Le devoir de Dieu - 2 -


Croix au sommet d'une chaire Giscard, ni celtique ,
ni Rose-croix
(Photo François Pous) 


Nous avons évoqué les  "Compagnons du Devoir" et leur vénération pour Marie-Madeleine, comprenant ainsi qu'ils ne pouvaient ignorer Rennes-le-Château, mais sans toutefois relever dans ce premier article de symboles forts pouvant laisser à penser que Bérenger Saunière avait leur sympathie, voir leur soutien. 
Cependant, à y regarder de plus près, certains signes autour du plus turbulent des prêtres que le Razès n'ait jamais connu
pourraient nous confirmer ce lien supposé.

Louis Charpentier dans son ouvrage "Les mystères de la cathédrale de Chartres" (1) revient bien sûr sur les origines des confréries et corps de métier. Il distingue lui aussi trois groupes baptisés : "Enfants de Salomon", "Enfants de maître Soubise" et "Enfants de maître Jacques".
Les Enfants de Salomon, intimement liés à l'ordre du Temple et aux cisterciens de Saint Bernard, auraient été les maîtres d'œuvre et "oeuvriers" des grandes cathédrales gothiques. Ils signèrent parfois leur présence par une croix de Salomon. Les enfants de maître Soubise, étant, toujours selon Charpentier, liés aux bénédictins et aux constructions romanes. Enfin les Enfants de Maître Jacques, essentiellement présents dans le sud de la France, auraient signé leur travail et leurs églises par le chrisme ou la croix d'apparence celtique, croix entourée d'un cercle qui ne se rencontrent, sauf rares exceptions en effet, que dans le Midi. 
Voilà étrangement deux éléments qui ne peuvent manquer de nous interpeller. L'ancienneté de ces signes et pétroglyphes pourrait aussi conduire à une autre hypothèse qui serait la fusion des Jacques, issus des enfants de Salomon au sein d'un même groupe de bâtisseurs. Mais Charpentiers, revenant sur ces différentes hypothèses, envisage la possibilité d'unions bien plus anciennes et remontant aux temps celtiques et druidiques. Les bâtisseurs de cromlech ne seraient autres que ces Jacques dont l'enseignement aurait passé les temps jusqu'à nous s'enrichissant de toutes les cultures et de tous les savoirs
(2). Nous ne possédons malheureusement que très peu de certitudes à propos de ces divers groupes et confréries.

Cette constatation faite sur une signature reprenant la croix celtique peut nous conduire à considérer que loin de ce que pense la majorité des chercheurs, ce n'est pas Bérenger Saunière qui fit le choix le plus fin de sa décoration mais bien des hommes liés par leur appartenance aux " Compagnons du devoir ". Ils laissèrent ainsi à leurs frères passants autant de signes de reconnaissance. Et ce, pour la raison puissante que Marie-Madeleine est leur sainte patronne, la Sainte-Baume leur lieu de pèlerinage, répétons-le.

La croix dans le cercle sur le tombeau d'un compagnon
Cimetière de Terre Clabade -Toulouse

A Rennes-le-Château, on comprend que logiquement, après le premier nouvel autel offert à son église en travaux, Saunière ait voulu décliner un style de décoration général qui le conduisait tout naturellement à faire appel à la même maison Monna qui avait conçu cet autel roman. Ce qu'il fit le mardi 6 octobre 1896 en écrivant aux Monna pour leur demander " les prix relativement aux statues ", puis leur album photographique. Alors que dans le même temps, il s'enquerrait aussi auprès des établissements de la Mission catholique du prix de leurs statues. C'est pourtant vers les établissements Giscard qu'il se tourna finalement, pourquoi ?

La maison des Giscard à Toulouse (milieu XIXème) est aujourd'hui bien décrépie !
(Photo François Pous) 

Il suffit d'observer la façade de la demeure de la famille Giscard à Toulouse pour constater qu'elle est ornée d'une multitude de signes de leur appartenance au mouvement des Compagnons du Devoir (compas, équerres, règles). 

Le compas et l'équerre entremêlés, symbole commun à tous les compagnons
(Photo François Pous) 

(Photo François Pous) 

un sceptre ailé surmonté d'une main dans le centre de laquelle figure un œil fut aussi considéré récemment comme sceptre de justice, oeil de Dieu-protecteur et autres balivernes alors qu'il fut en 1860 symbole pour les Giscard de leur union industrielle. 

Mais surtout, au sommet même de leur maison, plusieurs singes observent, goguenards, les passants de l'avenue de la Colonne à Toulouse. Or, le singe symbolise pour les compagnons le maître accompli, le patron.

Le singe-bourgeois 
(Photo François Pous) 

Et ce singe ci-dessus, placé à l'angle principal de la belle demeure, sous redingote, portant lorgnon et fumant cigare est très visiblement "embourgeoisé". C'est précisément sous cet autre qualificatif de "bourgeois" que les compagnons surnommaient affectueusement mais avec un peu d'ironie leurs maîtres et les Giscard furent tout cela !

Tous ces signes  n'ont donc rien à voir avec une appartenance franc-maçonnique  comme le prétendirent bon nombre de pseudos chercheurs que l'on eut le tort de croire aveuglément. Les bêtises colportées à propos des chemins de croix "maçonniques" produits par la fabrique Giscard, les pseudos observations de symboles ésotériques dans leurs oeuvres sont aussi absurdes que faites à bon compte.
Henri Giscard (1895-1985) fut inscrit à la congrégation des Saints Anges le 10 février 1903 à l'âge de huit ans, on voit mal ses parents accepter l'entrée de leur enfant dans un tel mouvement foncièrement catholique et adhérer d'un autre côté à des idées maçonniques. Toute la décoration des Giscard est au contraire, profondément ancrée dans un catholicisme parfait; contrôlée par des prêtres intransigeants, elle véhicule nombre de symboles à l'ambiguïté mariale et royaliste comme ces croix fleur de lys, par exemple.
Enfin à une époque de forte opposition entre église et franc-maçonnerie, il est inconcevable que de très nombreux prêtres traditionalistes aient fait appel au talent des Giscard si ces derniers pouvaient laisser soupçonner une once d'appartenance à de tels mouvements initiatiques.

Il se trouve donc que ce sont bien des artistes et industriels appartenant au compagnon du Devoir qui obtinrent le contrat de la décoration de l'église de Rennes-le-Château, lieu hautement dédié à leur sainte patronne. Et dans ce cas, rien ne s'opposait à ce que des prêtres travaillent avec des artistes profondément chrétiens comme le requiert l'un des critères de l'acceptation du futur compagnon du Devoir...de Dieu.

Christian Attard

A suivre ...


Notes et sources
(1) Les Mystères de la Cathédrale de Chartres. Robert Laffont, coll. "Les énigmes de l'univers" 1971
(2) Les Jacques et le Mystère de Compostelle. J'ai lu, n° A367, coll. « L'Aventure mystérieuse »
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