Hippolyte Dousson




Je dédie ce texte à mon ami l’éveilleur Richard Khaitzine.



Le docteur alchimiste


Le docteur alchimiste d'après David Téniers




A la suite d’un de mes articles sur l’alchimiste Alphonse Dousson, dit Jobert, j’eus la mauvaise surprise de me rendre compte que les anonymes "aspirateurs de recherche" de Wikipédia avaient recopié mon texte sans même se soucier de le comprendre. Il firent ainsi de la date de naissance supposée de Dousson, telle que rapportée dans mon article, une vérité inébranlable (1) et reprirent l’ensemble de mes références sans même me citer comme à leur mauvaise habitude. Ces copieurs, aussi fainéants que peu courageux, qualifièrent pourtant ce site de « jeu vidéo » après avoir recopié l’ensemble de mes recherches sur Jean Giraud et avant d’être « bannis » à juste titre de l’organisation insultante.




Page wikipédia Jobert


Extrait de la page Wikipédia sur Jobert contenant ses dates de vie non sourcées, ni vérifiées.



A la suite de ces plagiaires incompétents, une bonne douzaine de sites prétendant informer leurs lecteurs recopièrent les mêmes erreurs et les répandirent sur Internet.
Ainsi Alexandre Dousson serait né en 1854  et mort, on ne sait pourquoi, en 1918 !

Il est temps, à la suite du dernier livre de Richard Khaitzine que je recommande chaudement
(La langue des oiseaux, tome 2 chez Dervy Poche) de refaire un peu le point sur ce fascinant personnage.

On voudra bien me pardonner une page plus fournie qu'à mon habitude mais cela en vaut la peine, je le suppose...



Acte naissance Jobert

Dossier d'état civil d'Alphonse Dousson
(Source Archives de l'Etat civil de la ville de Paris  Ch. Attard)




Tout d'abord et comme le précise son état civil, Alphonse Pierre Hippolyte DOUSSON est bien né à Paris le 1er décembre 1852. Son père ne l'ayant jamais reconnu, il porta le nom de sa mère : Marie-Thérèse Aimée Dousson qui exerçait la très dure profession de lingère.
Il est décédé dans un hospice de Courbevoie le 28 février 1921. Sur son père, on peut tout supposer, car le nom de Jobert est assez répandu en France...

Avant l'article phare du journal de Pierre Lafitte "Je Sais Tout" signé d'André Ibels, le 15 septembre 1905, au moins deux autres articles de journaux évoquèrent l'alchimiste parisien.
Ces articles furent précédés le 12 mai 1901 d'un reportage dans le journal "Le Matin" signé du célèbre journaliste et polémiste Jules Bois (2). L'amant d'Emma Calvé, l'ami de Maurice Leblanc et de nombre d'occultistes, y relate sa rencontre avec le cercle d'alchimistes de Douai ou
" Société alchimique de France ", présidé par François Jollivet-Castelot (1874-1937). Jules Bois était très proche de ce milieu alchimique et se souvient de l'alchimiste et photographe Tiffereau qui réussit une seule fois à obtenir de l'or. Il évoque aussi un jeune alchimiste du nom de Poisson (Albert à n'en pas douté) cotoyé à la Bibliothèque nationale...

Mais, il y a mieux !

Avant de faire paraître son article dans "Je sais tout", Ibels fait la une du journal "La Presse", un quotidien extrêmement populaire et qui inaugura la vogue des feuilletons écrits par de grands romanciers tels Gérard de Nerval, Georges Sand, Balzac...
L'article daté du 28 juin 1905 est à ce point élogieux pour l'alchimiste Alphonse Jobert qu'il vaut la peine d'être retranscrit ici :




Les prodiges de la chimie

Une découverte appelée, si elle est approuvée, à révolutionner le monde.
Pour faire de l'or.
Les recherches d'un savant français.




A la suite d'une série d'expériences vraiment intéressantes qui viennent d'être faites par M. le docteur Jobert, M. André Ibels nous adresse la lettre suivante qui en résumant !es expériences faites, invite les savants à en vérifier l'authenticité. L'affaire est de trop haute importance, croyons-nous, pour que l'appel de M. André Ibels demeure inentendu . N.D.L.R. .

