Limites et pouvoirs du diocèse d'Alet

Le diocèse d'Alet tel qu'il était depuis sa fondation jusqu'à sa disparition

Ayant mentionné à plusieurs reprises le fait que jamais Notre Dame de Marceille et Limoux ne furent sous la responsabilité de Nicolas Pavillon et de l'évêché d'Alet, et qu'en conséquence, il ne pouvait y transférer quoi que ce soit excepté sa foi, l'affirmation m'a valu une série d'apostrophes peu flatteuses sur un forum consacré aux mystères des deux Rennes (voir ici).
Aussi, est-il nécessaire de bien préciser les limites et bornes à ne pas dépasser ... pour bien comprendre la réalité du diocèse d'Alet. 

Commençons par ses limites territoriales.

Si diocèse il y eut, il a bien fallu qu'il soit un jour créé ! Cette création fut tardive puisqu'elle ne fut réalisée que le 13 février 1318 par une bulle en Avignon du pape Jean XXII. Auparavant, la cité d'Alet et son abbaye avaient toujours fait partie du diocèse de Narbonne. Et justement, ce diocèse de Narbonne en 1317 subit la perte de l'église de Toulouse érigée en Archevêché. Ce qui ne se passa pas sans doléances et protestations de la part de l'archevêque de Narbonne. En compensation furent donc créés les évêchés de Saint-Pons de Thomières et d'Alet.
Au cours d'une épisode aussi rapide que maladroit, ce même jean XXII avait créé et défait l'évêché de Limoux. Son église St Martin ne fut cathédrale que le temps des protestations des religieuses de Prouille qui avaient trop à perdre dans l'affaire.
Le 1er mars 1318, Jean XXII nomma l'abbé Barthélemy premier évêque d'Alet et assigna au nouveau diocèse 80 paroisses du diocèse de Narbonne. Jusqu'à sa fin ce diocèse ne vit pas ses frontières bouger. Ce sont celles de la carte ci-dessus. Et nous en avons témoignage ici (1) dans ce texte qui relate l'arrivée de Nicolas Pavillon au seuil de son diocèse.

Si donc en 1639, Nicolas Pavillon marque un temps de prières en arrivant sur son diocèse à Cornanel , il est évident que Limoux et ND de Marceille font partie de celui de Narbonne et qu'il n'a pas à faire d'oraison particulière en les traversant. Comme le montre bien la carte du diocèse ci-dessous qui, répétons le, n'a jamais changé. 

Carte Cassini . Le nord du diocèse d'Alet est entouré d'un trait jaune.

Or, il ne saurait être question d'autres frontières, d'autres limites, prétendrent que Nicolas Pavillon ait pu avoir un pouvoir temporel sur Limoux ou ND de Marceille irait à l'encontre des lois canoniques qui définissent clairement le pouvoir religieux et temporel d'un évêque sur les seules limites de son diocèse. C'est bien en effet et uniquement son diocèse qui procurait à Nicolas Pavillon ses maigres bénéfices, qui payait ses dîmes.

Maintenant que ces limites territoriales sont posées et aucun document ne prouvera jamais autre chose, occupons-nous du problème PUREMENT FISCAL. qui est au cœur de ce litige et de biens des affirmations erronées.
Car  en évoquant les problèmes de répartition et de paiement des tailles et autres impôts provinciaux et royaux, nous sortons complètement du domaine religieux ou même comtale. Si Nicolas Pavillon fut en effet comte évêque, il ne le fut que sur les limites de son diocèse religieux. 

Comme le mentionne le document ci-dessous (2), exaspéré par l'injustice FISCALE qui consistait à taxer autant son diocèse pauvre qu'une ville de Limoux fort riche (à laquelle il était associé par pure découpage administratif), Nicolas Pavillon finit par être reçu par Nicolas Fouquet, le surintendant des Finances en charge de ces dossiers et frère de son évêque métropolitain de Narbonne, François ( Évêché dont dépendait nous venons de le voir la ville de Limoux). 
Ce document apporte donc une preuve parfaitement logique. Sinon, comment expliquer que notre évêque revendique la scission de son propre domaine ? Dans l'hypothèse illogique, où il aurait été maître du "temporel" de la ville de Limoux ou de ND de Marceille, ces deux endroits devaient lui rapporter beaucoup, il aurait donc du protester pour les conserver dans son soit-disant patrimoine. Or il n'eut de cesse de réclamer tout le contraire ! 
Non, Nicolas Pavillon n'avait malheureusement de rapport avec la ville de Limoux que pour cette seule circonscription fiscale et s'en est retourné bien vite soulagé dans son diocèse lorsque enfin on sépara l'assiette fiscale et administrative des deux villes.

Nicolas Fouquet en accord avec son frère trouve la demande "raisonnable" et donne par voie de conséquence "raison" à Nicolas Pavillon : dès lors Limoux et Alet n'aurons plus aucun rapport, même financier, voilà ce que dit en toutes lettres ce document.

