Joseph-Marie Chiron : le fou de Dieu (1)

Par pure construction intellectuelle, avec le seul fondement de leur présence en des temps et des lieux où l'on veut croire à la survenue d'un fabuleux trésor, de véritables saints ont été enrôlés post-mortem dans les affabulations de quelques auteurs dépourvus de morale. 
Ont ainsi été déformées, salies les longues existences de labeur et de piété rigoureuse de Nicolas Pavillon ou de  Jean Jourde dont nous avons précédemment analysé les vies.
Mais ce fut aussi le cas pour Joseph-Marie Chiron, un mystique profond, fou de Dieu.

Internet a répandu ces fatras de suppositions incohérentes qui auprès d'un public peu curieux d'aller aux sources même de l'information fait force de nouvelles vérités.
A cela, l'Église d'aujourd'hui oppose le mépris ou l'indifférence, telle n'est pas notre position qui préfère faire appel à la raison.

             Joseph- Marie Chiron - Terre cuite oeuvre du sculpteur Jean-Paul LESBRE
                           (Photo J.P. LESBRE
(1) - reproduction strictement interdite sans son autorisation)


Joseph-Marie Chiron est né le 19 novembre 1797 à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) de Jean-Simon Chiron et Suzanne Bonnaud, cultivateurs. Ils auront onze enfants dont six mourront en bas-âge (2).
 
Joseph est d'une piété précoce et remarquée. Ainsi, il élève dans le grenier familiale de petites chapelles où il invite à prier ou encore, marque les champs paternels de chemins de croix.
Aussi, après des études primaires brillantes, il est poussé à reprendre le collège en 1812. Tous
notent alors son sérieux, sa charité mais aussi les mortifications excessives qu'il s'inflige.

Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) tel que le connut Joseph Chiron ou presque... 

Il entre au grand séminaire de Viviers le 25 octobre 1819 et le 16 juin reçoit les ordres mineurs. Mais, il doit retourner dans sa famille épuisé par l'ascèse et de nouvelles mortifications bien trop sévères pour une santé chancelante. Son diaconat obtenu, il est ordonné le 27 avril 1823 et dès juillet, devient le curé de Saint-Martin l'inférieur, aujourd'hui Saint-Martin-sur-Lavezon. 

Déjà, il organise sa première congrégation en réunissant dès 1824 une quarantaine de ses plus ardentes paroissiennes avec qui il fonde "Les enfants de Marie".  Puis, il crée la congrégation des sœurs de "Saintes Marie de l'Assomption" composée de sept sœurs qu'il loge dans une maison misérable.

Le hasard d'amis communs lui fait connaître Paul de Magallon d'Argens (1784-1859) (et non Jean comme écrit et répété ), le restaurateur en France de l'ancien ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu, créé par Juan Ciudad (1495-1550). Aidé par Joseph-Xavier Tissot (1780-1864)
(3), dit frère Hilarion, lui-même ancien aliéné, de Magallon vient de fonder des hospices régionaux pour "aliénés d'esprit".
Car ces derniers, en l'absence quasi générale de structure de soins spécialisées, ne sont alors traités en province que comme de vulgaires prisonniers de droit commun et internés sans le moindre soin en égard à leur souffrance.

Joseph Chiron oriente désormais sa vie vers l'assistance à ces malheureux et de Magallon le fait nommer aumônier de la prison de Privas en janvier 1827. Il loue immédiatement une petite maison destinée au secours des aliénées et qui sera tenue pas ses "Saintes Marie". Ce petit centre deviendra une sorte de succursale de celui que Paul de Magallon vient de créer près de Lyon.

Mais Joseph Chiron  n'a pas de grands talents de gestionnaire et a le plus grand mal à communiquer avec l'administration pénitentiaire et préfectorale  dont il dépend. Cette faiblesse lui vaudra bien des tourments notamment lors de la création en janvier 1836 d'une autre maison à Clermont-Ferrand acquise après une gestion désastreuse entre autres de frère Hilarion. 

La prison de Privas 

Fort heureusement, la Providence l'a entouré de collaborateurs appliqués : Sœur Agnès (Adelaïde Bernard),  Jean-Marie  Aymard Bal...).