Mon cher Directeur,

Au cours d'une enquête sur l'alchimie moderne – enquête qui doit paraître prochainement dans un grand magazine - j’avais découvert un savant, docteur en médecine, ancien élevé de l'Ecole des mines qui à plusieurs reprises et devant témoins avait transmué, à l'aide de poudres dites de projection :


1° Du plomb en argent ;
2° Du plomb en or ;
3° De l'argent en or.

Si extraordinaire que cela puisse paraître, cela est.

Estimant cette découverte suffisamment importante, tant au point de vue social qu'au point de vue scientifique, surtout parce qu'elle jette une lumière nouvelle sur notre scientifisme « officiel » qui subit en ce moment d'assez rudes assauts, j'étais parvenu à décider  - et non sans peine - le docteur Alphonse Jobert à faire des expériences devant un public de littérateurs vaguement sociologues, de députés de la gauche, d’un chimiste célèbre, d'orfèvres, etc. Bref, J'avais convié, pour le 24 juin, MM. Jaurès, Guesde, Octave Mirbeau, C. Hugues, L. Descaves, Paul Adam, Brunetière, Pierre Quillard, Séverine, Paraf-Javal, à une expérience leur donnant toute latitude relativement à la surveillance des opérations, les engageant même à opérer en personne.

M. Pierre Quillard, seul, s'excusa.

Les invités font défaut

Quant aux autres, il faut croire qu'une découverte de cette importance ne saurait les intéresser… ; peut-être n'en saisissent-ils pas toute la portée… ; peut-être aussi crurent-ils à une fumisterie, quoique je n'ai jamais fumisté personne… ; peut-être encore - et cela serait plus drôle - me jugent-ils mûr pour une maison d'aliénés. En ce cas, mon excellent et savant ami le docteur A. Sicard, de la Salpêtrière, – qui a assisté à la transmutation d'un morceau de plomb en un lingot d'argent et qui fait actuellement analyser le dit lingot - se ferait un sensible plaisir de me délivrer un certificat affirmant que je jouis de tous mes facultés mentales.

Toujours est-il que tous mes invités sélect brillèrent par leur absence.

Je dois donc leur dire, ce qui ne manquera pas de les troubler, que toutes les opérations tentées ont réussi… ; tout comme s’ils avaient été présents.

Pourtant, on ne peut en rester là. L'indifférence – en ce moment surtout - devient  criminelle.

M. le docteur A. Jobert, patient comme un alchimiste, est depuis hier d'autant plus décidé à faire connaître ses découvertes, que celles-ci ne peuvent que guider scientifiquement la science, bouleversée par la redécouverte du radium (connu et décrit déjà par Basile, Valentin, alchimiste du seizième siècle) et la dernière expérience de J.-B. Burke.

II serait au moins curieux qu'a l'heure où toute la chimie revient en quelque sorte à sa source maternelle l’alchimie, - puisqu’elle lui reprend sa formule initiale : La matière est une, elle évolue, il n’y a pas de corps simples et ses idées sur l’énergie matérialisée - il serait au moins curieux, dis-je, que l'on ne voulût pas écouter la voix de l'alchimiste qui prétend être, au moins pour le moment, le seul capable de guider et d'éclairer nos chimistes dans la voie scientifique abandonnée par… et depuis Lavoisier.
 
Le docteur A. Jobert n'a pas seulement un procédé pour la transmutation des métaux; il en possède plusieurs (voies sèche, voie humide, etc.) et tous scientifiquement  démontrables par le fait. Il ne se refusera même pas, le jour où une commission scientifique lui sera déléguée, à donner  (à certaines conditions très abordables du reste ! ses procédés de fabrication, en un mot à livrer ses secrets. II n'y a donc aucune cachotterie, aucune supercherie; tout est franc et loyal et se passe au grand jour.

Une découverte française

Cette découverte, qui, à mon sens, est la plus belle que l'on n'ait jamais faite, est encore française . Française ne doit-elle pas rester ?  Va-t-on obliger le docteur A. Jobert à aller, nouveau Turpin, demander à des commissions étrangères la consécration de sa découverte ?..

