Madeleine au limaçon





Le chœur de l'église de Réalmont (Tarn)
(Photo Ch. Attard)





L'église de Notre-Dame du Taur à Réalmont dans le Tarn a pour particularité d'avoir été autrefois un temple réformé. Peu à peu, sur les bases intactes de ce temple, s'est formée l'église actuelle, essentiellement au XVIIème siècle. Une fort belle église, aujourd'hui parfaitement entretenue. En son chœur, un très beau retable composé de colonnes de marbre rose supportant un baldaquin doré entourent une très belle crucifixion. L'agonie du Christ y est présentée dans une posture classique, ce qui est loin par contre d'être le cas de Marie-madeleine. Certes, elle est traditionnellement aux pieds de Jésus ou de sa croix mais en pleurs, agrippée au bois, effondrée de douleur. Ce n'est pas le cas ici, et cette seule particularité incite à un autre regard sur cette toile. 





La crucifixion de Réalmont
(Photo Ch. Attard)




Étrangement allongée, accoudée auprès du crâne oblong d'Adam qui selon la légende aurait été enseveli sur le lieu même ou le Rédempteur allait mourir, elle semble veiller pour l'éternité. Cette étrange représentation n'est malheureusement pas signée. Mais les vêtements que porte la Sainte semblent caractériser le XVIIIème siècle.  Une étude plus approfondie de cette église nous apprend effectivement que le tableau fut offert en 1784 à Réalmont par le Cardinal d'Albi, François-Joachim de Pierre de Bernis (1715-1794).




Homme de lettres, d'Église, ambassadeur à Venise (1752-1755) puis à Rome, ministre d'État, secrétaire d'État des Affaires étrangères, académicien, de Bernis a toujours mené grande vie et grande table ! 
On le disait immensément riche lui qui était né pauvre, de mœurs dissolus et amis de Casanova avec qui il avait, bien qu'abbé, maîtresse commune en la personne d'une accorte nonne.
De source sûre, nous savons Casanova franc-maçon. Il en parle d'ailleurs dans ses mémoires (1) :

«Ce fut à Lyon qu'un respectable personnage, dont je fis la connaissance chez M. de Rochebaron, me procura la grâce d'être admis à participer aux sublimes bagatelles de la franc-maçonnerie. Arrivé apprenti à Paris, quelques mois après, j'y devins compagnon et maître.» 

En effet, en 1750 à Lyon, Casanova entra dans la loge «Amitié, amis choisis», filiale de la Grande Loge écossaise. Puis devint, croit-on, Rose-Croix. Il contribua à son retour à Venise à développer les croyances maçonniques. Proche complice en libertinage de l'abbé de Pierre de Bernis, peut-on supposer que notre futur cardinal fréquentait aussi en loge comme Casanova, le marquis de Sade, Voltaire ... autres de ses amis ?




Un examen plus attentif de notre tableau va peut-être nous donner quelques indices à ce propos.
La forme étrange que dessine le tissu que tient Madeleine est bien intrigante. Comment le pli de ce tissu a-t-il pu marquer à ce point un angle parfaitement droit ?
Un ? A bien y regarder, ce sont plusieurs angles droits qui s'y dessinent !







Et pourquoi le pouce de la Sainte s'y insère-t-il si parfaitement ? Est-ce un pouce "anglais", le jeu de mot est bien tentant mais un peu trop facile peut-être. Ne doit-on pas préférer voir dans cette étrange disposition une discrète allusion au compas et à l'équerre ? Voilà qui parait plus réaliste !
Compas et équerre entrecroisés qui furent et restent avant tout signes des Compagnons.







Marie-Madeleine fut-elle alors dès le XVIIIème siècle et peut-être même avant, le support discret de certains mouvements initiatiques peu connus du grand public. Tout le laisserait supposer car comment croire que cette allusion ne puisse être qu'une "signature" du peintre, alors même que ce tableau commandé a-du être finement observé par le cardinal de Bernis ?

Un peu à gauche de cette main qui maintenant nous laisse interrogateurs, nous allons encore trouver un indice supplémentaire qui peut renforcer nos suppositions. Il se présente sous la forme d'un ombrage hypothétique sur ce même tissu. Car en réalité rien ne justifie une pareille forme. J'y vois la représentation parfaite d'un limaçon !







A priori, il nous faudrait en rigoler ou croire que décidément je prends mes fantasmes pour réalités (2). Pourtant, l'érudit et mystérieux Grasset d'Orcet nous apprend (3) que le hiéroglyphe spécial des maçons était le limaçon, ce qui les avait fait nommer Coquillon ou gens de coquilles, coquillards ou encore caquerolles du nom bourguignon du limaçon. Il semblerait surtout que par altération les freemasons anglais ou libres maçons en français soient devenus des limaçons !

Peut-on comprendre cette forme autrement ?

Cet ensemble de signes en conjonction de sens suffit-il à penser que le personnage de Marie-Madeleine puisse avoir été récupéré ? (4)

Christian Attard





Notes et sources :

(1) Mémoires du cardinal de Bernis, préface de Jean-Marie Rouart, notes de Philippe Bonnet, Paris, Mercure de France, 1986, (Collection : "Le temps retrouvé")
(2) Voir ce site Franc-maçon qui reprend mes recherches en ce domaine avec une douce ironie. Les dictionnaires de symboles maçonniques n'ont pas encore intégré le limaçon de leurs initiateurs maçons et compagnons mais cela viendra ...
(3) Matériaux Cryptographiques - Tome 1, Grasset d'Orcet, éd. Les Trois R, 1983
(4) Voir sur ma page consacrée à un tableau bien étrange sur St Vincent Depaul et aussi sur celle concernant la légende de St Aprodise de Béziers, la récurrence du même signe.






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