Les bonheurs d'Alfred

 

Alfred et Bérenger - Du meilleur au pire ?


Il est de tradition dans une certaine littérature para-historique de faire passer les frères Saunière pour des rustres assez mal dégrossis, Jean-Marie Alfred (1855-1905) semblant largement distancer dans ces propos rugueux son frère aîné Bérenger (1852-1917).
Pourtant l'un comme l'autre reçurent une solide formation intellectuelle et n'auraient rien à envier à nos piètres bacheliers d'aujourd'hui. Professeurs au petit séminaire de Narbonne, en 1886 pour Bérenger et dès 1880 pour Alfred, ils n'auraient guère pu tenir leurs fonctions en étant aussi étroits d'esprit que l'on veut complaisamment le colporter. Alfred sera aussi enseignant dans une école jésuite, prédicateur, aumônier et un temps précepteur des enfants du marquis de Chefdebien, toutes fonctions qui ne peuvent s'exercer sans une certaine vivacité d'esprit et une excellente culture générale.

Bulletin de la Commission archéologique de Narbonne - Année 1896
Photo Christian Attard avec autorisation de la Bibliothèque municipale de Toulouse

Il est aussi de tradition de croire que seul le bon curé de Rennes-les-bains, Henri Boudet était l'intellectuel de nos histoires. Ce dernier, il est vrai, fut membre de doctes assemblées : comme en 1888 de L'académie des arts et des sciences de Carcassonne, de l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse ou encore de la Société de Linguistique de Paris où il fut reçu en 1897.

Mais, à ce jour aucun chercheur, fut-il patenté, n'a mentionné l'appartenance d'un Saunière à une des ces sociétés dites savantes que le tout début du XIXè siècle vit fleurir dans toutes nos régions et sous-préfectures. Il est vrai que l'information n'est pas disponible sur Internet et qu'il faut pour cela se déplacer ! (1)

En 1833, se créait à l'initiative d'érudits et de passionnés d'archéologie à Narbonne, la Commission d'archéologie d'une ville d'une incroyable richesse patrimoniale. Sous la présidence d'honneur de M. Le Sous-préfet d'arrondissement et de M. le Maire de la ville, la commission réunit avec régularité et sérieux plusieurs générations de doctes observateurs et écrivains.

En 1896, soit après 63 ans d'activité, la présidence de la Commission est assurée par M. Jules Riols, conservateur du musée de Narbonne. Cinq sous-commissions existent : Bibliothèque, Publications, Archéologie, Beaux-Arts et Histoire naturelle. On y retrouve M. Cros-Mayrevieille dont le père Jean-Pierre (1810-1876) s'illustra tant pour la sauvegarde de la cité de Carcassonne et fut président de la Société des Arts et Sciences de la cité. La famille Cros-Mayrevieille profondément passionnée d'histoire et d'archéologie ne s'en consacrait pas moins au soutien des pauvres et déshérités ainsi Gabriel (1858-1948) occupa-t-il toute sa vie les plus éminentes fonctions au sein de l'Assistance publique.

 Extrait d'un catalogue de la maison Giscard
Photo François POUS  et document Archives Municipales de Toulouse

D'autres personnages tout aussi considérables en Languedoc-Roussillon tel le richissime baron d'Andoque de Sériège, le comte de Beauxhostes, généreux donateur pour Bérenger Saunière ou Monseigneur Xavier Barbier de Montaut que les établissements Giscard prenaient en grande considération (depuis qu'il avait si savamment commenté le parcours douloureux de Jésus jusqu'à sa mort sur la croix) étaient membres de cette Commission.

Mais la lecture des membres de cette assemblée devient fort intéressante avec la découverte parmi ses plus fidèles contributeurs de Jean-Baptiste Guiraud, alias Benjamin Fabre, agrégé de l'Université, professeur au lycée de Marseille et auteur d'un très étonnant "Eques a capite Galeato", (le "chevalier au chef casqué") qui divulguera en 1913, soit 17 ans plus tard, les secrets révélés ou supposés l'être du
Vicomte François-Marie de Chefdebien.
Pour l'heure, Guiraud se passionne pour l'église de Prouille et s'excuse du retard mis à la livraison de ses dernières études pour la Commission.

Parmi les membres dits "libres" notons aussi un certain Boudet (A.) et de très nombreux membres du barreau ou ecclésiastiques dont certains occupent bien sûr des fonctions centrales dans la région.

Mais la plus belle des surprises est bien de trouver parmi tous ces membres le nom de Saunière en bonne place !

Le patronyme bien connu, suivi du qualificatif professionnel d'abbé, nous enlève tout doute. Il y avait bien un Saunière prêtre au sein de cette brillante assemblée. 
Certes, mais lequel ? Par habitude, il ne nous vient à l'esprit que la figure prégnante de Bérenger mais à y réfléchir de plus près nous sommes à Narbonne en 1896 et Bérenger, à cette époque là, était bien occupé sur son piton sauvage.

Il est donc fort à parier que ce soit plutôt Alfred Saunière qui soit mentionné ici en tant que membre libre de cette Commission d'Archéologie, lui que l'on supposait si éloigné de telles préoccupations studieuses. Après tout, il fut tout aussi abbé (terme générique si l'on peut dire) que son frère. Et de toutes manières vous connaissez l'adage : "si ce n'est toi c'est donc.." 
Et comment ne pas croire qu'avec de telles accointances Alfred n'ait pas su faire profiter son grand frère d'avantages aussi divers que variés. 

La proximité intellectuelle et physique de personnalités si fortes de notre énigme ne peut qu'étonner ici et l'on peut alors se prendre à supposer de nouveaux liens entre, par exemple, les Guiraud, Saunière et Chefdebien. C'est précisément à cette époque qu'Alfred entra au service de cette digne famille.
Voilà en tout cas qui remet sérieusement, je crois, en cause l'hypothèse d'un Alfred Saunière, franc-tireur solitaire et peu mondain. Proches des milieux savants, bien introduits dans la haute société narbonnaise, en contact avec des amateurs d'art et d'archéologie éclairés, cette petite découverte laisse augurer bien des possibilités d'extensions fructueuses d'activités et pour Bérenger et pour Alfred.

N'étant qu'un modeste "jeunot" et ne disposant que du peu de temps que me laissent mes loisirs, je ne pourrai malheureusement pas pousser plus loin cette découverte et en cède le relais bien volontiers à d'autres chercheurs plus "avisés" (2).

Christian Attard

(1) Je remercie tout particulièrement le personnel de la Bibliothèque d'études et du patrimoine de Toulouse . 1, rue de Périgord 31070 Toulouse CEDEX
(2) Je dédis cette page à Laurent qui s'intéresse plus particulièrement à cet aspect de l'énigme.
Et remercie, une fois encore, tous ceux qui ne cessent de m'encourager par leur soutien moral à poursuivre mes très modestes recherches.
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