Jeux d'esprit

PP


Blaise de Vigenere Euler



Blaise de Vigenère et Léonhard Euler.
(Source libre Wikipédia)




Dans cet immense jeu de dupes qu’est toujours l’histoire de Rennes-le-Château, on ne cessera sans doute jamais de se demander qui tint le premier la barbichette de l’autre !
Gérard de Sède ne fut sûrement pas aussi innocent qu’on veut bien le laisser croire dans la construction loufoque qu’il s’est plu à conforter et il serait bon de réfléchir à ces « cinq faits mythomorphes » dont il nous promettait la parution dans « L’or de Rennes » chez Julliard en 1967.
Il ne fait cependant pas de doutes que les éléments cryptographiques de son montage lui furent apportés. Construction étalée dans le temps, selon lui, pour révéler un secret qu’il était impossible de publier autrement que sous forme d’énigmes.

Les copies des célèbres parchemins lui furent donc confiées en 1964 sans que le message qu’elles dissimulent ne lui soit livré.
Et on peut, pour une fois, le croire.

Gérard de Sède nous indique qu’il eut successivement recours à l’expertise d’un paléographe et de cryptologues.  
Le premier Robert Debant était directeur des Archives départementales de l’Aude et est bien connu de ceux qui se sont penchés sur cette histoire, les autres sont le commandant Edmond Lerville, président de l’Association des réservistes du Chiffre (L’ARC) (1), Monsieur Jacques Vilcocq, cryptologue et le colonel Arnaud, directeur des personnels des transmissions de l’Armée de Terre.
Une première remarque : toutes ces personnes, contrairement aux arnaques régulières de MM. Cherisey et Plantard, qui n’hésitèrent pas à faire parler les morts ou à créer des individus de toutes pièces pour les besoins de leurs montages, toutes ces personnes existent.
Il ne fait donc pas de doute que Gérard de Sède les consulta. Car il les remercia même dans son livre, et il les interrogea en décision propre,
en dehors de tout contrôle de Pierre Plantard.

Ces spécialistes, qui en ont vu d'autres et de bien plus conséquents, sont arrivés facilement au bout du codage puisqu’ils déclarèrent à De Sède que les parchemins étaient bien cryptés par une substitution à double clef (signature de Vigenère) et une transposition sur échiquier (de type cavalier d’Euler). Ils lui ont donc sûrement donné la célèbre phrase : « Bergère pas de tentation… » que pourtant l’écrivain ne livre pas dans son best-seller.

Et à ce stade de ses démarches, car on ne peut taxer Gérard de Sède d'être un imbécile, il a donc du aussi comprendre qu'il avait été floué en tout ou partie.

Cependant dans son livre, la mention même des tableaux de Poussin et de Téniers rencontrés lors du pseudo voyage à Paris de Bérenger Saunière prouve que les commanditaires parisiens du livre avaient connaissance de cette sentence car jamais il ne fut bien sûr retrouvé de reproduction de Poussin, Téniers ou Célestin dans la cure ou la villa du curé.
Et ils en eurent donc connaissance sans l'aide d'experts en cryptogrammes pour la très probable raison qu'ils en étaient les auteurs ou les commanditaires.


Il est donc fort probable qu’une suite devait être livrée au grand public qui aurait donné la clef de la cryptographie des parchemins et que, pour des raisons de mésentente, tout ce soit arrêté à ce premier opus. De Sède ayant été manipulé avec intelligence, il fit la démarche naïve d’aller consulter des experts en cryptographie qui ne manquèrent pas de l’éclairer sur le caractère maladroit du montage. Cela semble entendu.




tablette

En 1891, le magasine Les tablettes du Chercheur évoquait aussi, table en exemple, le codage de Vigenère
(Source Gallica)




Reste le problème tant de fois évoqué de la réalisation du codage dont on a dénié toute paternité à Philippe de Chérisey arguant que le poète étant incapable de s’expliquer plusieurs années après sur la manière dont il avait pu procéder. La réalisation de ce montage ne présente de difficultés que pour ceux qui sont totalement étrangers à ses rouages.
Mais il est à noter que plusieurs ouvrages étaient disponibles dès la fin du XIX ème siècle à leur propos. Ainsi l’almanach hachette (2) expliquait clairement comment coder un message avec le fameux tableau de Vigenère et en donnait même la retranscription pour s’y essayer.

