Arca...démie





Les Bergers d'Arcadie - Nicolas Poussin




Je sais par avance que vis-à-vis de chercheurs qui me sont particulièrement sympathiques les réflexions qui vont suivre paraîtront hérétiques, aussi faut-il les considérer comme simples hypothèses d'analyses. A chacun ensuite de soupeser en quoi elles peuvent être fondées ou pas. Elles vont cependant contrarier les multiples approches géométriques ancrées sur le fameux tableaux de Nicolas Poussin, aujourd'hui appelé "Les bergers d'Arcadie".

Ce tableau ne porta pas toujours ce titre et les ouvrages les plus anciens donnèrent à cette oeuvre plusieurs autres titres : "Félicité sujette à la mort", "Le bonheur sujet à la mort", "Souvenirs de la mort au milieu des prospérités de la vie". Ce n'est que plus tardivement qu'il fut convenu de le nommer "Les bergers d'Arcadie". Autant dire aussi que très peu se sont accordés sur les personnages eux-mêmes ou l'Auguste personnage dont on interroge tombeau et inscription ! Virgile pour les uns, Sappho pour les autres ! Peu importe en réalité car ce sont des pasteurs, bergers grecs et de cela, il n'y a pas de doutes.

Le commanditaire ou l'inspirateur du tableau passe pour être Giulio Rospigliosi qui deviendra pape sous le nom de Clément IX (de 1667 à 1669). 
On ne peut se baser sur le lavis tardif de Marius Granet en 1834, (aujourd'hui perdu mais dont on peut voir la reproduction par Félix Braquemont) pour considérer que "les bergers" étaient encore en la possession de Nicolas Poussin à sa mort.






L'emblème de l'Académie d'Arcadie.
Lauriers, chien et Bâton de berger.
Surmonté du titre de Custodia
 (le gardien à leur tête)
Giovanni Mario Crescimbeni, 
Roma, 1714

On doit à Christine de Suède la création à Rome ( elle vécut à Rome dès 1655 après avoir renoncé au pouvoir en 1654) d'une société savante créée autour du poète napolitain Holstenius : l' « Accademia Clementina », en l'honneur de ce même pape Clément IX. (1)
Cette académie se renommera plus tard (en 1690)  :« Accademia dell'Arcadia », "Académie des Arcadiens" ou d' Arcadia.  Quatorze "savants" que  la conformité des goûts, des sentiments et des études avaient réunis autour de la  Reine en firent leur protectrice et se chargèrent d'organiser cette assemblée érudite. 

Cette société de savants compagnons était vénérable et universelle comprenant les arts majeurs, elle n'avait aucune exclusive et acceptait nationaux comme étrangers, hommes et femmes. Cette Arcadie moderne et aussi nommée selon les termes du Chanoine d'Avignon La Baume d'Esdossat, arcadien lui aussi, la " bergerie savante". 
Cette académie avait la particularité de nommer chacun de ses membres ou berger d'un nom évoquant les pasteurs de l'antique Arcadie. Ainsi Voltaire fut-il connu sous le nom de Museo, car le renom de l'Académie attira vers elle nombre de beaux esprits.
Non sans un certain maniérisme, l'académie prônait en toutes choses un retour aux grandes valeurs naturelles et simples.




Des bibliothécaires, antiquaires, de nombreux prélats en furent les premiers membres dont le futur Clément XI :  Jean-François Albani qui portait le nom de pasteur d' albano Melleo,  il fut très proche du pape Urbain VIII (1623-44), Mafféo Barberini. Nicolas Poussin fut un protégé à la fois des Barberini et de RospigliosI (Clément IX).





Giovanni Mario Crescimbeni




Mais ce n'est pas le seul point commun qui pourrait rattacher spirituellement Nicolas Poussin à une telle assemblée. 
On accorde un très grand rôle à l’abbé Pierre Michon Bourdelot (1610-1685),  excellent médecin (selon les critères de l'époque) et anatomiste français, dans la renonciation de son pouvoir royal par Christine de Suède. Couronnée en 1650, elle renonce en effet volontairement à son trône en 1654 pour son cousin Charles-Gustave, le fils de Jean-Casimir, comte palatin et duc des Deux-ponts-Veldenz .
Jean Casimir, prince de Lautern fut l'ami de Philip Sidney qui séjourna à la cour palatine d'Heidelberg en 1577. Or Philip Sidney (1554-1586) est l'auteur d'un roman pastoral nommé "l'Arcadia". De ce roman naquit l'arcadisme avant Sannazar. Le mage John Dee fut le maître de Philip Sidney. (voir ici)