Aux Académies de répondre.

Je lance ici, au nom du docteur A. Jobert cet appel. A partir d'octobre prochain (1) M. le docteur A. Jobert se tiendra à la disposition de l'Académie des sciences qui comprendra aisément que l'on n'envoie pas un mémoire sur une question aussi grave que la transmutation des métaux.

On ne rit pas du microbe de la vie cherché par M. Metchnikoff; pourquoi, même, rirait-on au nez de celui qui chercherait la quadrature du cercle ou le mouvement perpétuel (Arago y croyait, lui), ou encore l’élixir de vie ou l’or potable ? Tout est possible.
Les découvertes du docteur Jobert sont nombreuses, Elles jetteraient certainement le désarroi dans les laboratoires actuels, mais elles guideraient nos savants dans les voies nouvelles ouvertes officiellement par M. BertheIot.

Un exemple, à propos de la découverte de M. John Butler Burke (génération spontanée obtenue par le radium), M. le docteur A. Jobert se chargerait au besoin de prouver la génération spontanée, et ce, sans avoir recours au radium, simplement en prenant de l'albumine bien stérilisée et en opérant avec toutes les précautions requises par la science officielle (stérilisation, vide, etc.). Il créerait un protoplasma qui ne serait certainement pas une cristallisation, ce protoplasma serait visible à l’œil nu, deviendrait membrane, matière animale…

Pour revenir à la transmutation des métaux, j’ajoute ceci, l’or du docteur Jobert (24 carats, s. v. p.) se fabrique avec un bénéfice de 100 pour 100… et, pour éteindre les dettes gouvernementales, cet or n'a pas plus mauvaise odeur que l'autre… vous savez, celui pour lequel au fond des mines tropicales, triment des milliers de malheureux !...

Croyez à l'assurance de mes meilleurs sentiments, mon cher directeur.

André Ibels ;

P. S. (1) Il faut trois mois pour fabriquer « la poudre de projection » agissant sur l’or. Le docteur Jobert a utilisé celle qu'il possédait, en ses dernières expériences. 








Toujours avant la parution de l'article de "Je sais tout", et dans le journal "La Presse" parait un court article non signé qui évoque les recherches d'Alphonse Jobert preuve qu'il n'est décidemment pas passé inaperçu dans le Paris de ce début du XXe siècle.



Le mouvement perpétuel


La pierre philosophale, cette marotte du moyen âge et des temps qui suivirent, serait-elle enfin trouvée, grâce au docteur Jobert, qui prétend pouvoir fabriquer de l'or avec du plomb. Le fameux mouvement perpétuel dont Zambour avec deux piles sèches et une petite boule creuse de métal fit une manière de réduction, n'est plus une fiction.
Nous le devons à Sa Majesté le Radium.
L'horloge au radium de Harrison Martindale pratiquement a résolu cet intéressant problème. Une petite quantité de radium est enfermée dans un tube de verre où on a fait le vide et supporté par une baguette de quartz. A l'extrémité inférieure du tube est attaché un électroscope de deux longues lames d'argent. L'activité du radium produit un courant négatif qui se transmet aux lamelles d'argent qui s'étendent et viennent toucher les parois du vase.
Par ce contact l'électricité est déchargée et les lamelles retombent. Ceci se répète toutes les deux minutes par un pendule oscillant pendant cette durée,et s'il n'arrive aucun accident fâcheux, choc imprévu et violent, théoriquement l'action doit se continuer jusqu'à l'épuisement du radium, calculé dans ce cas comme devant se produire dans trente mille ans.




Hopital Beaujon
La rue du Faubourg Saint-Honoré et l'hopital Beaujon dans lequel décéda Alphonse Dousson
(CPA LL 913)







Le moins que l'on puisse dire est qu'André Ibels croit en son alchimiste !
Car le 26 juillet est organisée une démonstration dont se fait état un autre article paru cette fois dans "Le Matin" le 15 septembre 1905, c'est à dire le jour même de la sortie du journal "Je sais tout". Il résume l'interview de Jobert par Ibels.

i


Faiseur d'or


Dans Je sais tout, sous la signature de M. André Ibels (extrait d'une interview du docteur Jobert) :

- Pouvez-vous, avec vos procédés, fabriquer de l'or en grande quantité ?

