|
||||
Les secrets de Saint-Bertrand de Comminges - 1- |
||||
|
||||
On dit que Pompée fonda
Lugdunum convenarum (Saint-Bertrand de Comminges) en 72
av. J.-C. en y regroupant les turbulentes tribus
pyrénéennes qu'il voulut pacifier. On dit aussi
qu'Hérode Antipas (21av JC/39) y fut lui-même exilé pour
cause de cupidité par l'empereur Caligula. On dit encore
que l'épouse et la nièce de cet ancien tétrarque de
Galilée, Hérodiade et sa fille Salomé, qui contribuèrent
à la mort de saint Jean-Baptiste, l'accompagnèrent,
donnant naissance à bien des légendes
pyrénéennes. Mais les hommes disent et écrivent
tellement de choses... Lugdunum convenarum ne cessa dès lors de grandir et de s'enrichir lorsque tout s'arrêta avec le siège et la destruction de la ville par les armées de Childebert II. Sous l'épiscopat de Bertrand de l'Isle-Jourdain (1083-1123) le site renaîtra des affres du haut Moyen-age et par le mécénat d'un autre Bertrand, Bertrand de Got, devenu pape sous le nom de Clément V en 1305, la cathédrale gothique se dressera fièrement sur le Comminges. Enfin, l'évêque Jean de Mauléon (1477-1551), apparenté aux de Got, commanda orgue, vitraux et surtout le magnifique ensemble de stalles, joyaux de bois de la basilique de St Bertrand de Comminges. |
||||
Cet immense travail de
sculpture et de marqueterie fige d'admiration le
visiteur qui pénètre dans le vaste espace clos et
silencieux de ces boiseries vernissées. Tout comme dans
Sainte-Cécile à Albi ou dans Sainte-Marie à Auch,
l'ensemble est parfaitement conservé et a échappé aux
destructions des Huguenots ou de la réforme tridentine. Une inscription nous précise sur la tribune du Jubé que Jean de Mauléon a fait la dépense nécessaire à l'édification de ce chœur qu'il inaugura le 25 décembre 1535. Monseigneur l'évêque, les clercs attachés au service de la cathédrale, chantres, sacristains, chanoines, archidiacres et diacres, prébendiers, hebdomadiers et le recteur de Saint Bertrand prenaient chacun leur place ici, dans cette église de bois au sein de l'église de pierre, tous séparés du reste informe des simples croyants. |
||||
|
||||
|
|
|||
Le trône épiscopale de Jean de Mauléon |
|
|||
|
||||
En 1524, les biens de
l'évêché mis sous séquestre durant les querelles
d'investitures furent débloqués et contribuèrent à
financer, croit-on, les travaux. Jean de Mauléon
fréquentait en outre des hommes et des femmes de grande
fortune dont la reine Marguerite de Navarre, cependant
il semblerait que les finances vinrent malgré tout à
manquer. Toutes les archives épiscopales ayant été
détruites au siècle dernier, il est impossible de savoir
qui a pourtant contribué et financièrement et
artistiquement à la réalisation des stalles du jubé de
la cathédrale de Saint-Bertrand de Comminges. Jean de Mauléon en homme de la Renaissance, véritable humaniste, grand érudit, épris de textes anciens et de jeux de l'esprit, a marqué de sa forte personnalité son œuvre. Les exploits d'Hercule (dont pensaient descendre les Habsbourg) illustrent le buffet d'orgue, les portraits en marqueterie des neuf preux (Hector, Alexandre, César, Josué, David, Judas, Arthur, Charlemagne, Godefroy de bouillon) côtoient ceux de Dante ou des Médicis sur la clôture extérieure. Cependant aucune figure non biblique n'est présente à l'intérieur de l'enceinte sacrée où seuls se retrouvent des personnages de l'ancien et du nouveau testament, des évêques ou des saints chrétiens et les fameuses douze sibylles, comme à Auch, sensées avoir annoncé les épisodes majeurs de la vie du Christ. |
||||
Il faut toutefois faire à
ce principe de séparation du sacré et du profane au