Cependant, Joseph Chiron usé par le travail et l'ascèse, perturbé dans sa recherche profonde a besoin de repos. Sachant désormais ses instituts en mains sûres, éprouvé par le décès prématuré de mère Agnès, le 30 octobre 1839 à l'âge de 38 ans, il songe à se retirer. Il n'a jamais oublié que tout ce travail, toutes ces souffrances devaient avoir pour finalité première l'élévation de son âme qui aspire désormais à se construire en dehors de ses établissements tourmentés.

Ce retrait se fait en deux temps, tout d'abord par l'acquisition au Mont Toulon, au dessus de Privas, d'un petit terrain qui va lui permettre de créer un pauvre ermitage (malheureusement bien trop proche de ses préoccupations temporelles car le centre de soin qu'il a créé est situé à quelques pas, juste au-dessous), puis par son départ pour les Pyrénées Orientales.

Auparavant, il a eu soin de créer une Société Civile Sainte-Marie, le 28 août 1840, qui préservera ses fondations de toutes spoliations d'État ou d'héritage. (4)

En avril 1842, il accepte encore de reprendre un centre créé en 1831 et en grandes difficultés financières : La Celette (Corrèze) et le consacre au soin exclusif des hommes sous la garde des "frères servants de l'immaculée-conception". (5)

Cette décision d'abandonner l'œuvre de la première partie de sa vie, loin d'être le fruit d'un impulsion irraisonnée, a été mûrie et s'appuie même sur un indult du Saint Père le pape. Si son départ le 24 février 1843 se fait dans la plus grande discrétion, c'est de peur de trouver bien trop d'oppositions à une décision que tous ses proches ne peuvent admettre. 
La date même du 24 février est hautement symbolique car c'est en ce jour aussi que Saint François d'Assise quittera ses habits pour vivre dans l'abandon et la pauvreté du Christ.

L'asile de La Celette prospérera sous la gestion avisée des pères Bal et Beaussier

Le père prend alors la route et descend la vallée du Rhône pour finalement prendre possession d'un ermitage sauvage laissé à l'abandon depuis la mort de son dernier gardien : Saint-Antoine de Galamus, près de Saint-Paul de Fenouillet (66). Le 7 avril 1843, il y reçoit de son compagnon le frère Antoine Bon des habits religieux qui l'apparentent au mouvement franciscain. Il se rattache alors hiérarchiquement à l'évêque de Perpignan Jean-François de Saunhac-Belcastel en créant ses "Pauvres frères de saint François d'Assise".

Mais, comment peut-il, lui qui a passé sa vie au contact des souffrances les plus terribles, oublier ses semblables au fond d'une caverne ? L'apostolat lui manque et le voilà reparti sur ses chemins de conversions. Il ne quitte pas pour autant ses chères sœurs et frères de Marie et leur écrit très régulièrement. Mais les temps ont changé et il le comprend bien lors de plusieurs retours éphémères à Privas, Clermont ou La Celette. Humble, il s'effacera cette fois définitivement et laisse la gestion des centres qu'il a fondés à plus souples sur les règles, plus rigoureux sur la gestion qu'il ne le fut jamais.

Accroché comme un nid d'hirondelles au roc : l'ermitage de Saint-Antoine de Galamus !

En mai 1845, il fait l'acquisition d'un prieuré en ruine Saint-Jacques de Camarola ( et non de Caramola, comme recopié par erreur par certains auteurs), près de Vernet-les-Bains (66) où il espère bâtir une nouvelle communauté de prière et de là, rayonner sur le département en missions de pénitence et de conversions. Mais, il retourne encore vers l'Ardèche et tombe tristement dans l'illusion de pouvoir tirer des griffes de Satan, un déséquilibré nommé Antoine Gay qui deviendra son pitoyable compagnon de misère et son "agent de persuasion" dans son oeuvre de conversion. 
Cette erreur de discernement l'écartera à tout jamais de la communauté qu'il avait si durement construite et lui qui avait sa vie durant prôné l'obéissance ne sut que se soumettre à un nouveau compagnon de route Eugène de Potries (1791-1866), capucin espagnol.
Aussi, nous le retrouvons près de Claira dans le petit monastère de Saint-Pierre-del-Vilar, possession de De Potriès et où il aura la charge de former les quelques misérables novices attirés par une vie de solitaires. 