Mais, je sais certains intellects obstinés. Aussi, aurais-je l'aide de l'Abbé Sabarthès, érudit historien qui en 1895 publia le "livre vert de l'archevêque de Narbonne" qui répertoriait les droits et revenus de l'archevêché depuis le milieu du XIVème siècle. 
Dès la page 56 de son ouvrage, il est évident pour lui, comme pour son lecteur que Limoux fut bien sous la responsabilité totale de l'évêché de Narbonne. il y apporte la précision que sur le plan CIVIL et FISCAL Limoux et Alet formaient cependant un seul diocèse CIVIL jusqu'à ce que Nicolas Pavillon finisse par obtenir gain de cause et séparation effective avec l'aide des Fouquet. 
A titre de Comte, Pavillon participait à l'établissement de l'imposition royale  et c'est à cela que s'arrêtait sa présence à Limoux. Il s'y asseyait pour tenter de soulager son diocèse lors des réunions de l'assiette fiscale et repartait en son diocèse des montagnes.

Attention de ne pas se tromper sur l'expression de "diocèse civil" car un diocèse civil pouvait parfois ne pas être en coïncidence géographique avec un diocèse religieux. Le mot diocèse s'appliquant en l'occurrence ici à un découpage fiscal du territoire et n'a aucune connotation religieuse.

Fort bien, alors François Fouquet, peut-on penser,  aurait très bien pu profiter d'une éventuelle manne cachée sous Notre Dame de Marceille par d'autres que le Saint évêque d'Alet. Mais rappelons que le sanctuaire était sous la responsabilité des consuls de la ville de Limoux et versait des droits au collège de Narbonne à Paris (voir ici) ce qui rendait toute ingérence impossible tant que ces consuls n'en firent pas cession à l'archevêque de Narbonne en 1662, actes notariés à l'appui. Un peu tard pour François Fouquet donc qui fut contraint à l'exil en 1661.


Carte du diocèse CIVIL de Limoux et Alet datant de 1651 - Diocèse CIVIL entrant dans la composition du territoire du Languedoc

Léonce de Lavergne, économiste, académicien, professeur précise dans un long et très documenté article sur les États du Languedoc, la distinction qu'il convient de comprendre entre un diocèse civil et un diocèse religieux. 
Cette distinction est d'ailleurs confirmée par cette carte dressée pour le Gouvernement du Languedoc et reprenant ses 22 diocèses civils.
Nicolas Pavillon n'était qu'un des deux représentants du clergé, pour son évêché d'Alet, l'autre à cause de cette mixité, étant un représentant de l'archevêché de Narbonne.

Une précision de Léonce de Lavergne sur les diocèses CIVILS (3)


Aucun historien sérieux et ayant correctement étudié la situation du diocèse d'Alet sous Nicolas Pavillon ne pourra avancer autre chose que ce je viens, moi-même avec mes plus grands remerciements, de leur emprunter. 
Nicolas Pavillon, nommé en 1637, évêque et comte d'Alet (et uniquement d'Alet et en conséquence sur les limites de son diocèse religieux) n'avait aucun pouvoir temporel sur le diocèse civil de Limoux et d'Alet, excepté celui de représenter son comté dans la détermination de l'imposition fiscale du diocèse civile qui l'incluait.

J'ai pour ma part eu le grand plaisir de m'entretenir avec plusieurs d'entre eux, grands connaisseurs de cette époque et de de tout ce qui a pu être écrit de sérieux à son sujet, ils n'ont jamais apporté la moindre contradiction à cette vision des faits : jamais Nicolas Pavillon n'eut le moindre pouvoir sur le sanctuaire de Notre Dame de Marceille. 
Écrivains respectés, responsables d'enseignement ou d'académies savantes, ils m'ont tous confirmé ces différents découpages et religieux et administratifs du diocèse d'Alet.

Cependant, il nous restera à analyser avec soin la pseudo richesse, les imaginaires travaux et constructions du digne et vaillant évêque d'Alet.
Alors pourrons-nous espérer voir enfin rétabli dans sa juste mémoire un homme qui toute sa vie s'est battu pour les plus démunis et contre les privilèges les plus infamants sans jamais avoir courbé l'échine devant qui que ce soit fut-il Pape ou Roi.

Un très beau portrait d'un Nicolas Pavillon vieillissant. Les traits plus fins et la qualité du tableau nous laissent penser que nous avons là, sa représentation la plus fidèle.

Notes et sources :

(1) - Vie de M. Pavillon, Evêque d'Alet par Charles-Hugues Lefèbvre de St Marc et Antoine de la Chassagne - 1738  tome1 page 29
Mais, à ce propos toutes les sources sont unanimes, voir par exemple l'incontournable "Histoire du Languedoc" de Dom Joseph Vaissette. Tome IV page 436 ou sur wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Dioc%C3%A8se_d'Alet
(2) idem page 225
(3) Léonce de Lavergne : Les États généraux du Languedoc avant la révolution - La Mosaïque du Midi - Année 1839 -Page 379 - Toulouse - Paya Éditeur

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