Traduttore, traditore ?

Dans l'énigme qui nous occupe certaines affirmations semblent établies sur lesquelles personne ne revient. 
La plupart de ces "vérités auto-proclamées" nous viennent à l'origine du livre
"l'Or de Rennes" de Gérard de Sède, et nous avons vu à quel point cet ouvrage était d'une grande fantaisie, (pour être aimable). voir ici  

Il en est ainsi de la célèbre phrase qu'aurait prononcée Bérenger Saunière en présence du curé de Campagne-sur-Aude, Antoine Beaux et qui est indiquée pages 65-66 de l'ouvrage de Gérard de Sède.

Antoine Beaux aurait dit un jour à Bérenger Saunière :

"Mon cher, à vous voir mener si grand train, on croirait que vous avez trouvé un trésor !"

Saunière lui aurait alors répondu en patois :

"Me l'an donat, l'ai panat, l'ai parat é bé lo teni". 

Ce qui est invariablement traduit par :

Ils me l'ont donné, je l'ai pris ou pour de Sède j'ai mis la main dessus, je l'ai apprêté; et je le tiens bien

Mais en consultant nos anciens et quelques dictionnaires de patois, la traduction pour ce peu de mot est loin d'être correcte et peut-être plus révélatrice de ce qu'avait vraiment en tête Saunière, de Sède ou d'autres...

Bérenger Saunière, voleur aussi ?

Si "Me l'han donat" signifie bien en patois, plutôt catalan qu'occitan : "ils me l'ont donné", on peut s'interroger sur le sens de ce verbe "DONNER" et sur ce pronom de la troisième personne du pluriel : "ILS" ! 
Qui sont ces mystérieux "
ILS" et qu'ont-"ILS" ..."DONNE" à Bérenger Saunière ?

Convenons qu'on ne donne pas un trésor, on ne donne pas non plus le lieu d'un trésor. On "trouve" un trésor, on "découvre" un trésor...
Ce "ILS" sous-entend donc un groupe plus ou moins étendu, organisé d'individus qui ont décidé de "DONNER"  à Bérenger Saunière. 
Pourquoi lui donner un trésor ? Donner ? La suite de notre analyse va nous permettre de douter de ce "DON"

L'église d'Antoine Beaux à Campagne/Aude
(CPA Labouche frères Toulouse)

"L'ai panat" - "J'ai mis la main dessus", tente de traduire habilement De Sède en réorientant pernicieusement ses lecteurs, conscient que la première affirmation était contraire à l'idée de la découverte d'un trésor. 
"Mettre la main dessus" en effet, essaie de nous ramener à l'idée d'une découverte. Seulement voilà, panat veut bel et bien dire : "
VOLER"... "Robat" en Catalan !
Et cela, on peut supposer que De Sède, le savait et qu'il ne pouvait laisser courir l'idée que Saunière loin d'avoir trouvé le trésor qu'il nous vendait dans
"L'or de Rennes", avait en fait volé quelque chose que ILS lui avaient DONNE !

Nos auteurs plus modernes qui en principe comprennent parfaitement le patois, ont même remplacé ce "mis la main dessus" par "pris" (1) !
A ce stade de la réflexion, résumons-nous "ILS" "DONNENT" quelque chose à Saunière qui le leur "VOLE". Ce vol nous amène à reconsidérer la portée du verbe donner car on ne peut voler quelque chose que l'on vous a donné, on peut par contre voler quelque chose que l'on vous a "CONFIE".
On pourrait donc légitimement supposer qu'un groupe d'homme a confié à Bérenger Saunière de l'argent ou en tout cas des objets, des valeurs qui, une fois utilisés, dégageraient une forte valeur monétaire.

Le domaine de Saunière, donné ? volé ?

Mais continuons...
"
l'ai parat", nous dit maintenant l'indélicat Curé. traduit donc par "je l'ai apprêté", un des sens du verbe Parar et qui ici continue à bien arranger nos partisans de la thèse du Trésor. 
Mais Parar signifie surtout : "mettre à l'abri de tout danger". On y retrouve la racine para (paratonnerre, parasol, parapluie), utilisée de la même manière en patois.
Et voilà encore qui est bien plus logique, Saunière nous dit donc qu'on lui a confié quelque chose, qu'il a volé ou détourné de son utilisation première et que maintenant, il a soigneusement mis à l'abri pour son propre compte. 
Car il conclut, et cette fois la traduction est bonne : et je le tiens bien ! Dans le sens : ils peuvent toujours venir, je ne le lâcherai pas facilement : je le tiens fermement !

Au fond quelques mots qui mieux traduits ou traduits autrement sont bien plus révélateurs, me semble-t-il, d'une des manœuvres de notre curé car on ne peut croire à une seule explication pour une énigme aussi protéiforme.

Christian Attard

Voir dans la continuité de cette interprétation-traduction ma page sur les "francs-catholiques".
Notes et sources :

(1) Franck Daffos - Le secret dérobé - Éditions l'œil du Sphinx- page 18 entre autres car ces traductions se retrouvent partout sur Internet.
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