Les secrets de Saint-Bertrand de Comminges : Têtes de Chapîtres - 2-




Immédiatement à côté du siège épiscopal de Saint-Bertrand de Comminges, une première jouée basse représente donc Saint Roch. On doit penser que le choix des figures qu'elle comporte est essentiel et, qu'en conséquence,  Jean de Mauléon n' a pas pu le laisser à la seule inspiration des sculpteurs de Saint-Bertrand.





Saint Roch sur la jouée basse
(Photo Ch. Attard)

Saint Roch polychrome sur le mur du jubé
(Photo Ch. Attard)




Certes Saint Roch a toujours été, et ce depuis le XVe siècle, un saint extrêmement populaire dans les campagnes du sud de la France. Natif, selon la légende, de Montpellier en 1340 ? (1) , ville réputée pour son école de médecine, Roch part en pèlerinage à Rome et soigne de son mieux les nombreux pestiférés de ces temps d'infortune sanitaire qu'il croise sur ses chemins. Il serait mort en prison, en Italie, pour espionnage dans des conditions assez troubles et à une date incertaine.
Processions, bénédictions des troupeaux, pèlerinages honorèrent le saint guérisseur tous les 16 août.

Le sculpteur de Saint-Bertrand l'a donc représenté au cours de l'épisode le plus célèbre de sa vie : saint Roch, atteint par la peste, est soigné à son tour par un ange et nourri par un chien. Une autre image du saint sur le jubé le montre au cours du même instant. Vêtu de sa pèlerine, s'appuyant sur son bourdon, portant son bonnet ou son chapeau et sa besace frappée des deux clefs, symbole de la ville éternelle, Roch est un "romieu" s'acheminant vers la cité papale. Il porte autour du cou un médaillon en forme de cœur, symbole de sa charité.
Saint Patron de nombreuses confréries, le nom même de Roch ne peut qu'évoquer la pierre, le roc, le rocher. Aussi, Saint Roch est-il le protecteur des tailleurs de pierre, des paveurs, des carriers. 

Et, pour toute sensibilité à la haute pratique de l'Art royal que fut l'Alchimie, il n'y eut qu'une pierre et elle fut philosophale. Les maîtres et hauts initiés de la Renaissance, les plus hautes consciences des confréries de métier savaient cela et savaient aussi glisser un peu de leur savoir à l'attention de leurs frères en science. Peu importe alors que le support de leur message fut religieux ou profane car seuls ceux qui savaient, seuls ceux qui avaient des yeux pour voir, pouvaient comprendre et retranscrire l'intention première et cachée.


lévrier


Le lévrier - Dessin du Codex Vallardi - le Louvre
(source libre Wikipédia)




Ainsi, si l'on s'arrête un temps sur ce chien de Saint Roch, chien qui nous a donné l'expression de roquet, on doit comprendre que ce chien devrait être fort commun. C'est d'ailleurs le plus souvent un chien sans race qui est peint ou sculpté aux pieds du saint. Or à Saint-Bertrand, il ne fait pas de doute que le chien qui nourrit le malade est un lévrier.
Dans la langue des sculpteurs de Saint Bertrand, le nom perdait son accent et se prononçait levrier, ce qui en langue des oiseaux, langue secrète des bâtisseurs et des compagnons, s'entend "l'œuvre y est".
Dans cette même langue, un livrier est une personne intelligente, fine. On sait aussi que "lever un lièvre", ce qui est de la nature même du lévrier, signifie débusquer, voir avant tout autre.
Voilà qui rejoint donc bien étrangement le but ultime de la quête du grand pèlerin alchimique.

Vue de l'esprit ? 
Il est étonnant que la légende ait voulu donner un nom au maître de ce chien qui se sauvait tous les jours avec en gueule le petit pain rond qui devait seul nourrir Roch. Le nom du propriétaire de ce lévrier est Gothard  (inversion d'Art Goth - Argot) voilà un nom bien étrange pour une personne sensée vivre en Italie ???
Il faut alors se remémorer ce que nous apprenait l'initié
René Schwaller de Lubicz, à propos de ce terme d'Argot (2), récupération une fois encore pour l'alchimiste du qualificatif d'art gothique, jeu de mots et de langue lui permettant de lancer l'idée que les bâtisseurs des cathédrales furent enfants des "argo"-nautes à la conquête de la Toison d'or de Colchide.
Celui qui, selon la légende soigne la lèpre du Roch et lui redonne santé est donc Art Goth et il est aidé, devancé par le lévrier.







Détail du tableau de Claude Simpol, 
"Saint Roch et l'ange" 
Église Saint-Nicolas-des-Champs, Paris

(source libre Wikipédia)
 Détail du tableau "Saint Roch", peinture anonyme 
dans la chapelle St.Roch de Deursen (¨Pays-bas)

(source libre Wikipédia)



Sur ces deux tableaux du XVIIè siècle, Saint Roch est accompagné d'un chien sans race et sans collier. Les coquilles Saint-Jacques (merelles) veulent le rattacher au pèlerinage de Compostelle alors que sa légende ne le fait cheminer que vers Rome. Sur celui de Deursen, il est à noter que sa jambe n'est pas découverte, seule une déchirure de sa robe permet de voir l'atteinte de la maladie.
Le pèlerinage de Compostelle, tout comme son symbole, la coquille st Jacques tentent de rattacher Saint Roch à un lieu cher aux alchimistes.



La perception de ces riches sculptures, non pas avec en tête notre seule langue moderne, mais avec l'écho de celle des concepteurs de la décoration du sanctuaire ouvre donc d'autres perspectives de lecture.





Saint Joseph, Saint Sébastien et Saint Roch avec son chien. 
Huile sur toile du XVIe siècle Église Saint Barthélémy de Vaugines (84)




Certes, sur la jouée faisant face à celle de Saint Roch est honoré Saint Sébastien, autre grand protecteur contre la peste. Et il est raisonnable de croire que l'intention des commanditaires fut de situer face au cœur les deux thaumaturges vers qui allaient les prières du peuple lors des terribles épidémies de ces temps. Ces deux saints étaient vénérés au sein de confréries alors puissantes et qui ont également pu, à la suite d'un effort conséquent de financement, demander cette place privilégiée pour leurs martyrs et saints patrons.

Cependant, cela n'annule pas l'hypothèse d'un codage discret, hypothèse qui avec l'étude du petit groupe sculpté surplombant cette première jouée va, semble-t-il, s'affirmer...

Christian Attard




Notes et sources :

(1) -
Voir à ce propos l'étude suivante : http://www.sanroccodimontpellier.it/francese/pdf/saggio_intro.pdf
(2) - voir Le Mystère des Cathédrales et l’interprétation ésotérique des symboles hermétiques du Grand-Œuvre. Préface de E. Canseliet, F. C. H. Ouvrage illustré de 36 planches d'après les dessins de Julien Champagne, Paris, Jean Schemit, 1926, in-8, 150 p. Dernière réédition : Société nouvelle des Éditions Pauvert, Paris, 2002, 250 p.




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