Le Rubens inversé





"Descente de Croix" dans Notre-Dame du Cros (Aude)
(Photo François Pous)




Nous avons vu combien était étonnants déjà deux tableaux présentés aux visiteurs de Notre-Dame du cros, le premier semblait avoir été repris par un médaillon de Notre-Dame de Marceille, le second mettait en lumière une vieille allégorie utilisée par les fils d' Hermès, voyageurs intemporels sur les voies de l'alchimie, la lutte contre le dragon. Un troisième représente une saisissante  "Descente de la croix".
Un détail retient l'attention pour être mis en valeur sur un autre tableau de Rennes-les-Bains : le célèbre plat doré qui servit à laver les blessures infligées au Christ. Forme véritable et primitive attribuée par les linguistes au mot Graal : plat creux (et non calice) contenant ici, et sur les deux tableaux, la Sainte éponge.





Le plat de la piéta de Rennes-les-Bains 

Celui de la Descente de Croix de ND du Cros 




Nous savons que le tableau de Rennes-les-Bains est une lamentation inspirée de celle de Paulus Pontius, elle même copiée en inversion d'un tableau du peintre Van Dyck sur laquelle très étrangement le INRI est inversé et le plat doré très présent. Nous avons souvent rencontré cette inversion (voir ici). 
Le tableau de Van Dyck se trouvait autrefois dans l'église du Béguinage d'Anvers.







C'est aussi à un peintre pour qui Anvers à beaucoup compté : Pierre Paul Rubens (1577-1640) que nous devons le tableau original qui inspira le peintre de Notre Dame du Cros. Panneau central d'un triptyque, le tableau de Rubens fut qualifié par Théophile Gautier de plus beau tableau du monde et il faut le lire décrivant le saisissement qu'il eut en le voyant exposé dans la cathédrale d'Anvers :




"L’albâtre azuré et la blancheur morte du corps du Christ me saisirent tout d’abord le regard. J’admirai comme le peintre avait su répandre sur les membres de l’Homme-Dieu la pâleur opaque de l’hostie et faire ainsi comprendre que tout son sang avait été versé jusqu’à la dernière goutte pour le salut du monde. 

Puis mes yeux se fixèrent sur la Madeleine, dont la blonde épaule supportait son pied bleuâtre, et ne s’en détachèrent plus ../.. 
Aucun peintre, à mon avis, n’a mieux caractérisé la grande amante du Christ, et Rubens en la dessinant s’est surpassé lui-même. 
Elle est agenouillée dans une robe de soie vert émeraude, couleur d’espérance, dont les flots bouffants s’épanchent autour d’elle en larges cascades. 
Ses longs cheveux doucement crêpelés, où le soleil couchant semble avoir laissé quelques-unes de ses teintes, descendent sur sa nuque potelée, et finissent en s’effilant comme une frange d’or. 
Un de ses bras s’avance pieusement pour soutenir le divin cadavre. — Quel bras! quelle épaule ! et quelle main ! Ni l’onde, ni la flamme n’eurent jamais cette souplesse et ce moelleux.
 Sur un fond de blancheur chaude et mate, aux endroits plus amoureusement caressés par le jour, scintillent ces beaux reflets lustrés, ces éclairs de satin et ce frissonnement lumineux dont Rubens seul a le secret ; des demi-teintes plus dorées et plus fluides que l’ambre noient harmonieusement les contours ; on dirait de l’ivoire élastique et du marbre flexible. 




Je ne croyais pas tant de transparence compatibles avec tant de solidité. Une humide lueur tremble sur le globe de son grand œil emperlé de larmes limpides et levé avec une tristesse passionnée vers le corps du Sauveur, qui tombe comme un fruit mûr de l’arbre de la croix. 
Sa bouche à demi-entr’ouverte semble aspirer ardemment l’air qui entoure le mort bien-aimé, et toute son attitude exprime un désespoir et un amour si parfaits qu’il est impossible de n’en être pas touché. Ce qui me charme surtout dans cette magnifique créature, c’est qu’à la suprême beauté elle joint un sentiment de vie extraordinaire ; l’existence court en fibres rouges dans cette peau de velours ; cette épiderme si fine et si jolie cache des muscles invaincus. 

