Arcana Dei





Les Bergers d'Arcadie - Nicolas Poussin : Et in Arcadia ego, ou bien,  I tego arcana dei  ?




Rassembler ce qui est épars, voilà une sentence souvent entendue, et encore il y a peu, dans la bouche d'un Grand Maître en réponse à des déclarations peu laïques d'un certain président à l'éthique religieuse fluctuante.

Au sommet de la hiérarchie, au plus haut des grades des rites égyptiens, étaient divulgués les "Arcana Arcanorum", ultime assemblage de tout ce qui est épars, ultime assemblage d'un long enseignement extrêmement secret. 
Ultime ou presque !
Car il semble bien qu'en fait, cette fin n'était qu'un autre début. Les prémices d'un enseignement réservé depuis la nuit des temps à quelques élus.
Ce "secret des secrets" en quoi pouvait-il et peut-il bien consister ?




Une histoire  mouvante





Selon Gastone Ventura (1), c'est à Malte que furent initiés les personnes qui transmirent ces hauts mystères aux loges de Naples. Et, c'est ensuite dans la maçonnerie dite "égyptienne" que semblent vivre aux plus hauts degrés de l'initiation les mystérieuses Arcana.
 
Pourtant, certains historiens de la franc-maçonnerie pensent que les frères Bédarride, créateurs en France en 1814-1815 du "Rite de Misraïm ou d'Égypte",  n'ont jamais eu connaissance des derniers degrés de l'enseignement qu'ils avaient reçu en Italie et des fameuses Arcana (2)
Seul les frères Joly (de Limoux), Gaborria et Garcia présenteront en résumé au Grand Orient De France, le 20 novembre 1816 "Les secrets du Régime de Naples" ou "Arcana Arcanorum" qu'ils auraient reçus dès 1813.

Cependant avant eux le "Rit oriental"  fut créé par l'abbé d'Alès de Bermont d'Anduze, lié  aux Chefdebien, eux-mêmes créateurs du rite de Narbonne en 1779-1780. Alexandre Dumège, le toulousain créait dans la loge de "La Souveraine Pyramide des Amis du Désert" un rite proche des rites égyptiens, liés à ceux des "Disciples de Memphis" de Samuel Honis et Gabriel Marconis de Nègre, proches voisins de Montauban.


Marc Bedarride





Ces enseignements très vivaces en midi toulousain semblent avoir été intégrés partiellement au Rite de Misraïm, dans les quatre derniers degrés.
Cependant, ces mêmes enseignements disparaissent complètement pendant plus d'un siècle et il faudra attendre  en 1988 le livre de Jean-Pierre Giudicelli de Cressac Bachelerie : "Pour la Rose Rouge et la Croix d'or" pour entendre reparler des "Arcana arcanorum".




Ragon qui fit, avant lui, oeuvre d'historien et parla le premier des "Arcana" s'appuyant sur le fait que les hiéroglyphes n'étaient pas encore déchiffrés au moment de la création des rites égyptiens, en déduit que le véritable enseignement des "Arcana" n'a pu être que beaucoup plus ancien. 

Et il se pourrait bien qu'il ait raison.

Il semble donc qu'à travers les siècles une fraternité extrêmement secrète ait réussi à maintenir une filiation initiatique et des processus opératoires majeurs en dehors de toute connaissance du grand public.

Essence ultime de l'enseignement initiatique, les "Arcana" trouveraient donc leurs origines bien avant une résurgence troublée dans les rites de Misraïm. 

Le peu qui en est évoqué n'est pas sans rappeler les Rose-croix allemands et à travers eux une transmission beaucoup plus ancienne encore. En tout état de cause, la tradition voilée en fait remonter les premières révélations étendues à Cagliostro qui évoque "le secret des secrets". On sait que Cagliostro voyagea en Allemagne en 1779 puis séjourna à Naples en 1783.

Nous revoilà encore en présence du grand copte si cher à Maurice Leblanc qui en fit le père de son héroïne "la comtesse de Cagliostro".





Au cœur du secret


Mais en quoi peuvent bien consister ces pratiques, cet enseignement, ce Secret des Secrets, selon les mots de Cagliostro ?

Selon certaines sources, il s'agirait de pratiques alchimiques,  basées sur l'obtention de substances métalliques par l'intermédiaire de différentes voies.
Mais en parallèle ce serait surtout la recherche d'une véritable transformation physique et morale. Le processus initiatique viserait par paliers successifs à obtenir la "séparation lunaire" puis "solaire" des différents corps de l'adepte pour enfin créer un corps de lumière ou corps de gloire. Et c'est bien là encore démarche d'alchimiste. 
Ainsi se rapproche-t-on du grand mystère alchimique de "l'arcane de Dieu", car c'est ainsi que les adeptes nomment, le trésor des trésors,  le grand oeuvre inaccessible, dit-on sans le don de Dieu et la somme de leurs bonnes oeuvres.

