Les transhumances du berger Paris


Le berger Paris, un peu avant sa chute
Berger des Pyrénées - oeuvre de Rosa Bonheur




Le premier qui publia dans un livre quelques lignes à propos d'un certain berger Paris fut, je crois, Robert Charroux dans "Trésors du monde" (1). 
Après avoir repris les bêtises que colportait Noël Corbu à propos de la Reine Blanche de Castille et de son incroyable trésor caché dans le Razès. Stupidités que le dit Corbu diffusait, selon certains, par bande magnétique aux visiteurs de Rennes-Le-Château car il fatiguait à les répéter. 
Noël Corbu était à l'époque, le propriétaire du domaine de l'abbé Saunière et avait tenté d'en faire une hôtellerie. 
On sait donc au moins et pour une fois que le trio De Sède, Plantard, Cherisey n'est pour rien dans l'invention du personnage Paris !

Voici le passage, extrait de cette bande, concernant le berger au prénom charmant. (2)

"../..Le trésor fut trouvé deux fois : en 1645, un berger nommé Ignace Paris, en gardant ses moutons, tombe dans un trou et ramène dans sa cahute un béret plein de pièces d'or. Il raconte qu'il a vu une salle pleine de pièces d'or et devint fou pour défendre les pièces qu'il a apportées. Le châtelain et ses gardes recherchent vainement l'endroit où est tombé le berger, puis ce fut l'abbé Saunière et les parchemins../.."

Notons au passage que Robert Charroux indique lui 1645 comme date de "reconstruction" de Rennes-le-Château mais ne précise pas la date de la découverte du trésor. Il enjolive toutefois un peu l'histoire en y rajoutant la classique brebis tombée et les non-moins horrifiques squelettes d'usage mais note, qu'accusé de vol (on se demande bien par qui, lorsque l'on sait la filouterie du sieur de Rennes, usurier et mécréant notable et notoire), Paris est mis à mort (autre incongruité car cela laisse historiquement des traces). 
Cependant Corbu, comme Charroux, précise que l'on ne retrouva pas l'endroit où chut le bienheureux-malheureux. Cet Ignace n' a même pas parlé à ses proches ! Dommage car ses proches savaient sûrement où paissaient ses bêtes et cela a du farfouiller sec dans le coin bien avant les manieurs de bâton dynamite ! Étrange, non !! Et surtout peu logique tout cela.

Puis, vint Gérard de Sède (3) qui eut l'intelligence de renoncer aux versions "Blanche" de l'histoire, car incohérentes, pour les remplacer par de non moins peu avérées hypothèses wisigothiques.


La cahute du berger Paris (selon Corbu) et devenue bergerie Paris selon le "de Sède"
(photo extraite de "l'or de Rennes"
Gérard de Sède - Julliard 1967)


Au passage, le De Sède en rajoute une couche à propos de notre modeste berger. C'est au printemps 1645 que l'homme découvrit le trésor qui devait entraîner sa lapidation (rien moins que cela !). Mais, peu importe en l'occurrence les dires de Gérard de Sède car il ne fait que prendre un train en marche dont la locomotive à bien été un certain Noël Corbu.

Surfant sur les incohérences à la base même de cette histoire de berger (la première étant que l'on se souvienne de son nom alors qu'aucun fond local n'est capable de fournir une légende ou une histoire où il est mentionné) bien d'autres dorénavant ont emboîté le pas de l'aubergiste fantasque du domaine de Bérenger Saunière (4). Et peu importe si ce nom de Paris est tellement évocateur du célèbre et mythologique berger à la grotte et aux pommes d'or ou même si Paris est un nom extrêmement répandu, le 120ème en fréquence ou presque en France...

Les derniers en date de nos "exégètes", ont même prétendu que Nicolas Pavillon, digne évêque d'Alet avait reçu les confidences de ce Paris. Le saint prélat aurait eu à ses côtés un François Paris, prêtre,
natif du Razès et futur auteur d'une "vie manuscrite de Nicolas Pavillon". (5) Information qui nous est rapportée avoir été donnée par un historien du nom d'Augustin Gazier.