Bourdelot fut son médecin personnel dès 1651 et jusqu'en 1653, avant d'être celui de Louis XIV. Esprit éclairé, amateur de toutes sciences, Bourdelot avait fondée à Paris une société savante dès 1640. Christine fera de même en Suède. Pierre Bourdelot, Claude Saumaise,
Marin Mersenne, Gabriel Naudé, Pierre-Daniel Huet, Marc-Antoine Girard de Saint-Amant, Urbain Chevreau, Isaac de Benserade, René Descartes, Blaise Pascal rendront parfois de longues visites à Christine. (2)

Nombreux sont de fervents latinistes et hellénistes, poètes, érudits et talentueux polémistes au caractère bien trempé. Esprits ouverts, ils se sont aussi intéressés à l'Alchimie et à la Kabale, parfois pour en réfuter la valeur mais non sans en connaître les fondements. Il serait trop long de lancer ici les multiples passerelles qui les relient mais beaucoup s'estimaient, s'écrivaient régulièrement. Il en est ainsi par exemple de Gassendi, connu à la fois par le père Marin Mersenne, par Nicolas Poussin à Rome et à Paris et bien sûr par Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, protecteur de Mathieu Frédeau (voir ici).





Christine de Suède et sa cour.
la Reine Christine de Suède, est entourée de Descartes, du Prince de Condé, 
d'Élisabeth de Bavière et du père Marin Mersenne
.




Or en 1640, Pierre Bourdelot nomme les personnes qu'il reçoit au cours de longues soirées d'échanges animés (3) : Gabriel Naudé, Guy Patin, Pierre Gassendi, Poussin, Jean Le Maire (dit Lemaire-Poussin qui travailla au service de Poussin), parmi d'autres...
Gabriel Naudé (4) fut bibliothécaire
pour Francesco Barberini à Rome (commanditaire de Poussin), puis pour le cardinal de Mazarin qui était grand amateur d'ouvrages rares, traitant parfois d'alchimie. Notre monde est dit-on petit et il est bien étonnant de voir ainsi se boucler le cercle de ces poètes pasteurs. 

Tout cela tend aussi à nous faire comprendre que point n'est besoin d'aller chercher midi vers quatorze heures. Tout naturellement ce milieu littéraire et artistique prisait fort la poésie antique, plusieurs de ces écrivains composèrent d'ailleurs des pastorales. Il serait alors presque naturel que ces hommes commandent à l'un des leurs ou en tout cas un homme très proche de leurs académies un ou plusieurs tableaux évocateurs de leurs goûts de l'Antique.

Christian Attard




 


 

Le blason du pape Léon XIII (1810-1903) placé en clef de voûte de l'église de Rennes-le-Château peut aussi nous rappeler que Joachim Pecci était membre de l'Académie d'Arcadie.  Après tout son blason n'est-il pas au centre d'une arcade ?
On sait qu'à son accession au trône de St Pierre, il deviendra et selon les mots du Christ à Simon-Pierre, le Pastor Maximus, le très grand Pasteur. Mais Léon XIII fut surtout sa vie durant un très grand admirateur de St Thomas d'Aquin qu'il n'eut de cesse que de faire connaître, lire et enseigner. La philosophie de Saint-Thomas fut en 1879 déclarée doctrine officielle de l'église. Elle alliait la philosophie d'Aristote à la pensée chrétienne.
Enfin, il est intéressant de noter que c'est Léon XIII qui racheta la très riche bibliothèque Barbérini. (5)




Notes et sources :

(1) - Histoire des Italiens de Cesare Cantù - Armand Lacombe. 1861
(2) - voir à ce propos "les mémoires concernant Christine de Suède" (mais en italien) . 1760
(3) - Richard Khaitzine - Les faiseurs d'or de Rennes-Le-Château. MCOR (pour les lettres de Bourdelot p.12)
(4) -
On lui doit "Instruction à la France sur la Vérité de l'Histoire des Frères de la Roze-Croix" Paris - François Julliot, 1623.
(5) -
Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 1990 - p.158




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