"Demandez la Gazette !"


La muze historique de Jean Loret et son créateur 
(
source des documents : Internet Archive.org et Wikipédia pour la gravure de Loret)


Jean Loret (1600-1665) serait très certainement resté en son purgatoire des piètres rimailleurs si Franck Daffos ne l'en avait extrait à l'occasion de ses deux ouvrages sur l'énigme des deux Rennes (1). Le sauvetage tardif n'est pas ici désintéressé car deux poèmes (2) évoquent une pluie d'or sur le comté d'Alet, les voici en commençant par celui passé au 24 septembre 1661 :

Puis, celui publié le 29 octobre 1661 :

On doit à Jean Loret, homme peu instruit mais de plaisant esprit plus de 400 000 vers ainsi agencés pour le meilleur, quelques fois, et le pire, le plus souvent. Il commença à rédiger ses feuilles le 12 mai 1650 et ne s'arrêta qu'à sa mort en 1665.  Amusant, léger il sut plaire aux plus grands; mais, en des temps si troublés, n'eut pas assez de finesse pour échapper parfois à de rudes attaques ou à des retournements d'alliance (3). Il est vrai que sa production incessante le contraignit à bien des bévues. Le premier extrait nous le prouve où il dut faire ressusciter, comme il le dit, un homme trop tôt enterré ! 
Dans le premier poème qui est rappelé à notre attention, il évoque une pluie d'écus d'or (dont aucun d'icelle contrée, nous précise-t-il) et situe avec imprécision cette "ondée" sur le territoire toulousain. Puis, il revient un mois plus tard sur l'annonce pour situer les faits cette fois dans le diocèse d'Alet. 
Bien sûr, aucun évènement de cette nature ne fut jamais signalé dans ces régions, il nous faut donc tenter de comprendre ce qu'a bien pu vouloir signifier l'amuseur par son récit. 


En 1661, à Alet et ce n'est un secret pour personne, l'évêque Nicolas Pavillon a déjà derrière lui une belle réputation. Plusieurs affaires et procès retentissants l'ont signalé à l'attention du grand public, mais sa ténacité a triomphé avec l'aide des frères Fouquet de l'injustice d'un découpage territorial qui lésait son comté et de deux escrocs notoires alliés à d'indignes nobliaux locaux. Il n'en a pas pour autant encore fini avec ces barons qui, depuis certaines mises en ordre, le harcèlent.  L'occasion était tentante pour Loret d'évoquer à demi-mots une de ces histoires qui distraient la cour. 
Certes, mais pourquoi évoquer une pluie d'or, il doit assurément en dehors de la personnalité de Nicolas Pavillon s'être trouvé quelques faits qui ont apporté l'information de départ au chroniqueur ?

Notons tout d'abord que l'historien Guillaume Catel dès 1633 dans ses "Mémoires sur l'Histoire du Languedoc" signalait la présence de mines d'or et d'argent "près les bains de Regnes, vers le païs du Razès, diocèse d'Alet". 
Et qu'il est tout à fait raisonnable de croire que cette étude ait, avec l'arrivée en poste de nouveaux fonctionnaires efficaces, déclenché des campagnes de fouilles. 
Car en 1660, le seigneur César d'Arçons parcourt la région pour en faire l'étude précise (4).
Mais le plus intéressant est bien le texte manuscrit que nous laissa en 1709 le curé Antoine Delmas officiant, nous dit son re-découvreur le docteur Paul Courrent (5), aux Bains de Monferrant depuis 60 ans, et ordonné par son évêque Nicolas Pavillon.  Voici ce qu'il écrit :

Voilà qui aurait très bien pu raisonnablement être l'amorce du billet de Loret et des informations vaguement reçues de la région toulousaine agrémentées de son ironique fantaisie  et d'un clin d'œil espiègle à Nicolas Pavillon. Car il semblerait que la région des Bains, fréquentée par des malades de toutes conditions et provenances n'ait pas cessé d'être connue et que ces découvertes archéologiques variées n'aient pas échappé aux collectionneurs et amateurs d'antiquités.


