Domus aurea ?

Le tableau énigmatique du St Antoine sous le médaillon de la "Domus auréa".
(Photo François Pous)


L'église de Notre-Dame de Marceille fut décorée par une série de médaillons que certains ont qualifiés d'alchimiques alors que d'autres ont voulu y voir un balisage subtil vers une cache au trésor. Au nombre de 26 placés aux murs du sanctuaire, seuls 22 modèles ont servis aux décorateurs. En conséquence nous avons 4 médaillons répétés. Nous aurons à analyser chacun d'eux mais pour commencer, intéressons-nous à celui qui a fait couler beaucoup d'encre... noire !

Selon la théorie la plus en vogue, le tableau du St Antoine menant à une crypte fut judicieusement surplombé du médaillon représentant la vierge sous l'allégorie tirée des litanies lui étant consacrée et qui l'a compare à une maison d'or - domus aurea. Maison d'or qui serait une fine allusion à l'or qu'aurait contenu la fameuse crypte !
Mais, il faut alors très vite passer sur un détail d'importance qui ne chagrine pas le moins du monde ces rusés théoriciens : notre maison d'or est noire !
Oui, noire et non dorée comme le dit la légende latine attenante !!
Allusion doublement calculée à une crypte sombre ? Que nenni ! 
A la limite, rappel de la peau sombre de notre Vierge de Marceille qui est dite Vierge noire, pourquoi pas. Mais, considérons qu'ici cela ne servirait pas à grand chose. Le fait que cette maison soit noire est donc la véritable énigme, la véritable incompréhension. Et, placée aussi haut, nous voyons bien que cette maison n'a pas fait l'objet d'un bitumage de plus après le tableau de St Antoine.
Pourquoi alors, par cette noirceur, aller contre la devise même, au risque d'offense à la très Sainte Vierge Marie ?

On ne peut, bien sûr imaginer un seul instant que des prêtres (pour laisser quelques indications de quelque ordre que ce soit) se soient contraints à "noircir" le tableau, se soit obligés à qualifier la Vierge de "maison noire". Car en effet, au sens religieux de l'allégorie cela serait terrible, mais au sens... alchimique ?
Eh bien, en terme d'allusion alchimique nous sommes en pleine conformité avec ce que la tradition des frères d'Hermès a toujours rapporté : La Vierge Marie est la parfaite allégorie de cette matière qui, à son tout premier stade de traitement, passe par la phase la plus noire, celle de la nigredo.

les médaillons de l'abside de Notre Dame de La Garde à Marseille

Mais, la prudence nous incite, encore une fois à user de comparaison. 
Si ce genre de médaillon existe dans une autre église, celui représentant la domus auréa nous montre-t-il une maison noire ? 
C'est vers une autre Dame de Marseille que nous allons chercher notre réponse. La basilique qui tient sous sa bonne garde la cité phocéenne a, elle aussi, ses médaillons. Son
abside est entièrement recouverte de mosaïques. Sous la forme d'une grande frise de neuf médaillons reliés par des rinceaux, nous retrouvons nos symboles mariaux et leur légende : Foederis Area (arche d'alliance); Speculum justitiae (miroir de justice); Sedes sapientiae (siège de la sagesse); Turris davidica (tour de David); Rosa mystica (rose mystique); Turris eburnea (tour d'ivoire); Domus aurea (maison d'or); Vas spirituale (vase spirituel); Janua coeli (porte du ciel).
Comme l'indique notre flèche, la maison d'or est bien d'or, en tout cas sûrement pas noire ! 
Notre-Dame de Marceille en cela se distingue ! Mais, nous avons vu dans le passé combien les concepteurs successifs de la décoration de cette église ont su avec intelligence nous rappeler quelques vieux symboles et préceptes de leur quête alchimique du Saint Graal, de la pierre philosophale.

