La madeleine de Pezens 





Le chapelle de Sainte Madeleine à Pezens (Aude)
(Photo Christian Attard)




Pour bien des personnes le site de référence de la dévotion à Sainte Madeleine est Rennes-Le-Château. Ni la Sainte-Beaume, ni Vezelay ou Saint-Maximin et encore moins Éphèse ne leur viennent à l'esprit. Et pourtant, ce culte si affirmé localement ne semble pas avoir marqué les mémoires avant sa redécouverte tardive. Le village, bien que remarquable, fut après guerre bien éloigné de toutes nos considérations actuelles (1) . Et dans l'Aude, seul un site retient l'attention des religieux historiens.




Mgr Rivière, vicaire général de Carcassonne en 1948, dans un très intéressant ouvrage intitulé : "la sainteté en pays d'Aude" (2) ne mentionne en effet que le seul village de Pezens comme étant plus particulièrement voué au culte de la plus célèbre des pénitentes.
 
Venant de Toulouse pour nous rendre à Carcassonne par la nationale, nous passons devant ce modeste édifice très anciennement dédié à la Sainte, souvent sans même le voir, tellement il est dangereusement placé entre deux voies à grande vitesse. 

Construite au Xème siècle, souvent restaurée ou réaménagée, cette chapelle a beaucoup souffert. Notons qu'en 1295, Philippe le Bel céda la seigneurie de Pezens à Guillaume de Voisins, et sa famille la conserva jusqu'à la Révolution. Leurs armoiries en témoignent encore sur une clef de voûte.


Les armoiries de la famille de Voisins
(Photo Christian Attard)





Une croix aux N, comme il se doit, totalement inversés, nous précise que ce lieu est celui de "Magdelene". Croix y est obstinément écrit avec un S, preuve que les graveurs n'écoutaient pas grand monde ! 
Socle et fût sont très ancien, alors que la croix semble être de facture plus récente.
A l'intérieur, un très beau tableau, misérablement dégradé par l'incurie des hommes et du temps, nous permet de retrouver Madeleine en extase. Son si beau visage contraste étonnamment avec le reste de la peinture plus grossière, peut-être, sûrement,  maladroitement retouchée. Madeleine nous est dépeinte ici très richement parée, entourée de somptueux tissus, coffrets de perles et bijoux. Touchée par l'appel divin, elle est sur le point de tout abandonner et suivra le Sauveur sur la voie du renoncement et de sa future Pénitence. 
De précieux détails sont malheureusement perdus à jamais. 





(Photo Christian Attard)



Pezens est donc l'occasion pour Mgr Rivière de faire l'éloge de la compagne de tous les instants du Christ, que ces moments soient heureux ou sinistres, et il insiste sur le fait qu'elle fut en tout la première :
"Au matin de la résurrection, elle fut la première au sépulcre, la première à laquelle le Sauveur ressuscité apparut, la première qui reçut de lui, l'ordre d'aller annoncer sa résurrection aux apôtres et aux disciples, la première à qui il fut donné de publier la gloire de sa vie nouvelle et son triomphe sur la mort, sur le péché et sur ses ennemis."

Étrangement, le prélat ne mentionne donc même pas Rennes-le-Château qui à cette époque semblait en plein oubli, volontaire ou pas. D'ailleurs cette zone de l'Aude a très peu attiré son attention.





La croix au N inversés devant la chapelle de Pezens - CROIS DE SAINTE MAGDELENE
(Photo Christian Attard)









Sainte Marie Magdeleine 
dans l'église de St Paul de Fennouillet (66).
(Photo Christian Attard)

Depuis, de nombreux chercheurs ont relevé la présence de la sœur de Lazare et de Marthe en bien d'autres lieux que Rennes-le-Château, mais jamais aussi fortement exprimée que par l'œuvre de Bérenger Saunière.
 