Cependant comment imaginer un seul instant que ce poète asservi et qui est avant tout un mercenaire de la rime pauvre ose s'attaquer au plus respecté des prélats ? 

Parce que nous clame-t-on depuis bientôt quatre ans  l'homme est un proche de Nicolas Fouquet et de la Princesse de Longueville et qu'il est donc parfaitement informé de ce qui se trame dans le Razès. Ou que tout du moins, on se sert de lui !

Mme de Longueville étant la sœur d'Armand de Bourbon, Prince de Conti, filleul de Richelieu, marié à Anne-Marie Martinezzi nièce de Mazarin, membre de la Cie du St-Sacrement et gouverneur du Languedoc depuis février 1660. Le prince vient d'ailleurs de passer quinze jours de pénitence avec sa femme et sa cour (près de 150 personnes) à Alet auprès d'un prélat qu'il vénère et dont il écoute pieusement les conseils de vie.
 
Comment alors Loret oserait-il se moquer de Nicolas Pavillon en prétendant qu'il fera procès pour quelques écus d'or puisque celle pour qui il écrit et son frère vénèrent ce digne évêque ? 

C'est impensable, même si Loret est aussi payé (
200 écus contre quand même 2000 livres de Mlle de Longueville, soit environ trois fois plus) par Nicolas Fouquet. 
Mais que l'on ne s'y trompe pas les grands de cette époque savaient rémunérer généreusement Loret surtout pour ne pas être 
un jour les victimes de ses quolibets. Le grand Scarron l'écrira en une formule dont il était passé maître : "Loret écrit pour qui lui donne". Fouquet avait-il intérêt à tourner en ridicule Nicolas Pavillon, le procédurier ? Non, pas plus que Madame de Longueville qui rejoindra elle aussi la ferveur dévote de Port-Royal.

Un trésor est-il caché dans le Razès qu'il ne fallait alors surtout pas en laisser courir le bruit comique à un écrivain autant lu. Tout cela ne tient la route que dans le cas des découvertes accumulées en soixante années de présence à Rennes-les-Bains par le curé Delmas. Découvertes dont il se fit l'écho dans sa région.

Pourquoi Loret parle-t-il, et contre toutes ces explications précédemment données, de pluie d'or et de Nicolas Pavillon ? 

Pour le comprendre, il nous faut revisiter la très petite histoire non pas la Grande. Car ce que l'on veut nous donner à croire fut bâti sur une impensable et grossière erreur qui a pourtant échappé à tous ceux qui depuis s'en sont fait les chantres. 
Loret n'a jamais écrit pour Anne Geneviève de Bourbon, duchesse certes de Longueville mais pour sa belle-fille Marie d'Orléans,
Mademoiselle de Longueville. 
Et pour vous en convaincre, je vous invite à remonter d'un clic de souris votre ascenseur d'écran vers la couverture de "La Muse historique", tout là haut. Il y est précisé : "écrites à son altesse
Mademoiselle de Longueville, depuis DUCHESSE DE NEMOURS !

Connue avant son mariage en 1657 avec Henri II de Savoie sous le nom de
Mademoiselle de Longueville, Marie d'Orléans fut Princesse de Neuchâtel et depuis ses noces DUCHESSE DE NEMOURS
Jamais Anne Geneviève de Bourbon ne porta ce titre de Duchesse de Nemours. 
Une preuve supplémentaire de cette confusion historique nous est donnée par l'introduction même de Loret que vous allez voir ci-dessous, rédigée en 1650 à
Mademoiselle de Longueville. 
En effet, Anne Geneviève de Bourbon épousa en 1642 Henri II d'Orléans, duc de Longueville, elle ne pouvait donc en 1650 être appelée Mlle de Longueville, titre qui allait à sa belle-fille Marie-Anne, enfant d' Henri II d'Orléans, duc de Longueville et de Louise de Bourbon-Soissons. 
Anne Geneviève de Bourbon ne devint quant à elle "que"
Madame de Longueville.

Anne Geneviève de Bourbon,
duchesse de Longueville (1619-1679)

Marie-Anne de Nemours 
ex Mademoiselle de Longueville (1625-1707)

Par ailleurs, Loret s'adresse à son illustre Princesse Marie, puis célèbre dans sa lettre de mai 1657 son union (6) preuve qu'il est nécessaire parfois en même temps que de bien choisir ses sources de les lire correctement !

