saint-Lazare le jeune Nicolas
venu y parfaire sa formation et il le pousse à vivre et
s'accomplir dans sa foi. Il lui confie catéchismes, séminaires,
conférences, retraites ecclésiastiques...
Pourtant
Nicolas Pavillon se juge incapable d'accepter le petit évêché d'Alet
qui vient de lui échoir sur la volonté de Richelieu en 1637 (2) et tombe alors dans une profonde mélancolie.
Seuls les mots de Saint Vincent lui disant : "qu'il s'élèverait
contre lui le jour du jugement dernier avec les âmes du diocèse d'Alet
destinées à mourir à Dieu" arrivent à le décider. Il s'enferme alors dans Saint-Lazare et s'abandonne à la prière et à
Dieu.
A l'invitation de Richelieu,
il donne une mission à Reuil,
puis à St Germain en Laye sur demande de Louis XIII où son prêche est si
éloquent qu'il en trouble la cour. Déjà un différent
l'oppose aux puissants, la Sorbonne consulté tranche en sa faveur, le
roi lui garde la sienne.
Mais l'on sent bien l'homme inflexible, intègre, trop sûrement pour
rester à Paris.
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Le 22 août 1639, il reçoit
enfin la consécration épiscopale dans
l'église de St Lazare et quitte la capitale le 8 octobre en compagnie
d'Etienne Platiron qui devait diriger son séminaire de 1639 à 1641.
Contrairement à ce que certains ont pu prétendre, il ne mit pas deux
ans à se décider mais les bulles d'accréditation papales, du fait des
relations difficiles de la France et de la papauté, tardèrent à
arriver. Entre temps, on songe même pour Pavillon à l'évêché d'Auxerre,
plus digne de ses mérites mais il le refuse. Le 3 novembre 1639,
après un long voyage en carrosse (et non à pied !) il est à Alet. |
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La
ville d'Alet
(Photo Ch. Attard) |
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On
s'imagine mal ce que pouvait être ce bourg d'un millier d'habitants, cœur
d'un diocèse de 30 000 âmes. Un diocèse sans même un lieu de prière
convenable, une cathédrale debout (Notre Dame fut détruite par les
huguenots entre 1573 et 1575). C'était un lieu oublié de Dieu
même.
A la déliquescence de la piété,
aucun évêque ne daigna même habiter à Alet (ils séjournaient à
Cournanel), s'ajoute
l'incurie des nobles, l'ignorance, la pauvreté et la brutalité des
maraudeurs.
C'est à une immense tache de restauration des âmes et des lieux que va
s'atteler Nicolas Pavillon, maintenant quadragénaire décidé.
Son prédécesseur
Etienne de Polverel avait un goût très prononcé pour ces dames,
Pavillon médite sur les saintes écritures, anime des prières en commun, mange
d'un rien, dort dans une humble cellule mal meublée. Il
commence ainsi par donner l'exemple aux religieux pervertis par une vie de paresse
et d'impiété. Lui se lève avant le soleil, parcourt son
diocèse à l'image de Saint-François de Sales ou de Saint Charles
Borromée, visite les pauvres et les malades, fait preuve de très
grande charité.
Et pas uniquement dans son diocèse, en 1652, pour venir en aide à la ville de Toulouse terrassée par une
de ces "pestes" si fréquentes et si meurtrières dans les
grandes villes, il n'hésite pas sur un témoignage de l'extrême
pauvreté des indigents à envoyer 100 pistoles et à dessertir un diamant légué par sa
mère et qu'il avait fait incruster dans le soleil du St Sacrement de la Cathédrale.