Ce n’est pas un ange, ce n’est pas une sylphide, c’est une femme, quelque chose qui vaut beaucoup mieux, selon moi. Je n’ai jamais été un grand partisan des beautés mourantes; je ne conçois guère la grâce sans la force, et la Madeleine de la descente de croix réunit toutes les conditions de mon idéal. 
Ah ! Madeleine, Madeleine, que n’ai-je été ton contemporain !

A lire Théophile Gautier, on sent bien qu' avant Dan Brown et nos anglais (par trio), d'autres ont pensé et écrit le Christ et Marie-Madeleine fort proches. 
Ainsi, fort étrangement, nous nous trouvons face à deux tableaux mettant en valeur Marie-Madeleine, l'un par omission à Rennes-les-Bains (car la sainte n'y figure plus), l'autre par volonté évidente du peintre (Rubens) dont tout le mouvement de l'œuvre conduit à Marie-Madeleine. Mais, nous ne pouvons pas oublier non plus sur ces deux reproductions, toutes deux inversées, la présence d'un plat creux contenant le sang du Christ.



Une autre descente de croix signée Rubens
Voir aussi celle de la cathédrale Saint-Omer
(1)




Dans plusieurs pages, nous avons considéré que le Graal, décrit dans les textes médiévaux sous la forme d'un plat creux, tout à fait similaire à celui que nous montrent ces deux peintres d'Anvers pouvait n'être qu'une allégorie. Allégorie souvent signalée à l'attention de l'observateur par une inversion, un anachronisme, la reprise d'un légendaire porteur d'un sens caché et selon cette approche, ce tableau de Notre-Dame de Marceille aurait sûrement encore beaucoup à nous apprendre qu'il serait trop long de développer ici.




Il est bien troublant de constater, une fois encore, ces clins d'œil lancés à qui les verra et surtout y croira. Car combien d'esprits trop cartésiens continueront à prétendre que tout cela n'est que vue de l'esprit et qu'il est normal pour des peintres locaux inspirés par de vagues gravures de commettre certaines "erreurs". 
Aussi me permettrais-je de vous inviter à un petit voyage en un lieu bien énigmatique lui aussi et pour lequel le 17 janvier a une valeur toute particulière. 
C'est dans la petite chapelle des Arcs (2) sur Argens que repose (encore que le terme soit bien relatif car son corps a tellement été "manipulé" (3) Sainte Roseline (1263-1329) fille de Giraud II de Villeneuve, seigneur des Arcs, religieuse au monastère de la Celle-Roubaud (4). Roseline que l'ambigu Plantard mentionnera deux fois dans sa préface au livre d'Henri Boudet : 

"Dans l’église de Rennes-le-Château, sainte Germaine de Pibrac remplace sainte Roseline."
Voir le livre de Hubert Larcher, Le sang peut-il vaincre la mort. p 460.

Un étrange ouvrage aussi que celui d'Hubert Larcher qui s'interroge sur le miracle alchimique du sang de Saint... Janvier (bien sûr) ! 
Mais ce qu'il y a de bien plus étonnant encore, est bien que les prêtres en charge de cette chapelle consacrée à la sainte provençale aient choisi d'en décorer un mur par une copie d'un certain tableau de Pierre Paul Rubens ...que voici :





"Descente de Croix"  de la Chapelle Ste Roseline des Arcs




Christian Attard


Notes et sources

(1)  voir sur ce site l'histoire de la restauration du corps de la sainte :
http://www.transenprovence.org/article-23177294.html
(2)  On se souvient de l'Arcis présent sur la dalle de Blanchefort. C'est aussi rue des Arcis que séjourna longtemps la pierre tombale de Nicolas Flamel. 
(3) Une descente de croix attribuée à Rubens dans le Cathédrale de Saint-Omer http://www.cathedrale-saint-omer.org/?/mobilier/Tableaux
(4) On se souvient du Cèllis de la même dalle.




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