Le devoir de Dieu


Un compagnon cloutier
(carte postale) 


Il existe un mouvement rarement évoqué en France lorsque l'on parle d'ésotérisme ou d'initiation. Il est vrai que dans ces domaines, il est fort difficile d'apercevoir dans l'ombre de la toute puissante Franc-maçonnerie, les évolutions devenues très discrètes de ses véritables créateurs. Bien avant Rose-Croix, templiers ou Francs-maçons, la France romane était déjà parcourue en tous sens par ceux qui se nommaient "Compagnons de Devoir".

Le 8 février 1897, Charles Dénarnaud, forgeron à Alet vint placer à Rennes-le-Château, à la demande de Bérenger Saunière, six troncs en ferblanterie munis de serrures. L'année suivante, le prêtre fit l'acquisition d'un tronc supplémentaire en vieux chêne monté sur colonne avec chapiteau pour un coût de 400 frs. Sur ce tronc était inscrit : "Chrétien, laisse en ce lieu tomber une discrète aumône, même ici bas la main de Dieu récompense celui qui donne." 
Dans un village aussi pauvre que l'était Rennes-le-Château de qui Bérenger Saunière attendait-il autant de gestes de générosité ?
Le prêtre s'en expliquera aux temps de son calvaire personnel face à ses accusateurs de l'évêché de Carcassonne, par écrit, dans une lettre du 25 mars 1911, où il ne mentionne que ce tronc principal qui selon ses mots : 

"../.. était destiné aux visiteurs qui après avoir entendu mes explications sur Rennes-le-Château et accepté mes politesses récompensaient ma complaisance par une aumône qui en définitive était un pourboire."

Les mots sont forts et au fond le desservent sans même qu'il ne s'en rende compte. Il parle de "politesses" de "complaisance" de "pourboire". Démarche si peu conforme à l'attitude révérente d'un prêtre en son église. Mais Bérenger Saunière était ainsi, la fin justifiait les moyens et si ces quelques pourboires allaient lui permettre de continuer ses oeuvres, il passait sur la renonciation au sacré qu'ils impliquaient pour sa fonction. L'église a connu et connaît bien pire ! 

Mais qui étaient ces visiteurs ?
Là encore, le prêtre s'explique dans la même lettre :
"les baigneurs de Rennes-les-Bains et d'ailleurs étaient nombreux"
Encore fallait-il les attirer à Rennes-le-Château et reconnaissons qu'il fit tout ce qu'il fallait pour cela, aidé très certainement par les deux prêtres de Rennes-les-Bains.
 
Mais Bérenger Saunière bénéficiait aussi d'un autre atout majeur qu'il ne pouvait mentionner dans ses rapports à l'évêché...

La Krak des Chevaliers (Syrie), oeuvre grandiose des Compagnons du Saint Devoir de Dieu.
Source libre Wikipédia

La légende des bâtisseurs du Temple de Salomon à Jérusalem et du meurtre d'Hiram, son maître d'œuvre ne vient pas de nos modernes Francs-maçons mais bien des toutes premières confréries de métier. Lorsque les armées successives de croisés partirent pour Jérusalem, elles avaient dans leur rang nombre de maréchaux-ferrants, armuriers, tailleurs de pierre et charpentiers. Il faut être bien naïf pour croire que les templiers "moines-guerriers" avaient quelques notions que ce soient en matière d'architecture. Ils laissèrent cela aux bénédictins pour la conception et aux compagnons regroupés sous leurs ordres dans une organisation nommée "Le Saint Devoir de Dieu" (1). Car c'était bien au Devoir de Dieu que ces ouvriers s'appliquaient en Terre Sainte. Ils ont gardé depuis cette si belle notion de devoir qui fait non pas des compagnons une quelconque association mais un véritable Ordre.