L'assimilation de la vierge Marie à la demeure de Dieu trouve son origine dans la célébration de sa montée aux cieux, connue pour les seuls catholiques sous le nom d'assomption. 
Lors de cette fête, des vêpres sont célébrées, reprenant trois lectures de l'Ancien Testament, qui sont comme d'habitude vues à la lumière du Nouveau. L'une d'elles en Proverbes 9:1-11, nous dit : 

"La Sagesse de Dieu a bâti en Toi, Vierge Sainte, sa maison - et s'est incarnée dans sa mystérieuse descente - Entre toutes les générations Tu fus l'Élue pure pour être la demeure du Verbe pur". 

Ainsi Marie est la demeure, la maison d'or. 

Sur le tableau ci-contre qui représente, en effet une assomption, nous retrouvons cette demeure dissociée du corps de Marie qu'elle symbolise. Marie, tenant son fils, est assise au-dessus de cette sombre demeure qui n' a décidément rien non plus d'une domus aurea. 
Issue de la matière la plus sombre, la Pierre naîtra aussi rouge que l'est la robe de la Reine des cieux en passant auparavant par la phase blanche de l'albedo que rappellent ces points éclatants aux pieds de la Vierge.

Cette représentation datant très probablement du XVIIème est intéressante à plus d'un titre car elle reprend exactement la même idée que le médaillon de Notre Dame de Marceille. Elle associe l'allégorie mariale de l'assomption à celle de la demeure sombre qui, nous le comprenons bien ici, n'a rien d'une église. 
Elle nous permet aussi de comprendre qu'il peut exister une filiation, une transmission entre ceux qui ont commandité et peint un tel tableau unique en son genre, car je n'en connais pas de semblable, et le chanoine Henri Gasc qui se chargea de la décoration de Notre-Dame de Marceille. 
Signe tangible enfin, d'une information remontant à un passé certain et qui fut  retrouvée et comprise.

Car ce tableau, cette assomption à la domus "non aurea" se trouve à ...
Notre Dame du Cros !

(Photo François Pous)

En conséquence peut-on toujours affirmer avec la même péremptoire autorité que cette domus aurea à Notre Dame de Marceille symbolise l'or contenu dans une crypte ou peut-on raisonnablement penser qu'elle puisse plutôt consolider une piste aussi rejetée que la Pierre du psaume 117  : 

« La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle ; c'est là l'œuvre du Seigneur, La merveille devant nos yeux. » 

Christian Attard


la Translation de la Santa Casa,  de Saturnino Gatti (1467-1518)

Additif du 18/12/2008

On doit à la vérité le fait de pouvoir également interpréter le tableau de Notre-Dame du Cros comme étant une représentation de la légende mystérieuse de la translation de la maison de la Vierge Marie, la Santa Casa.
Le tableau ci-contre présente bien des similitudes avec celui du sanctuaire audois. Selon cette belle légende, à l'approche des troupes musulmanes de Jérusalem au XIIIème siècle, des anges auraient sauvegardé la maison de la Vierge en la transportant en Dalmatie puis en Italie, à Lorette. 
Ce récit prend place trois petits jours avant l'abdication d'un certain Célestin V, le 10 décembre 1294 et donna naissance aux litanies qui inspirèrent certains médaillons de Notre Dame de Marceille. 
C'est également à Lorette auprès de cette Sainte demeure que Jean-Jacques Olier, le fondateur de la compagnie des prêtres de Saint-Sulpice retrouva la vue qu'il avait perdue en 1630. Le sanctuaire a depuis lors une grande importance pour les sulpiciens.
Mais si le tableau présent dans Notre-Dame du Cros renvoie très certainement à Notre Dame de Lorette, on ne peut que rester sur les interrogations précédentes : pourquoi avoir représenté une maison noire, qui sera reprise à Notre-Dame de Marceille pour symboliser une "Domus aurea" qui par définition devait être d'or ??

Lorette en 1294 nous rapproche insensiblement des sulpiciens et de St Sulpice, d'une Vierge qui redonne la vue, là encore ; mais aussi nous permet en la personne d'Olier de nous retrouver non-loin d'un Monsieur Vincent qui a n'en pas douter doit vivre aujourd'hui au cœur de la "Domus aurea".

Notes et sources

(1) - http://viergedelagarde.free.fr/
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