(3)
" Il
siégeait à titre de comte, titre attaché à la dignité épiscopale d’Alet,
aux États de la province, et il défendait avec soin les intérêts de
son diocèse. Appelé à présider souvent, en l’absence du
commissaire royal, l’Assiette du diocèse, il donna une vigoureuse
impulsion aux travaux publics. C’est à lui, notamment, que l’on
doit la construction du chemin d’Alet à Quillan par Espéraza qui,
entre autres travaux d’art, comptait le pont sur l’Aude à Couiza."
nous dit Louis Fédié (4). Ce que ne dit pas Fédié, c'est qu'il met un terme au cumul des cures,
aux abus en matière bénéficiale. Il exècre plus que tout, à l'instar de la compagnie du
Saint-Sacrement l'usure, gangrène sur laquelle courent aujourd'hui
banques et actionnaires cyniques et qui valait ex-communication à son
époque.
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C'est au
premier étage de cette maison d'Alet que se tenaient les réunions de
"l'Assiette", présidées par Nicolas Pavillon.
(Photo Christian Attard)
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A cette redistribution rigoureuse des entrées monétaires de
l'évêché et des circonscriptions de prélèvement qui défavorisaient
son diocèse s'adjoignent très vite de nombreux dons de toute nature remis entre ses mains par un flot
grossissant d'admirateurs comme le richissime, Armand de Bourbon, Prince de
Conti, filleul de Richelieu, marié
à Anne-Marie Martinezzi nièce de Mazarin, membre de la cie du
st-Sacrement et gouverneur du Languedoc
depuis février 1660. Il passa ainsi quinze jours de pénitence en
1661-62-65 avec sa femme et sa cour (près de 150 personnes) à Alet.
Nicolas Pavillon est d'une droiture absolue, d'une rigueur intransigeante aussi
se fait-il très vite autant d'amis sincères que d'ennemis tenaces. En
1663, une coalition de nobliaux et de religieux rétifs à toute
réforme de leurs mœurs dépravés porte plainte contre lui au
parlement de Toulouse, parmi eux Monsieur Hautpoul de Rennes. Toulouse,
par deux arrêts, leur donne raison. Mais en 1664, le roi comprenant
l'iniquité
et la corruption du parlement toulousain (il s'était déjà
lamentablement comporté dans une affaire opposant Pavillon à deux escrocs
locaux les frères Aosthène) décide de le dessaisir de l'affaire au
profit du parlement de Grenoble. Contre toute attente, celui-là aussi
donne raison aux plaignants !
Le roi qui estime Pavillon convoque alors
deux commissions qui finalement en avril 1666 rendront Pavillon innocent
de toute accusation d'abus de pouvoir porté contre lui. Avis confirmé
par déclaration royale en mai.(5)
Il n'y a dans cet épisode aucun règlement de compte personnel entre
les Hautpoul de Rennes et Nicolas Pavillon à propos de quelque trésor
détourné. Les nobliaux locaux à la moralité douteuse furent nombreux
dans la région et nous ne devons voir dans ce piètre échange
judiciaire que leurs tentatives désespérées de conserver leurs
pratiques honteuses face à l'intransigeance et à la haute intégrité
de leur évêque.
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L'évêché
d'Alet, aujourd'hui hôtel
(Photo Ch. Attard)
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En 1665, Nicolas Pavillon ne signe pas le fameux formulaire anti-janséniste mais
il n'est pas le seul, Henri Arnauld, Choart de Buzenval, François de
Caulet (son ami et voisin de Pamiers)
refusent aussi
leur signature, arguant de leur neutralité. Ils sont alors poursuivit par
roi et pape,
mais trouvant l'appui de dix neuf collègues et bénéficiant de la mort opportune du
pape Alexandre VII, ils sont soulagés par un compromis qui débouche sur la paix Clémentine (oeuvre habile de
Clément IX).
Pavillon, plein maître de ses droits, n'entend ainsi les céder à
personne, roi ou pape.
Aussi refuse-t-il l'extension du droit de régale aux évêchés du sud
de la France en 1673 sur avis parlementaire et non sur décision de
Colbert. Ce droit prévoyait en cas de vacances de l'évêché que le roi
pouvait se substituer à l'évêque et donc percevoir ses revenus,
nommer aux bénéfices... Le roi considéra alors leur diocèse vacant
en régale et puisque que par accord parlementaire le roi avait renoncé
à la perception de ses revenus, il pouvait encore nommer clercs et
autres trésoriers. Ce qu'il ne se gêna pas de faire dès 1675.