Chromo publicitaire représentant le compagnon sur son Tour de France

Il est impossible ici d'évoquer les rites, symboles et initiations transmises depuis cette probable création du mouvement en Terre Sainte. Mais il est important de savoir qu'un des maîtres fondateurs des Compagnons fut, selon leur légende, Maître Jacques, oh combien vénéré encore de nos jours. 
Ce maître, après avoir participé à la construction du Temple de Salomon, serait revenu en France où il aurait  subi les attaques d'un groupe rival affilié à un ancien ami, maître Soubise. Après bien des vicissitudes, maître Jacques finit ses jours à la Sainte Beaume. Fin de vie qui fut aussi celle de Sainte Marie-Madeleine en provenance du même lieu et morte au même endroit. On comprend donc que Marie-Madeleine ait été particulièrement vénérée par les compagnons qui accomplissent pèlerinages et dévotions en son jour de fête, le 22 juillet.
(2)
Il est plus que probable que maître Jacques fut le maître d'œuvre de la Cathédrale d'Orléans, Jacques Moler, tailleur de pierre, l'autre étant Soubise de Nogent, charpentier. Coïncidence ?

Tout cela bien sûr, Bérenger Saunière ne pouvait l'ignorer contrairement à nos chercheurs patentés qui sont passés au-dessus, visant Franc-maçons pour la plupart. Ainsi André Douzens (3) qui suppute une éventuelle "confrérie du fer à cheval" devant la chapelle dédiée à Marie-Madeleine à Pezens ! n'a-t-il pas songé aux compagnons forgerons et charrons et surtout Maréchaux-ferrants dont Carcassonne était un des points de rencontre privilégié. Passant à Pezens, il apposèrent leurs marques et signes compagnonniques : un fer à cheval !
Sur le chemin de leur célèbre Tour de France, voyage initiatique et formateur, nos compagnons, voyageant dans le sens des aiguilles d'une montre, passaient par Narbonne pour remonter vers Toulouse et s'arrêtaient à Carcassonne avant de prier leur sainte patronne à Pezens.

Comment ces compagnons vénérant Marie-Madeleine auraient-ils pu ne pas pousser plus loin vers Rennes-le-Château en un lieu dédié pleinement à leur sainte patronne et faute de laisser leur marques, donner obole au sympathique curé du lieu ?

Canne et fanion de compagnon 
portant les signes et emblèmes du métier 
et la célèbre phrase du Christ à Marie-madeleine : 
"Noli me tangere"

Et même si ce n'étaient pas ceux du Tour de France, les compagnons des multiples métiers de ce début du XXe siècle, installés en Midi-Pyrénées ne pouvaient ignorer ce site entièrement dédié à la Sainte. De son côté, on imagine mal Bérenger Saunière ne pas être informé de cela et ne pas en tirer, comme à son habitude, le profit de quelques visites commentées et récompensées.

Bérenger Saunière réussit donc à réaliser, malgré la pauvreté et l'isolement de son village, un véritable sanctuaire dédiée à Marie-madeleine. Utilisant les ressources de l'entraide diocésaine et nationale par l'intermédiaire d'associations telles que celle de l'œuvre des Prêtres Adorateurs, mais aussi l'attrait touristique des lieux, il ne négligea pas non plus le grand courant ancestral des Compagnons de Devoir. 
A cela devront s'ajouter encore les revenus obtenus par une multitudes de commerces parallèles (ventes d'antiquités, cartes postales, vin et autres produits, placements, loteries..) qui feront du prêtre de Rennes-le-Château, homme intelligent et entreprenant, un affairiste multicartes.

Marque de compagnon maréchal-ferrant à Pezens (Aude) 

Nous aurions tort de croire qu'il fut un cas unique car en ces temps difficiles d'autres prêtres vendaient les lainages produits par leur propre métier à tisser dans des vallées peu éloignées de Rennes-le-Château ! 

Christian Attard

Assiette de compagnons maréchaux. (source Internet) 
Le compas et l'équerre (symboles communs à tous les compagnons), 
le triangle et bien sûr le fer à cheval sont bien présents. 
Leur saint patron était l'alchimiste royal  : Saint Eloi, présenté ici marteau à la main.


Notes et sources
(1) Sur les compagnons et le compagnonnage, on consultera avec intérêt les ouvrages de François Icher dont "Les compagnons" aux éditions La Martinière.
(2) voir "Le compagnonnage" de Bernard de Castéra aux Presses Universitaires de France en 1998
(3) voir sur le site Périllos l'article suivant : http://www.societe-perillos.com/pezens_1.html
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