- Si l'Etat voulait, je me chargerais de lui fabriquer trente milliards en dix ans.

- Vous avez découvert vous-même les moyens ?

- En grande partie, non et c'est là le crime universel, J'affirme que les Raymond Lulle, les Basile Valentin, les Arnault de Villeneuve savaient le secret de faire de l'or. Si les officiels savaient lire dans les vieux livres comme moi, ils ne se tromperaient pas comme ils le font en ce moment.
Mais si ces secrets étaient livrés au public, cela pourrait déterminer une révolution. Parbleu à moins que l'Etat ne prenne en mains lui-même les rênes de la révolution ce qui serait sage de sa part.

- Pensez-vous que vous serez écouté ?

- Certainement et je vous assure qu'avant peu, on reconnaîtra comme moi tout ce que je vous affirme. Je sais que je suis le dernier, alchimiste, mais ce qui effraiera et ce qui forcera à m'entendre, c'est que moi aussi j'ai des titres officiels et puis si on ne veut pas m'écouter, j'irai ailleurs, là où le marché de l'or est libre - en Espagne, par exemple.
Ah ! ce ne sont pas les propositions qui me manquent de ce côté, car on sait, vous entendez bien, on sait que je puis faire de l'or.
Je sais que l'Age d'Or n'est pas éloigné, et cela me console .

Le 26 juillet dernier, dans le hall de la Grande Roue de Paris, des expériences de transmutation ont été faites avec succès, devant un public composé de chimistes, de bijoutiers, de journalistes, de médecins. M. le docteur Doyen, qui assistait aux expériences, a semblé très intéressé. Il a prié le docteur Alphonse Jobert de bien vouloir venir travailler quelque temps dans son laboratoire.







Le 4 octobre suivant, le journaliste Xavier Pelletier reparle du docteur Jobert dans "La Presse". Loin du ton ironique souvent appliqué en de tels articles, le rédacteur fait preuve d'une étonnante ouverture d'esprit.




La Pierre philosophale

Les Faiseurs d'or. L'Alchimie moderne.



Extrait article Pelletier

On s'est fort occupé, récemment, du docteur Alphonse Jobert. Ce savant, fait de l'or, parait-il , grâce à une substance dont il garde le secret et qu'il lui suffit de mélanger au plomb, à l'argent. Des expériences ont été, dit-on, tentées avec succès devant une réunion de chimistes, de médecins. Voilà donc trouvée cette poudre de projection, qui, jetée dans un creuset avec un métal quelconque en fusion, le changeait immédiatement en or. Retrouvée, plutôt; car, au moyen âge, ce merveilleux produit chimique était, semble-t-il, déjà connu, et il existe des monnaies, les raymondines, qui furent ainsi transmuées.

Qu'on se garde surtout de traiter de folie cette transmutation des métaux en or. La négation à priori dont on abuse à propos de tout ce qu'on ne comprend pas témoigne chez les hommes de science d'un déplorable esprit scientifique, et les infinies transformations de la matière nous réservent bien d'autres surprises.
La matière n'est que l'énergie toujours prête à se mouvoir, à se libérer. Elle est une dans son essence, et tous les corps connus ne sont que les modalités d'une substance unique. Le plomb, l'argent, le soufre, le fer, les minéraux quels qu'ils soient sont identiques au fond et ne diffèrent que par le nombre et le groupement d'un même atome.

Que, grâce à une influence quelconque, chimique ou physique, – et c'est le but de la poudre de projection,–cet équilibre des atomes soit rompu, voici changé en argent ou en or, ce qui était plomb auparavant. Cette modification est obtenue d'ailleurs depuis longtemps pour d'autres corps, pour le phosphore, par exemple. Cette vie particulière des métaux est connue, maintenant. On sait que les molécules qui les constituent sont sensibles aux agents chimiques ou physiques, qu'ils fermentent, qu'ils sont en perpétuel mouvement. On a constaté que des rondelles de plomb et d'or, juxtaposées, s'interpénètrent au bout d'un certain temps, et l'on retrouve ainsi des parcelles d'or au milieu ou à !a surface opposée de lames de plomb qui n'en contenaient pas auparavant.