 Les pâturages de Rennes-le-Château 
(photo Christian Attard)


Pourtant à bien lire Etienne Dejean qui dans son introduction à l'ouvrage qu'il consacra à Nicolas Pavillon, évoque en effet cette "vie manuscrite", nous en connaissons parfaitement les auteurs. 
Car ils furent plusieurs. Et c'est M. D'angiers qui fut envoyé à Nicolas Pavillon par St Vincent Depaul et fut vicaire général en 1643 qui rassembla en un journal ses notes sur l'évêque d'Alet. A la mort en 1660 de M. D'Angiers, Vincent Ragot qui vint à Alet avec lui, a continué ce journal jusqu'à sa propre mort, il prit soin avant de demander à M. Bourdin, parent de M. d'Alet de lui fournir tout ce qu'il pouvait sur la vie de Nicolas Pavillon. Enfin M. du Vaucel, théologal d'Alet continua et corrigea ce travail de compilation.
Dans le "Grand dictionnaire de Moreri", paru en 1735, le chanoine Goujet, son auteur, nous indique que cette vie de Nicolas Pavillon est l'œuvre d'un compilateur : François Paris et nous précise que l'homme est mort le 17 octobre 1718 et fut sous-vicaire de Saint-Étienne du Mont à Paris. Autrement dit prêtre en second.
Ce qu'Augustin Gazier par son analyse nous confirme.

Nous avons cependant à propos de ce François Paris un léger problème, c'est qu'il ne semble pas avoir mis le bout de ses sandales ajourées à Alet  ! 

"Le dictionnaire historique de la ville de Paris et de ses environs" paru en 1779, nous apprend ceci :



Il nous faut nous assurer que l'homme est bien écrivain. Ce que nous confirme cet extrait d'un autre dictionnaire biographique et bibliographique.

Plus de doutes, nous avons bien un prêtre, auteur de textes pieux et de biographies, ayant exercé en tant que sous-vicaire à Saint-Etienne du Mont, mort à Paris en 1718. Mais, deux sources différentes et autorisées nous confirment que l'homme est bien né à Chatillon, près de Paris. 
Il ne peut en aucun cas être allégué qu'un François Paris ait pu être secrétaire effacé de Nicolas Pavillon, puis réfugié à Paris. Il ne peut bien sûr en aucun cas être fait de confusion avec un autre et célèbre François Paris, diacre et janséniste (7).

Le dernier extrait a de remarquable qu'il reprend pour nous ces différents Paris. 
Et comme je connais quelques esprits aux raisonnements particulièrement "acrobatiques" et qui pourraient alléguer que... bien qu'étant né à Chatillon, le sieur Paris fit le voyage d'Alet pour aller saluer le cousin Ignace à l'agonie (et après une lapidaire mais efficace lapidation)... qu' effondré le Paris François se plaça alors chez le Saint Pavillon, etc, etc.

Je crois qu'il est bon de bien lire cette dernière biographie issue d'un dictionnaire des gens de lettres qui mentionne clairement que :
- l'homme est né à Chatillon  - et non dans le Razès,
- qu'il fut domestique d'un abbé Varet et non de Nicolas Pavillon,
- et qu'il desservit la cure de Saint-Lambert.

Bref une vie bien tracée et qui n'a rien à voir avec celle de Pavillon et la découverte relayée d'un trésor !



Il est bien dommage que tant d'énergie et de temps nous soient demandés pour établir plus fermement certain "non faits" qualifiés par ailleurs de découvertes "historiques". Temps et énergie qui pourraient, pour beaucoup, être consacrés à la recherche de la véritable énigme du Razès qui, à mon sens, ne doit pas être aussi simplement abordée.

Christian Attard. 



Additif du 20 novembre 2008

Nous aurions pu penser se clore ici l'incroyable succession des Paris mais c'était mal connaître les ressources de l'imaginaire humain.
Un autre candidat potentiel se serait révélé par quelques reliques oubliées en l'abbaye de Saint-Polycarpe et supposées y avoir été déposées en 1705 ! voir ici :http://www.rennes-le-chateau-archive.com/forums/viewtopic.php?t=9&start=240
Message du 16 novembre 2008

Malheureusement, il nous faut d'abord constater que la citation donnée est tronquée au mauvais moment. Car en fin de page 346, il n'est pas encore possible de comprendre que ces reliques sont censées êtres celles de grands personnages du jansénisme, ce que nous apprenons en début de page 347.