Notre-Dame du Cros

Mais Eugène de Potriès recherche un lieu plus vaste et plus adapté à ses ambitions de former une véritable congrégation, à l'occasion d'un pèlerinage en 1851 à Notre Dame du Cros près de Caunes en Minervois, accompagné par Joseph-Marie Chiron, il tombe sous le charme du lieu. Potriès fait alors les démarches nécessaires auprès de l'évêque de Carcassonne Mgr de Bonnechose pour obtenir la jouissance du sanctuaire et finalement s'y établir en juin 1852 avec Joseph Chiron qui se résigne à quitter ses Pyrénées Orientales.

Comme il le fit au Mont-Toulon, le père Marie, car c'est sous ce nom que tous l'admirent et le respectent, érigera un calvaire au-dessus de la chapelle de Notre-Dame du Cros, confessera et consolera sans repos et poursuivra privations et flagellations. Épuisé par une vie de peine et de sacrifices, il s'éteindra le 27 décembre 1852 entouré de l'abbé Falguères, curé de Claira, d'Eugène de Potriès et  de sa petite communauté et malgré les soins prodigués par le docteur Mahoux.

Le marbre fut offert par Mme Vialard-Schroeder, l'épitaphe choisie par le Père Eugène de Potriès.

Ainsi s'acheva à cinquante cinq ans la vie de celui qui n'eut de cesse que de purifier son âme et de ramener à son Dieu toutes ses brebis égarées y compris dans les plus terribles folies.  Par autorisation spéciale son corps fut inhumé sous le porche de la porte latérale de la chapelle. (6)
Le 4 août 1912, à la demande de la congrégation qu'il avait créée, ses restes, à l'exception de son avant-bras droit, furent transférés dans la maison mère de Privas. Et, depuis qu'en 1953 la Congrégation des rites a approuvé ses écrits, tous ceux qui aujourd'hui n'ont pas oublié le pur Joseph-Marie Chiron espèrent que l'église fera Saint celui qui l'est déjà en sa très probablement verte et apaisante prairie éternelle.

Christian Attard

Vers la suite


(1) http://lesbre-sculpteur.pagesperso-orange.fr/
(2) La meilleure biographie de Joseph Chiron est celle d'Eugène Gérard Poillon : "Joseph-Marie Chiron 1797-1852" - Éditions Humbert et Fils - Largentière - 1973
(3) Voir sur ce site une courte biographie de Joseph-Xavier Tissot :
http://psychiatrie.histoire.free.fr/pers/bio/hilarion.htm
(4) http://www.groupe-sainte-marie.fr
(5) Voir sur ce site l'histoire du centre de la Celette :
http://www.ch-eygurande.fr/presentationhistorique.htm
(
(6) Depuis la révolution française, et parfois bien avant dans certaines régions (Bretagne, Languedoc), il était interdit d'enterrer dans les églises. Cette interdiction était à la fois celle des autorités civiles et celle de l'Église qui précisait par l'article 1242 du droit canon :
"Les cadavres ne sont pas enterrés dans les églises sauf s'il s'agit du Pontife Romain, des Cardinaux et des Évêques diocésains, même émérites, qui doivent être enterrés dans leur propre église."

Une inhumation en dehors même d'un cimetière était interdite, c'est pourquoi le père Eugène de Potriès (et non Gaudéric Mèche qui ne fut en aucune façon présent) se rendit à Carcassonne pour obtenir l'autorisation préfectorale nécessaire afin d'inhumer le corps du père Chiron sous le porche de l'Église car même en certains lieux isolés une étude devait être faite par un hydrologue auparavant.
On constate cependant quelques exceptions très rares. Ce fut le cas pour le père Lacordaire mais il était académicien !

Cette interdiction peut également expliquer la fermeture définitive du tombeau des seigneurs de Rennes le Château.
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