II n'y a donc là aucune sorcellerie, aucun phénomène surnaturel. Le surnaturel n'existe pas plus que les corps simples.
De nos jours, MM. F. Jollivet-CasteIot, J. Delassus, Et. d'Hooghe, Giroux, le docteur Encausse, F. Ch. Barlet, qui eussent été un peu brulés jadis, sont des chimistes de valeur certaine et nullement démoniaques, quoique leur science ait des allures un peu mystérieuses. Il y aura lieu d'ailleurs de revenir spécialement à cette question de l'hermétisme, de l'hyperchimie à qui, comme, en sciences psychiques certains précurseurs, rendent de si éminents services, et il est des noms qu'il conviendrait de tirer de l'oubli; ceux d'Albert Poisson, de Tiffereau, par exemple, qui fit vraiment de l'or, et à qui il ne manqua avec une habile réclame que les moyens de mener jusqu'au bout ses étonnantes expériences.

La pierre philosophale que poursuivirent tant de hautes intelligences, sous des formes multiples, depuis Nicolas Flamel, se découvre un peu chaque jour. Sans parler de Berthelot, qui en toute vérité créa la chimie moderne, combien de savants contribuent à une évolution scientifique singulièrement rapide ! C'est M. Dastre discernant, étudiant les réactions de la cellule dans les minéraux c'est M. et Mme Curie découvrant le radium; c'est M. Frémy, c'est M. Moisson faisant la synthèse de quelques pierres précieuses. Grâce au four électrique produisant des températures inconnues jusqu'alors, auxquelles succède un brusque refroidissement du creuset amenant une énorme pression, le carbone se cristallise en diamant, l'alumine presque pure en minuscules pierres.

D'autres chercheurs encore consacrent obstinément leurs efforts à ces travaux. C'est M. G.-J. Démotte, reconstituant le rubis, non par synthèse, mais par fusion de sa propre poussière, et formant ainsi, de belles gemmes d'une pourpre ardente.
C'est le docteur A. Jobert, se dévouant à ses recherches sur la transmutation des métaux avec une foi d'illuminé. Pour ce dernier, attendons avant d'affirmer ou de nier. On jugera bientôt sa découverte qu'il sera facile de vérifier authentique ou imaginaire. Qu'on sache seulement qu'elle est possible.

Xavier Pelletier.







Alphonse Jobert semble alors s'effacer dans les quotidiens de cette époque au profit d'un personnage beaucoup plus sulfureux encore que lui, un certain Lemoine qui réussit à escroquer des diamantaires en leur faisant croire qu'il était capable de fabriquer des pierres précieuses. Lemoine semble s'être inspiré de la notoriété de notre alchimiste pour bâtir la sienne. Rattrappé par la justice, il sera finalement incarcéré avant d'être libéré pour bonne conduite et de filer à l'étranger avec sa compagne et l'argent qu'il avait pris soin de soustraire au regard de la justice.
Tout comme Lemoine, Jobert va alors avoir de sérieux ennuis avec la Justice française et dès le 28 février 1911, le journal "Le Matin" s'en fait l'écho, mais le ton a changé  :



rue Vaugirard

La rue Vaugirard où vécut un temps Alphonse Dousson. Tout juste en face !
Peut-être même le bistrot où il buvait accompagné de René Schwaeblé...

(photo des archives de la ville de Paris)




Un émule de Lemoine



L'alchimiste Jobert avait simplement découvert le secret de la transmutation des métaux et un élixir de vie.

M. Berthelot, commissaire aux délégations judiciaires, vient d'être appelé à ouvrir une enquête sur une affaire qui, par différents côtés, évoque l'aventure à laquelle fut mélé l'alchimiste Lemoine, dont on se rappelle les démelés récentes avec la justice.
Il y a quelques jours, parvenait au parquet de la Seine une série de plaintes concernant un docteur en médecine, M. Alphonse Jobert, qui, prétendant avoir découvert le secret de la transmutation des métaux, avait obtenu des plaignants les commandites nécessaires, disait-il, à la réalisation de ses expériences.

