Le devoir de Dieu  - 3 -

Une réunion de compagnons en 1920.
Les cannes sont entrecroisées formant compas et équerres symboliques.
(CPA source internet)

Il devient envisageable de supposer que la décoration de l'église de Rennes-le-Château (sur un lieu de culte privilégié) fut tout particulièrement soignée par des compagnons et pour des compagnons et que donc, réapparaisse un de leur symbole fort : la fameuse croix pseudo celtique. 

Cette croix est aussi présente dans la chapelle mortuaire d'Élie Bot, l'entrepreneur du domaine de Bérenger Saunière, très probablement affilié lui aussi à une confrérie de métier. D'autres symboles peuvent alors être décryptés dans la petite église et ils parleront aux visiteurs compagnons du Saint Devoir.


Tympan n°2 de la maison canoniale de Chartres
(Source "Bulletin monumental n°75)

A Chartres, en mai 1911, on découvrit sous les vieux enduits d'une maison canoniale du XIIIe siècle (1) , six tympans sculptés de toute beauté. Dragons, lutteurs, et décors végétaux côtoient une scène bien conservée où l'on voit deux joueurs de dés. Il semblerait que Villard de Honnecourt, maître d'œuvre du XIIè siècle (2) fit plusieurs croquis de ces tympans car on retrouve dans son célèbre carnet, presque côte à côte (folio 14 et 15), les lutteurs et les joueurs de dés.
La maison de Chartres appartenait à Gilles Pasté, prévôt de Normandie entre 1250 et 1275, puis évêque d'Orléans, on ne peut dès lors penser, comme le firent beaucoup, qu'il s'agissait là d'une maison de jeu !
Par contre, il est peut-être bon de rappeler que c'est bien lors de l'édification de la cathédrale d'Orléans sur les ordres de ce même Gilles Pasté que travaillèrent en 1288 les maîtres Jacques Moler, tailleur de pierre et Soubise de Nogent , charpentier (Voir à leur propos notre premier article ici). Ce rapprochement entre la maison aux tympans sculptés de Chartres et Orléans n'a effleuré l'esprit d'aucun historien du compagnonnage, il me semble pourtant primordial.

Car en se détachant des représentations dessinées pour les ramener à leurs lignes les plus simples, on pourrait alors penser que les lutteurs figurent les branches d'un compas-combat en se rappelant que le mot compas vient du latin compassare : mesurer, construire. Les lutteurs seraient alors l'allégorie de ces forces dont l'apparente opposition renforce la cohésion de l'ensemble du grand oeuvre gothique. La tête unique, visible ici, est clef de voûte de l'ensemble structurel d'une cathédrale qui ne tient que par la puissance et la justesse de ses mesures. L'assise des joueurs de dés marque quant à elle, les formes de deux équerres vis-à vis complémentaire du compas.
Cette assimilation pourrait paraître exagérée si elle n'était renforcée par la valeur des dés. 

Valeur que nous précise un extrait de la revue  "Historia" (3) : (../.. sur les trois dés de l'un des " joueurs " sont gravés les points habituels, indiquant trois, quatre et cinq (précisément les nombres qui forment le triangle " égyptien ", que tous les compagnons, même encore apprentis, connaissent et qu'ils réalisent avec la corde à  12 coudées, ou 13 nœuds). Mais, sur les dés de son vis-à -vis, l'on aperçoit une étoile à  cinq branches, une croix pointée, et sur le troisième dé, la pointe d'une autre étoile, ce qui indique que c'est un initié parvenu à  la connaissance de la géométrie. Une confirmation de cette interprétation est donnée par le fait que - ce n'est peut-être pas un hasard - juste au-dessus de cette scène, Villard a dessiné un sanglier et un lapin, dénominations traditionnelles chez les compagnons pour désigner respectivement l'initié et l'apprenti."

Ce sont précisément ces points "trois, quatre et cinq" que révèle le tirage des dés du légionnaire de la station X du chemin de croix de Rennes-le-Château. Cette suite pythagoricienne était bien connue des compagnons qui la surnommaient le "tracassin" (troisquatrecinq), elle leur permettait en effet de construire un triangle rectangle parfait et à partir de lui de projeter des figures au sol de grande régularité. L'équerre maîtrise le hasard des formes, elle assure avec le compas les bases de toute construction d'envergure. On comprend dès lors que ce soient les outils indispensables de tout compagnon.