moins deux exceptions. La première est compréhensible puisqu'elle se trouve sur les parties basses et les miséricordes (appuis discrets permettant de se reposer tout en paraissant rester debout) et la seconde est beaucoup plus étonnante. En effet, du côté sud en avant des stalles, émerge de ce palais de bois la structure finement ouvragée du trône épiscopal et c'est à lui que cette nouvelle visite fut tout particulièrement consacrée. L'attention mise en éveil par l' archange saint Michel tout au sommet de la substruction du dais de ce somptueux trône incite à mieux analyser ce que, de sa position, pouvait observer Jean de Mauléon. Se pouvait-il qu'ici encore quelques subtils alchimistes, quelques profonds initiés aux arcanes de l'art philosophal aient œuvré ? Face au siège, c'est avec étonnement que nous retrouvons le même saint Michel terrassant pour l'éternité le démon. |
||||
|
||||
|
||||
Saint Michel, maître du démon |
Saint Bertrand et saint Jean-Baptiste au-dessus du siège épiscopal |
|||
L'archange
n'a plus sa lance dont l'emplacement reste visible
mais il maintient toujours à terre un bien étrange
diable. Il est à noter que la jambe gauche de saint
Michel est dénudée et porte une genouillère, nous
allons reparler de ce détail...
Notre diable recevait la lance du saint en plein bouche et, en observant de plus près la sculpture, l'entaille de passage du pic est parfaitement visible. Ce démon si étrange a une tête de mangegloire... Pourquoi ? Pourquoi a-t-il aussi une tête feuillue ?? Est-il anéanti par cette lance ou au contraire l'avale-t-il ? Quelle gloire absorbe-t-il ainsi ? Vêtu d'une cuirasse, un long manteau a remplacé les amples ailes de l'archange divin et, contrairement à de nombreuses autres représentations du chef des armées célestes, il va tête nue laissant flotter sa "flamboyante" chevelure. Est-il nécessaire de redire une fois encore que le Prince des anges n'a que repris les attributs d'un certain Dieu grec et qu'au milieu des Vertus, personnages de l'Ancien Testament, pères et saints de l'Église et enfin Sibylles, il est le seul des grands archanges à être ici représenté. |
||||
|
||||
|
||||
Sur le dossier de ce siège de Jean de Mauléon sont
figurés en un splendide travail de marqueterie saint
Bertrand et saint Jean-Baptiste, entre eux trône le
blason des Mauléon (le mauvais lion).
Le Baptiste, à cause de l'exil de son persécuteur ici à St Bertrand, fut particulièrement vénéré dans le Comminges. On ne peut manquer de remarquer sa jambe gauche, elle aussi dénudée et très expressément mise en avant. On cherchera en vain un autre personnage présentant ainsi sa jambe gauche dénudée en dehors de saint Michel, il n'y en a pas sur les centaines de sculptures de la Cathédrale. On sait l'importance de ce symbole chez nos modernes francs-maçons, il était à l'évidence présent dès le XIVe siècle dans les représentations de ceux qui seront précisément vénérés par ces mêmes initiés mais bien plus tard. Il n'existe donc pas ici d'autre personnage à la jambe dénudée à l'exception d'un autre saint bien connu de ces mêmes initiés contemporains : saint Roch. Et c'est précisément celui que, toujours sans quitter son siège, Jean de Mauléon avait sous les yeux et que nous allons étudier par la suite... |
||||
|
||||
Notes
et sources : (1) - Saint-Bertrand de Comminges, le chœur Renaissance. Saint-Just de Valcabrère, l'église romane de Sylvie Augé, Nelly Pousthomis, Henri Pradalier, Michèle Pradalier-Schlumberger, avec la participation de Pierre Lacroix pour la partie instrumentale de l'orgue. , Éd. Odyssée, Graulhet, 2000. (2) - Saint-Bertrand de Comminges, le chœur Renaissance - Éditions Odyssée. (3) - L'église de St Jean - de Pascal Bellanger. Éditions de Léopard d'or en 1993 |
||||
Retour vers la Reine |