Début
76, Nicolas Pavillon répliqua en interdisant aux clercs nommés par le
roi de toucher aux bénéfices de son diocèse sous peine d'excommunions
et au Chapitre de les recevoir. Le roi cassa ces ordonnances, appuyé
par l'archevêque de Narbonne. La même chose se produisit avec
François-Etienne de Caulet à Pamiers. Les évêques en appelèrent au pape
qui officiellement admonesta le roi de France mais plus officieusement
le laissa faire. |
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La
tombe de Nicolas Pavillon
(au premier plan)
au cimetière de Saint-André.
A ses pieds celle d'un autre
évêque d'Alet :
Charles-Nicolas Taffoureau de Fontaines
puis, celle de l'abbé Joseph Théodore Lasserre, curé d'Alet.
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Entre
temps le 15 octobre 1677, Pavillon tomba malade et il s'éteignit le 8
décembre. A sa demande, son corps fut enseveli dans le petit
cimetière d'Alet, sa tombe ne portait pas son nom mais une simple
phrase latine aujourd'hui effacée (6). Il fallut protéger son corps tant
la ferveur populaire fut intense au cours de ses obsèques.
Redonnons la parole à Louis Fédié :
"Le pieux prélat qui, pendant sa
longue carrière, donna tant de marques de sollicitude aux habitants de
son diocèse, semble encore les protéger et les bénir après sa mort,
car il repose au milieu de ses anciens administrés, et on vénère
encore de nos jours son tombeau qui est placé au milieu du cimetière
de la ville dont il fut si longtemps le pasteur."
Et à Mgr de Choiseul :
"Il est
l'heureux des heureux
puisqu'il porte dans le ciel quatre
vingt ans d'innocence baptismale." (7)
Est-ce là l'existence d'un homme de dissimulation, de tractations
secrètes. Imagine-t-on un homme qui se nourrit de légumes et d'œufs,
demande conseils et aide à Dieu tout le jour et n'a que le bien de son
diocèse et le salut des âmes en requête, imagine-t-on un tel homme capable
de duplicité ?
Louis-Alphonse de Valbelle succéda à Mgr Pavillon, joueur, courtisan,
soupant chez les dames, il n'avait rien d'un serviteur de Dieu, les
flots d'une mer sombre venaient de se refermer sur Alet.
Christian Attard
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Un temps
remplacé par le mot supposition qui est une opinion considérée comme
probable, je ne peux malheureusement aujourd'hui et après avoir
développé analyses, rencontres et constatations qu'en revenir au mot
d'affabulation qui est, rappelons-le, une déformation fantaisiste des
faits ! |
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Notes
et sources :
(1) - Alexandre Adler "Sociétés secrètes", Grasset 2007
(2) - En vertu d'un concordat de 1516, c'est au roi de choisir les
évêques. Suivent alors des procédures de validation auprès du Saint
Siège avant le Sacre par trois évêques et le serment de fidélité au
Roi.
(3) - Gilles Semenou - Monsieur d'Alet - Gabelle Carcassonne 1998 - p.
79
Vie de M. Pavillon, Evêque d'Alet par Charles-Hugues Lefèbvre de
St Marc et Antoine de la Chassagne - 1738. p. 179
J.T. Lasserre
dans "Recherche historique sur la ville d'Alet", p. 171
(4) - Dans "Le comté de Razès et le diocèse d'Alet"
(5) - Voir à ce
propos "l'Histoire générale du
Languedoc" de de Dom Devic et Dom Vaissette pour une relation plus
détaillée. p407-416. Tome 13
(6) - "Pauperum pater, piorum consiliarus, cleri lumen".
(7) - François Bluche, « Nicolas Pavillon », Dictionnaire du
Grand Siècle, Fayard, 1990, p. 1165-1166 |
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