Les dés marquent le : 3 - 4 - 5 sur la station X du chemin de croix de Rennes

Les dés marquent le : 1 - 4 - 5

Marques de compagnons sur les jetons de l'initié

Les joueurs de dés du carnet de Villard de Hennecourt

Aux pieds même de la statue de l'ermite Saint Antoine de Rennes-le-Châyeau, le cochon n'est donc plus cochon mais sanglier, symbole pour les compagnons du "saint devoir de l'initié".  L'ermite étant tout particulièrement vénéré par ces mêmes compagnons car Maître Jacques se fit ermite à la Saint Baume même.

Voilà qui pourrait expliquer la très grande attention portée par Giscard à la décoration de l'église de Rennes-le-Château alors même que Saunière eut cette étrange phrase le lundi 10 mai 1897 en résumant une lettre à un Giscard qui tarde à lui livrer les statues de l'église : 

" Si les marchandises ne sont pas ici avant la fin du mois il peut les garder " !! 

Pour qui donc avaient-elles tant de valeur, si hors délais, Saunière est prêt à lâcher ses statues " codées " !! Saunière ou Giscard ? 
Bérenger Saunière privilégiait l'approche financière et les délais pour sa proche fête inaugurale, sa facture fut sûrement largement allégée par la volonté des Giscard de travailler à la décoration d'un tel sanctuaire. Et cette décoration est beaucoup plus soignée qu'ailleurs.

Ainsi, il est fort probable que des signes d'appartenance à divers groupes de corps de métier aient été placés sur le domaine de Saunière que ce dernier en ait été conscient ou pas.

 

L'inscription sur la tour "Magdala" de Rennes-le-Château
(Photo Christian Attard)

Un autre exemple est là, sous les yeux de tous, au fronton de la fameuse tour Magdala ou la graphie de " Magdala " en onciales très particulières utilisées par les artisans bâtisseurs et graveurs n'est autre, une fois encore, qu'un des grands symboles de reconnaissance des compagnons graveurs de pierre comme nous l'explique  Maurice Vieux dans son ouvrage  "Les secrets des bâtisseurs"  (4) :

Le M très caractéristique et à ses côtés, 
équerre et compas entrecroisés

Le symbole marial omniprésent à Notre-Dame de Marceille
 du M et du A entrecroisées

Enfin, un autre symbole qui a tant fait parler de lui : le fameux "N inversé" est lui aussi un signe évident d'appartenance au mouvement des compagnons du devoir. Ainsi, souvenons nous de la croix dédiée à Marie Madeleine devant sa petite chapelle de Pezens. De nombreux signes relevés sur la façade du petit sanctuaire nous rappelaient alors le culte des compagnons du Devoir.

La croix au N inversés de Pezens41

 Maurice Vieux nous indique qu'il s'agit bien là d'un signe laissé par les compagnons de devoir :

N inversé qu'il faudrait peut-être ré-interpréter uniquement sur le plan géométrique comme support d'une figure assemblant compas et équerre, intimement imbriqués en une même lettre.
Ce N inversé figurait sur la croix qui surmontait la tombe de Bérenger Saunière. Ce signe de reconnaissance (au sens de d'appartenance à un mouvement secret) était-il aussi signe de reconnaissance (au sens de gratitude) envers un homme qui avait tant œuvré au culte de leur très sainte patronne ?

Cette étude en trois parties me semble offrir une nouvelle voie de recherche qui ne s'oppose absolument pas à la supposition d'un lieu oublié sous l'église de Rennes. Notre affaire étant bien plus complexe que nous pourrions le croire, il nous faut patiemment démêler les multiples influences et apports qui constituent le charme de ce lieu mythique.

Christian Attard

La croix au N inversé sur la tombe de Bérenger Saunière


Notes et sources

(1) Maison appartenant au Cloître Notre Dame est sise au n° 11 de la place de la Cathédrale. Une description complète fut faite par M. Maurice Jusselin  pour le "Bulletin monumental" de 1911 (volume 75)
(2) voir notamment ce site : http://villarddehonnecourt.free.fr/
(3) http://www.historia.fr/content/recherche/article?id=19252
(4) Les secrets des bâtisseurs. Robert Laffont, coll. "Les énigmes de l'univers" 1975
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