Dès le début de son enquête, M. Berthelot acquit la certitude que le titre de docteur en médecine dont se parait M. Jobert était purement illusoire. Jamais nul diplôme n'avait été décerné au moderne alchimiste.
M. Berthelot, apprit ensuite que ce n'était pas la première fois que le pseudo-docteur Jobert avait cherché, dans un but plus ou moins intéressé, à faire admettre la réalité de ses découvertes.

Déjà, en effet, en 1905, alors qu'il habitait, 283, rue de Vaugirard, où il avait installé un très modeste laboratoire aux étagères garnies de cornues et de creusets, il avait tenté, à l'aide d'une publicité quelque peu tapageuse, d'attirer sur lui l'attention.

Dans un établissement voisin du Champ-de-Mars, il avait convoqué un nombreux public à assister à ses expériences. Il expliqua qu'ayant vécu longtemps aux Indes, il en avait rapporté le secret du « grand œuvre », actuellement détenu par les fils de Brahma.

Les expériences eurent lieu. A vrai dire, elles ne convainquirent qu'à demi les assistants, et les tapages qui les suivirent ne donnèrent que de médiocres résultats.
Mais l'alchimiste Alphonse Jobert ne se laissa pas rebuter. Il partit à la recherche de nouveaux commanditaires.

D'ailleurs, au secret de la transmutation des métaux, ne venait-il pas d'ajouter une nouvelle découverte l' « élixir de vie » ?
Mais sans doute les nouveaux commanditaires ne furent-ils pas satisfaits. La fortune qui leur avait été promise (M. Jobert s'était vanté de pouvoir fabriquer trente milliards en dix ans) se fit évidemment trop longtemps attendre à leur gré, puisqu'ils saisirent le parquet des plaintes sur lesquelles M. Berthelot informe en ce moment.








Alphonse Jobert


Alphonse Dousson.
Cette photo illustrant l'article du "Matin" est reprise de "Je sais tout"




Le 2 mars, toujours dans "Le Matin", parait un long article à propos de celui qui redevient pour un temps le docteur Jobert. Le journal, présidé par Jules Madeline et son rédacteur en chef, Stéphane Lauzanne a décidé d'en savoir un peu plus sur l'étrange alchimiste et mène son enquête :



Les ennuis d'un alchimiste moderne.
Curieux entretien avec le docteur Jobert accusé d'escroquerie



Nous avons annoncé que M. Berthelot, commissaire aux délégations judiciaires, avait ouvert une enquête au sujet de plaintes en escroqueries, déposées contre le docteur Jobert, un alchimiste moderne, qui, depuis quelques années, affirme avoir découvert le secret de la transmutation des métaux.

Comme tout savant qui se respecte, le docteur Jobert fuit le monde. Il se confine dans son cabinet de travail, et n'aime pas faire connaître son adresse, afin d'éviter les importuns. Aussi est-ce après de laborieuses recherches que nous avons pu joindre le fameux « chercheur d'or», qui s'est réfugié chez une amie, Mme Samoyer, demeurant à Vaugirard, 17, rue Corbon (3). C'est également après quelques péripéties héroï-comiques que nous avons enfin pu être introduit près du docteur Jobert. Celui-ci était dans son cabinet de travail, assis devant une table. Ses yeux rêveurs fixaient une feuille de papier blanc, sur laquelle, bientôt, une main nerveuse griffonnerait des formules inconnues.

A notre arrivée, le « chercheur » leva lentement la tête, et écouta, distraitement sembla-t-il, l'objet de notre visite. Puis, après avoir promené ses regards sur ses livres, soigneusement rangés, sur ses cornues de toutes formes et de toutes dimensions, accrochées symétriquement aux murs, sur des appareils bizarres entassés géométriquement, enfin sur un four de laboratoire transformé judicieusement en appareil de chauffage, le docteur Alphonse Jobert caressa par deux fois sa barbe grisonnante, ferma les yeux, comme pour se recueillir, et d'une voix grave, nous fit les déclarations suivantes :

Un merveilleux "ferment

Depuis de longues années je poursuis des recherches ayant pour but la reproduction de tous les métaux, notamment de l'or.
J'ai découvert un "ferment" qui me permet d'obtenir la « transformation atomistique » d'un métal, c'est-à-dire sa multiplication par lui-même.