Ce fait acquis en quoi en 1661, cela change-t-il notre histoire ? 

Si l'on sait que depuis 1651 Anne Geneviève maintenant de Longueville ne cesse d'intriguer contre le Royaume et que dans ses manœuvres, elle entraîne Henri d'Orléans, le père de Marie,  cela devrait changer beaucoup de choses. 
Car on peut concevoir pour le moins entre les deux femmes une certaine inimitié ! (7)

En réalité, elles se détestent cordialement. Car Marie est restée fidèle au Roi et réussira à convaincre son père de ne plus intriguer contre lui. Il apprendra aussi à se défier de sa nouvelle épouse.

Alors, Loret n'aura pas eu effectivement beaucoup de scrupules à égratigner gentiment un Nicolas Pavillon devenu le mentor des Bourbon-Conti. 
Bien plus tard, la rivalité s'accentuera encore bien d'avantage entre les deux femmes qui se déchireront pour raison d'héritage.

En tout état de cause, on ne peut plus dire que la famille  de Condé protégea en quoi que ce soit Jean Loret. Bien au contraire, fidèle à la Duchesse de Nemours qui ne portait pas les Condé ou même Pavillon en son cœur, il amusa sûrement cette dernière en composant le deuxième poème à la soi-disant pluie d'or. 
Car Marie de Nemours sur le plan religieux est
d'une très stricte observance romaine. Elle ne posa la première pierre de l'église de Port-Royal que parce que sa mère bienfaitrice s'y était engagée avant son décès. Son époux Henri II de Savoie fut archevêque de Reims (et on connaît son importance) de 1651 à 1657, membre de la compagnie du Saint sacrement ( 8) et donc fermement opposé aux théories de Jansénius. Il n'aurait jamais épousé une sympathisante à la cause janséniste.

A ce même titre, on ne peut donc plus considérer Loret comme informé à la source même (Fouquet ou les Condé-Conti) d'une pseudo découverte trésoraire à Alet. Mais plutôt ayant su profiter d'une information vaguement remontée du Razès et passée par Toulouse à propos peut-être des découvertes du curé Delmas ( Il est tout à fait probable que ce dernier chercha à s'informer auprès d'amis peut-être toulousain de la qualité de ses découvertes) dont il aura tiré profit pour railler ceux qui s'opposaient à sa chère princesse Marie.
Voilà qui incontestablement nous oblige à reconsidérer la place des uns et des autres dans le petit microcosme du Razès... de cette époque.

Christian Attard

Notes et sources

(1) Franck Daffos : Rennes-le-Château : "Le secret dérobé" - Éditions de l'œil du Sphinx - Le serpent Rouge N°3 2005 et "Le puzzle reconstitué" - Éditions Pégase 2007
Et avant lui : Robert Tiers dans « Le onzième des Travaux d’Hercule » en 2001voir ici : http://nicolaspoussin-tiers.com/index.html
(2) Les versions numérisées de "La muse historique" sont disponibles sur la base Internet Archive en libre accès ici : http://www.archive.org/details/lamuzehistorique03loreuoft
(3) Eugène Hatin : "Histoire politique et littéraire de la presse en France - Paris Poulet-Malassis et de Broise - 1859
(4) Source Bulletin de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude de 1921 page 78-79 
(5) Source Bulletin de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude de 1934 - Dc Paul Courrent : "Notice historique sur les Bains de Rennes".
qui retrouva un manuscrit souvent évoqué et en possession de la Société des Antiquaires de France.
(6) voir le volume trois de "la muze" page 336
(7) lire à ce titre les "Mémoires de Marie de Nemours" disponibles sur le même base Internet Archive
(8) Voir à ce titre l'ouvrage de M. le comte René Voyer d'Argenson : "Annales de la compagnie du St Sacrement". La compagnie s'y déclare fermement opposée au théories jansénistes et à plusieurs reprises. Henri, duc de Nemours en est un des membres les plus imminent.
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