D'autres églises cependant, ont eu et depuis fort longtemps, et bien avant notre turbulent curé, de nombreuses attentions à la Sainte suivante du Sauveur.
Ainsi la vénérable église de Saint Polycarpe, autrefois église de l'abbaye et aujourd'hui confortable église paroissiale parfaitement restaurée, présente un très beau tableau des Saintes femmes au tombeau.(voir photo ci-dessous) 
Sa façon nous inciterait à le dater du XVIIème siècle, mais aucune signature ou date ne nous confirme dans cette idée. Madeleine y est resplendissante et domine une composition où tout semble s'organiser autour d'elle. Du calvaire au tombeau, une diagonale nous conduit naturellement à une inscription assez rare : "tulerunt dominum meum" - Ils ont volé mon maître. 
Une Madeleine vêtue d'une robe d'un pourpre éclatant est rare, toutes les représentations de l'église de Rennes-le-Château ont fait le choix raisonnable d'une autre couleur. Le pourpre étant réservé au pouvoir, aux cardinaux. 
Autre code visuel traditionnel de la Sainte : ses doigts croisés. Ce signe ne suffit cependant pas toujours à la distinguer comme le montre un autre tableau offert aux regards des paroissiens de l'Église de Saint-Paul où ce sont les doigts de Marie qui sont croisés. Mais ici, le vase aux baumes à ses côtés, cette couleur rouge, alliés à la belle chevelure défaite de la Sainte ne permettent plus le doute.
Car, il nous faut rappeler que les codes de représentation des Saints sont constants et parfaitement cohérents. 
Ainsi pour Marie Madeleine, les doigts croisés, signe de profonde douleur lors de la mort du Christ ou de contrition; la chevelure défaite (avec laquelle elle essuya les pieds du Christ); le vase contenant les baumes, sa position généralement aux pieds de la croix ou à ceux de Jésus; le tombeau ou la grotte (dans laquelle elle finit ses jours), livres et cranes symboles des "vanités" de ce bas-monde permettent de l'identifier avec sûreté. 




Sur ce tableau de Saint-Polycarpe, Madeleine pleure donc la disparition du corps de son "rabouni", on peut  penser qu'aucun ange encore n'est venu la prévenir et la consoler. Mais même après les avoir entendus, elles continuera, selon les textes liturgiques, à penser que le corps a été dérobé. Seule la vision du Christ-jardinier ressuscité lui ôtera cette idée.
Bien étrange tableau, en effet que cette représentation ici, d'une Madeleine éplorée, bien étrange et si difficilement compréhensible dans un contexte chrétien de croyance en la résurrection. Nous y reviendrons.





Sainte Marie Magdeleine 
dans l'église de Saint Polycarpe (11) -
(Photo Christian Attard)




L'église de Saint-Paul de Fennouillet présente, elle-aussi, un très beau tableau d'une descente de croix où Saint Jean soutient le corps du Christ, face à Marie qui elle, cette fois, croise les doigts. Madeleine baise les pieds du gisant, les cheveux défaits dans une posture qui nous rappelle la vision de Catherine Emmerich (3) qui décrivit la Sainte comme reposant son visage sur les pieds de Jésus à la descente de la Sainte croix. Le tableau, bien que plus "classique" que celui de Saint-Polycarpe donne là encore une place importante à Madeleine vers qui une composition extrêmement habile ramène toujours le regard.



Descente de croix 
dans l'église de Saint Paul (11) -
(Photo Christian Attard)




Même la très talentueuse peintre de Limoux, Marie Petit dont le musée Petiet de sa ville expose les si touchantes oeuvres n'a pas échappé à cette énigmatique attirance pour la Sainte. Pourtant visiblement portée vers des sujets issus des classes sociales, bourgeoises ou ouvrières qu'elle côtoyait, elle a magnifiquement peint une Marie Madeleine en méditation offrant son dos dénudé au soleil de ce qu'il est convenu d'être la Provence.




Ainsi se présente dans ces régions une autre manière d'aborder l'énigme constituée non pas par l' utilisation de la Sainte dans de possibles codages trésoraires mais bien par son incompréhensible sur-représentation artistique.
Car si le chercheur persévérant explore avec ténacité les églises de départements plus éloignés des deux Rennes, il ne pourra que constater la quasi absence de représentation importante de la Sainte. Ce qui ne veut pas signifier leur absence totale car un médaillon, une partie d'un vitrail, ou une mise au tombeau permettront de retrouver notre Madeleine. Mais il sera bien rare de la voir mise en une telle évidence sur de très beaux tableaux. 
A une exception près, la dévotion de Louis de Coma, prêtre qui lui aussi s'enrichit de manière bien étrange au point de construire un domaine plus grand et plus coûteux encore que celui de Bérenger Saunière et cela bien avant lui.
Dans le milieu des chercheurs castelrennais, Il est tacitement accepté de très peu évoquer cet incroyable épisode qui finit par un dynamitage, autorisé celui-là, de ses constructions.


Christian Attard



La Madeleine de Marie Petiet
Musée Petiet à Limoux (11) 
(Photo Christian Attard)






Notes et sources :

1) - Christian Doumergue est l'auteur de plusieurs ouvrages qui font autorité sur Marie Madeleine dont aux Éditions Lacour : Marie-Madeleine, la Reine Oubliée, une publication en deux volumes d'un peu plus de 640 pages chacun, respectivement intitulés : "L'Épouse du Christ" et "La Terre Élue".
(2) - Mgr Jean Rivière - La sainteté en pays d'Aude - Narbonne - Brille et Gautier 1949
(3) 
- Catherine Emmerich - La douloureuse passion - Alexis Redier - Paris 

cATHERINE 

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