On m'avait signalé en 1897 une mine de plomb située à Villalet, province de Lérida, en Espagne, mine très riche en argent puisque le minerai donnait un rendement de 25 0/0 d'argent (4). Avec mon ferment,  j'obtins un rendement de 60 0/0. Je résolus de mettre la main sur cette mine, mais il me fallait des commanditaires.

Par l'intermédiaire d'une société, " l'Auxiliaire", dirigée par le chanoine Fournier, société aujourd'hui disparue, et dont les bureaux étaient situés 7, rue Papillon, à Paris, j'entrai en relations avec M. Van den Hande, de Bruxelles, et Mgr Félix Grimaldi, résidant au palais Caliste (5), à Rome, Ces deux messieurs devaient fournir les capitaux pour l'achat de cette mine moi, j'apportais mon secret. Nous rédigeames un contrat d'association dans ce sens.
Avant d'acheter cette mine, M. Van den Hande voulut que l'on fit des essais. Un laboratoire fut alors installé à Bolbec (Seine-Inférieure), chez un de mes amis, M. Gallot, vétérinaire, (6) qui possède du reste un appartement à Paris, rue Murillo. M. Gallot, qui est mon « associé scientifique », dirigea ce laboratoire. Des échantillons de minerai de Villalet furent traités par mon " ferment " et les lingots ainsi obtenus furent analysés par le laboratoire de Bruxelles.

M. Van den Hande ne trouva pas les résultats satisfaisants, et il y a deux ans les pourparlers engagés entre nous furent rompus.

Aujourd'hui M. Van den Hande dépose une plainte en escroquerie contre moi, et me réclame 20,000 francs, qu'il aurait versés pour m'aider à poursuivre mes recherches.
C'est inouï ! Jamais M. Van den Hande ne m'a remis de l'argent, si ce n'est une somme de 1,400 francs qui a servi à aménager le laboratoire de Bolbec et à solder divers frais d'expériences exigées par lui.
Je suis armé contre toute accusation tendant à m'assimiler à un Lemoine quelconque. J'ai en ma possession le bulletin des analyses faites à Bruxelles sur les minerais traités par mon "ferment ". Ces résultats sont merveilleux. Je ne suis pas un imposteur, mais un pauvre chercheur que l'on veut ennuyer dans ses travaux, après avoir, en vain du reste, tenté de lui dérober ses secrets.


Histoire d'un pseudonyme

Nous posons alors cette question à notre interlocuteur :

Mais, docteur Jobert, on vous accuse en outre de ne pas être docteur. L'êtes-vous ?

C'est vrai, je ne suis pas docteur. Les deux mots « docteur Jobert » constituent mon pseudonyme. Sur les registres de l'état civil, je m'appelle Hippolyte Dousson. Mon père, qui ne m'a jamais reconnu, s'appelait Jobert. C'est lui qui néanmoins m'éleva. Jusqu'à dix-sept ans, on m'appela "le petit Jobert ". Je commençai plus tard mes études de médecine, et je fus alors appelé « docteur Jobert ». Depuis on m'a toujours nommé ainsi; quoique pour des raisons diverses, j'aie envoyé la faculté de médecine et ses diplômes à tous les diables. Je suis le « docteur Jobert », mais je n'exerce pas la médecine; je me borne à ausculter, à soigner et "médicamenter ", à l'aide de mon ferment, tous les métaux.

Qu'est-ce que vous voulez ? Depuis cinquante ans bientôt, tout le monde me connait sous le nom de docteur Jobert. Je ne puis pourtant pas me faire appeler maintenant Hippolyte Dousson.



17 rue Corbon

Le 17,  rue Corbon, on passe sous les ailes d'Hermes pour y pénétrer !!



Voilà un article passionnant ! On y apprend  que  ce  brave docteur Jobert ne nous ment pas sur ses commanditaires, nous explique l'origine de son pseudonyme... On y découvre également qu'il s'appelle Hippolyte Dousson. Tout laisse supposer que ce père qui ne l'a pas reconnu, fut une personne d'un certain rang social. Dousson nous apprend qu'il assura son éducation et très certainement couvrit les frais de ses études en médecine.