Il n’y avait donc qu’à en suivre les explications claires et à choisir les mots ou phrases clefs en rapport.



Euler 2
La clef des jeux d’esprit par Colibri chez P. Dubreuil Paris 1887.
Page 17, la polygraphie du cavalier y est clairement indiquée. Schéma à l’appui !




Mais l’on sait par ailleurs que Bérenger Saunière était aussi un lecture assidu de ce même almanach  Hachette auquel  il était abonné.
Il n’est donc plus besoin d’aller chercher chez Jules Verne, Maurice Leblanc ou Dieu sait qui, une ou des clefs de cryptographie accessible dans une revue bon marché ! (3)

Cependant, on ne voit pas très bien pourquoi notre entreprenant curé se serait amusé à vouloir imiter des parchemins moyen-ageux, ni pour qui ou pourquoi il se serait donné tant de mal.
Lui qui s'évertua, au contraire à brouiller toutes les pistes.

Un tel raffinement de codage suppose donc que le créateur qui seul en détient les clefs, vérouille sa divulgation et n'en dispense la solution qu'à l'élu choisi. Et cela était bien son intention première. Intention qui fut torpillée par la démarche de Gérard de Sède, en bon journaliste d'investigation, auprès de crytologues professionnels.
Fort heureusement, cet habile montage aboutissant à un message encore plus obscur (la phrase : Bergère pas de tentation...) rien n'était perdu et la bellle histoire de Rennes-le-Château aurait pu produire encore quelques Best-sellers profitables au trio Plantard-Cherisey-De Sède si ce dernier n'avait dénoncé leur accord.

Christian Attard



Notes et sources

(1)
Cette association existe toujours aujourd’hui sous le nom d’Association des Réservistes du Chiffre et de la Sécurité de l'Information. Elle est présidée par M. le général Jean-Louis Desvignes que je remercie tout particulièrement pour son aide à la rédaction de cet article et possède un site internet : http://www.arcsi.fr/index.html
Je remercie également le colonel Cattieuw ancien chef du service central de la sécurité des systèmes d'information et Mme Sophie de Lastours d’avoir bien voulu m’accorder un peu de leur temps précieux.

Colonel A. Cattieuw, “Rétrospective de la cryptologie de 1928 à nos jours”, Bulletin de l’ARCSI, n°26, 1998/1999.

Général J. L. Desvignes, “Les enjeux de la cryptologie” Bulletin de l’ARCSI, n°26, 1998/1999.

Général J. L. Desvignes, “Vers un bonus pour les systèmes d’information de confiance” Risques, n°39, septembre 99.

Sophie de Lastours, 14-18 La France gagne la guerre des codes secrets, Tallandier, Paris, 1998.
Edmond Lerville est l’auteur d’un ouvrage souvent édité : ‎Les Cahiers secrets de la Cryptographie. Le chiffre dans l'histoire des histoires du chiffre Editions du Rocher – 1972


(2) Almanach Hachette - Paris 1894 -  Page 333

(3) Plusieurs ouvrages donnent la méthode de ces différents codages, ainsi :
- La clef des jeux d’esprit par Colibri chez P. Dubreuil Paris 1887. Page 17, la polygraphie du cavalier y est clairement indiquée. Schéma à l’appui.

- Les Tablettes du chercheur : journal des jeux d'esprit et de combinaisons / rédacteur en chef B. Decolombe ; éditeur-gérant P. Dubreuil (Paris) 1890-1905
- Touche à tout : magazine des magazines. Éditeur : Arthème Fayard (Paris) 1908-1914

Voir également de MM. Lange et Soudart – Traité de cryptographie. Edition Félix Alcan




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