S
elon d'autres sources, ce serait une méthode d'invocation de l'ange gardien ou d'un collège d'anges primordiaux. Ce que semble penser aussi Jean-Pierre Giudiecelli de Cressac Bachelerie, qui y voit "une mise en relations avec des aeons guides qui doivent prendre le relais pour faire comprendre un processus". 
Voilà qui trouve échos dans la décoration de St Sulpice, rappel constant du rôle des anges gardiens.
Invocation de l'esprit ou des esprits afin d'achever le grand oeuvre.

Enfin, on évoque une véritable régénérescence du corps physique de l'adepte à la suite de pratiques extrêmement précises à base d'absorption de produits naturels, d'eau de rosée (encore faut-il savoir ce qui ce cache réellement derrière ces termes), de jeunes et de cures de repos.




Pour d'autres auteurs encore, les hautes Arcanes du Régime de Naples introduisent à une alchimie interne certes mais de tradition égyptienne à la fois isiaque et osirienne.  Les rares spécialistes qui s'autorisent à développer de tels sujets y voient la résurgence de pratiques mystiques chaldéo-égyptiennes, système qui aurait subi une "christianisation" ou une "hébraïsation". On évoque même l’expression de "christianisme chaldéen".
Christianisme particulier qui semble bien éloigné du Razès, mis à part, nos familles fortement initiées et toutes regroupées dans un périmètre trop proche de l'épi-centre de nos énigmes.

Mais, en est-on si sûr ?

Un blason a fait beaucoup parlé certains intervenants sur les forums spécialisés, il est visible gravé dans la paroi des grottes des ermites de Galamus qui sont censés avoir été des ermites de l'ordre de St Antoine (originaires de thébaïde). 
J'ai pu lire que nous étions là face à une symbolique templière mais en réalité, il s'agit du blason des ermites des Carmes (3), ordre fort ancien remontant au XIIème siècle, fondé par des croisés et qui se constitua sur le mont Carmel en Palestine en des grottes ou le prophète Elie était réputé s'être lui-même retiré auprès d'ermites juifs.

Avec l'approche des sarrasins, dès 1244 les ermites commencent à quitter leur lieux de retraite. Certain s'installent en France près de Marseille en un lieu nommé Aygalades. « Aqua lata », en latin : les « Eaux répandues » où une certaine Marie-Madeleine s'était abritée sur le chemin de la Sainte-Beaume. Saint-Louis, plus tard René d'anjou les dotent en terre.
D'autres irent-ils s'installer à côté de leur frères ermites de Galamus ?

La chapelle des Carmes de Loudun présente de curieux graphites (voir illustration ci dessous qui appelèrent les commentaires en 1929 de Louis-Charbonneau Lassay (4) :


"Auraient ils (les carmes) apporté aussi avec eux des traditions plus anciennes venues des centres religieux de la Chaldée, du Touran ou de l'Inde qui pourraient expliquer parmi les graffites de leur monastère de Loudun la présence de signes mystiques originaires de l'Asie centrale? Ou bien les auraient ils empruntés à ces groupes hermétiques du Moyen-âge, d'une orthodoxie catholique parfaite du reste, tels que les "Rose-Croix" d'alors ou la "Fede Santa" a laquelle appartenait Dante, ou la "Messenie du saint Graal", groupements initiatiques qui connaissaient beaucoup plus parfaitement qu'on ne le croit généralement les sens cachés des vieux symboles de toutes dates."





Les carmes vénéraient tout particulièrement Elie bien sûr, et Marie et certains des graphites découverts à Loudun ne sont pas sans nous rappeler le monogramme de Marie présent dans Notre Dame de Marceille. On estime que ces inscriptions de Loudun datent du XVème siècle et donc avant que La compagnie des prêtres de Saint-Sulpice ne l'adopte en y adjoignant deux points sur les barres verticales du M, avant la réalisation du retable de Notre Dame de Marceille et avant encore l'arrivée sur le site des Lazaristes.

Voilà qui ouvre bien des perspectives de filiations en une région si riche en traditions et mystères.

Christian Attard


Le monogramme des sulpiciens





 Les inscriptions de Loudun (XVème siècle)



Coffre de Notre Dame de Marceille





Sources :

(1) Gastone Ventura - Les rites maçonniques de Memphis-Misraïm - Traduction Gérard Galtier et Sophie Salbreux aux Editions Maisonneuve et Larose (1986)

(2) Gérard Galtier- Maçonnerie égyptienne, rose-croix et néo-chevalerie - Éditions du rocher.
Serge CAILLET, Arcanes et Rituels de la Maçonnerie Égyptienne
Jean Pierre Giudicelli de Cressac Bachelerie, dans son livre De la Rose Rouge à la Croix d'Or, Éditions Axis Mundi (Paris - 1988)

(3) Les Carmes ont vénéré la Vierge, et leurs monastères avaient comme chiffre héraldique les lettres M et A superposé. A la révision de l'Armorial Général de 1696, le monastère des Carmes de Loudun fit enregistrer, comme blason officiel, d'argent aux deux lettres M et A entrelacées de sable, couronnées d'or et accompagnées en pointe d'un cœur percé de trois clous de sable.
(source  Charbonneau-Lassay - Le Cœur et les Trois Clous, dans Regnabit, 5e année, n. 7, décembre 1925, pp. 10-22.

(4) http://www.cesnur.org/paraclet/archive_2.htm





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