Le lendemain même de la parution de ce nouvel article, une lettre au journal dans laquelle Hippolyte Dousson, tentait donc de se justifier fut obligeamment publiée, en partie au moins :



L'alchimiste Jobert


Nous avons raconté hier les aventures du docteur alchimiste Jobert. Celui-ci, que rien ne décourage, nous a écrit une longue lettre dont nous extrayons les passages suivants.

« C'est en novembre 1907 que j'ai vu pour la première fois M. Van den Hende.

Je le reçus chez moi, 93, rue de l'Abbé-Groult (7). II me demanda de faire devant lui une expérience sur la transformation du plomb en argent. Je pris une coupelle que je plaçai sur un support approprié puis, par l'intermédiaire d un chalumeau, je fis fondre un gramme de plomb ordinaire avec cinq centigrammes de mon "ferment", Le résultat indiqua un rendement de quinze centigrammes d'argent. En continuant les expériences, j'obtins 30 de rendement en argent.
Mais, je fis com
prendre à M. Van den Hende qu'il serait impossible de négocier ma découverte, attendu que le marché des métaux précieux n'est pas libre et qu'il nous aurait fallu posséder une mine de plomb. Je n'ai jamais pu savoir pourquoi M. Van den Hende voulait acheter cette mine en son nom. Je crois qu'il voulait tout acheter, même mon collaborateur. »

Il n’y a que la fois qui sauve.






Le Matin Novembre 1912
Ce qui se passa par la suite ?

Mon premier article le relate. L'alchimiste passa devant la dixième chambre correctionnelle. Le juge Pradet-Balade avait assuré l'instruction du procès, en l'absence du prévenu (Dousson ne s'est pas présenté), le Président Hubert du Puy et le substitut de la République Lafon interrogent un expert. Un autre article paru dans le journal "La Lanterne" le 26 juillet 1912 nous en précise le nom, il s'agit de Léon Masson, un ingénieur des Arts et manufactures dont on se demande s'il fut qualifié pour répondre aux questions qu'on lui posait en terme d'alchimie.

Quoiqu'il en soit, Hippolyte Dousson fut bien condamné à deux années d'emprisonnement, peine assez lourde en comparaison de celle infligée à Lemoine. Il est fort possible qu'il fut victime de la lamentable publicité que firent et la presse et le milieu parisien de l'ésotérisme à cette affaire.

Il est aussi plus que probable que Dousson fut libéré avant la fin de sa peine, probablement en 1913 puisque dans la revue "Initiation et Science", un article signé Logos Galaton, le signale comme disparaissant de son appartement de la rue Rosalie. Mais là, déjà ou à nouveau, plus rien ne semble bien établi car la rue Rosalie n'existe pas, est-ce alors l'avenue sainte-Rosalie ? D'autres ont évoqué la rue Marie-Rose bien tentante car Lénine y vécut...

Au pire en tout cas le sieur Dousson accomplit sa peine fin 1914.
Après cela, on comprend qu'il se fit plus que discret.

Christian Attard. Décembre 2012




Notes et sources

(1)
Voir ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Discussion:Alphonse_Jobert  la discussion où un internaute essaie de faire rectifier sans succès ces dates erronées.

(2) voir ici : http://tybalt.pagesperso-orange.fr/LesGendelettres/biographies/BoisJ.htm une excellente biographie de cet extraordinaire personnage.

(3) L'immeuble fut construit en 1910 sur une conception de Frédéric Vallois.

(4) Mine qui existait et produisait de la galène argentifère. Dousson disait donc vrai à son propos.

(5) En réalité Palais saint-Calixte. Félix Grimaldi y fut chanoine honoraire et secrétaire particulier du cardinal Pitra. Il écrivit en 1890 un ouvrage tendancieux sur les congrégations romaines qui fut mis à l'Index l'année suivante.

(6) G. Gallot fut en effet vétérinaire à Bolbec (Seine-Inférieure). Ce monsieur était aussi un passionné de préhistoire.

(7) Cet immeuble est très proche de son adresse rue Vaugirard.




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