 


Césure dommageable car il n'existe pour le jansénisme qu'un seul Saint diacre au nom en effet, de François Paris. Notons aussi, mais là, il ne s'agit que de la plus élémentaire compréhension en lecture d'un texte, que le premier paragraphe seul concerne la date de 1705 et nous allons comprendre pourquoi en nous intéressant aussi à un ouvrage paru en 1779 : "l'histoire de l'abbaye de Saint-Polycarpe depuis sa fondation jusqu'à sa destruction". 
Destruction liée à l'affaire du fameux formulaire. 
Le livre est un recueil des faits et gestes des moines composant cette abbaye et on y apprend l'extrême dureté de leurs conditions de vie. On y apprend aussi qu'un moine impie et renégat, Antoine, cherche querelle à ses frères en les accusant de sympathies jansénistes.



Cet extrait ci-contre reprend donc, en cohérence avec celui du curé Lasserre (qui semble y avoir puisé ses informations), ces mêmes indications : des reliques furent placées dans Saint-Polycarpe et ces reliques concernent bien des jansénistes (supposé pour Nicolas Pavillon). Mais il nous apprend le nom d'un autre personnage bien connu des milieux jansénistes.
Le M. de Senez étant Jean Soanen (1647-1740), évêque du plus petit diocèse de France : Senez (ce n'est pas Alet !),  et dont la vie édifiante et les conditions très similaires d'existence ne suffiront pas à convaincre les plus obtus de l'indigence financière de Nicolas Pavillon. 
Dans le diocèse de Senez furent véritablement construits séminaires, écoles et ponts, la cathédrale fut, elle, reconstruite contrairement à Alet. Mais, il est vrai que Jean Soanen avait des relations très étranges. On y voit donc plus de travaux entrepris pour un diocèse plus petit qu'Alet par, comme à Alet, une succession d'évêques.

Si donc (et pour en finir avec François Paris -espérons-le !) sont mentionnés : 
- un Saint Diacre (et rappelons que le seul saint diacre connu en milieu janséniste est "LE" diacre Paris  ),
 - Nicolas Pavillon 
et Jean Soanen, 
le doute n'est plus possible : il s'agissait bien dans l'esprit des moines de trois figures du jansénisme.



Morts respectivement en 1727, 1677 et 1740, il est donc aussi évident que la mention de la présence de ces reliques ne peut pas concerner cette date de 1705, entrée d'une soi-disant réforme janséniste à Saint-Polycarpe. 
Exit donc un supposé prêtre proche de Mgr Pavillon mort avant 1705 et auteur d'écrits clairement attribués par plusieurs doctes érudits au sous-vicaire François Paris né à Chatillon.

Aussi, comme aurait pu le dire Michel Audiard que j'ai eu la chance de côtoyer avec bonheur : 
"
faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canots de sauvetage !"


Notes et sources :

(1) Robert Charroux : Trésors du monde enterrés, emmurés, engloutis - Éditions J'ai lu - L'aventure mystérieuse N° A190 page 275.
(2) visible dans son intégralité ici : http://www.renneslechateau.com/francais/corbu.htm
et dans le texte intitulé : "La puissance et la mort"  supposé être du même Corbu !
(3) Gérard de Sède - L'or de Rennes - Julliard 1967
(4) voir sur ce site : http://www.rennes-le-chateau-archive.com/ la page consacrée au berger dans les indices complémentaires.
(5) Franck Daffos - Rennes le Château le puzzle reconstitué - Editions Pégase - page 47 et suivantes.
(6) Etienne Dejean : Un prélat indépendant au XVIIème siècle - Nicolas Pavillon, évêque d'Alet- Édition de 1909 chez Plon Paris
(7) voir ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_de_P%C3%A2ris
(8)
J.T. Lasserre dans "Recherche historique sur la ville d'Alet" page 346 et surtout 347
(9) à propos de Jean Soanen  voir ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Soanen et surtout ici :http://fr.wikipedia.org/wiki/Senez

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