Le chevalier casqué ...







Croire qu'il n'existe qu'une seule et unique explication aux mystères du Razès ne serait pas très réaliste. Que ce soit un immense trésor, le corps du Christ ou l'arche d'Alliance ne suffira pas, j'en ai peur, à nous faire comprendre comment autant d'hommes, aux motivations si diverses se sont entrecroisés âprement durant des siècles.

Un certain Benjamin Fabre est de ceux-là; il écrivit en 1913 un livre au titre fort étrange : "Eques a capite Galeato", (le "chevalier au chef casqué"), un initié des sociétés secrètes supérieures, 1753-1814.(1) qui eut un grand retentissement. 
L'ouvrage, préfacé par Paul-Joseph Copin, un journaliste anti franc-maçons se veut une dénonciation du complot maçonnique qui généra selon lui la Révolution française.




Bien que l'auteur se cache derrière un pseudonyme, il finit tardivement par être découvert, il s'agissait de Jean-Baptiste Guiraud (c'est Jean Amadou qui l'établit le premier). Natif en 1866 de Quillan, il a d'ailleurs fort bien pu côtoyer les protagonistes de nos mystères du Razès. Mais il est aussi possible que professeur d'histoire à Besançon, il ait pu avoir accès selon Gérard Galtier (2) à quelques documents relatifs à la création dans cette ville de la Société secrète militaire des Philadelphes en 1797.

Pas plus que l'auteur, n'était indiqué le nom du principal protagoniste : le fameux "Eques", qui se révéla être le Vicomte François-Marie de Chefdebien, un nom bien connu des chercheurs du Razès. 
Guiraud-Fabre est parfaitement renseigné sur les activités occultes des Chefdebien et il indique à plusieurs reprises qu'il ne peut signifier ses sources. Il semble penser que le fils du créateur du rite de Narbonne ait pu être lié familialement aux évènements révolutionnaires.

Représentatif de tout un courant de pensée monarchiste et catholique, Jean Guiraud provoqua une fois encore des remous dangereux dans les eaux sombres de très nombreuses sociétés d'influence dont certaines tenaient fermement l'institution même dans laquelle il travaillait. En conséquence, ses écrits (souvent subversifs) ne lui apportèrent pas que des gratifications, loin de là.



Il participait ainsi activement à une lutte d'influence entre Francs-maçons républicains et laïcs et monarchistes catholiques.




Une question demeure essentielle : comment Jean Guiraud réussit-il à être aussi bien informé sur un des hommes les plus actifs et influents de la Franc-maçonnerie du XVIIIe siècle ?

Il est fort probable que l'auteur ait bénéficié de la documentation fournie par un "informateur", un informateur forcément bien introduit au sein d'une véritable "famille d'initiés". Déjà en 1792, le vicomte signalait un vol de documents dans sa propriété. On pense que la loge des Chefdebien suspendit toute activité à la mort de François-Marie en 1814. Il s'est donc écoulé plus de 22 ans entre le vol et la mort du Vicomte. Un laps de temps trop grand qui aurait laissé trop d'aspect de la vie du créateur du Rite de Narbonne dans l'ombre ; d'autre part l'auteur fait état de documents précis datés des premières années du XIXe siècle. Il parait donc plus plausible que Guiraud ait obtenu des renseignements plus récents car il est aussi fort possible que les activités secrètes d'une famille profondément passionnée par les rituels initiatiques aient perduré.




Aussi, nous faut-il bien en arriver à une hypothèse de travail qui, au fil des temps, semble s'établir plus solidement. 
Alfred Saunière fut nommé précepteur chez les Chefdebien, il nous faut alors nous poser les questions suivantes : 
- sur quelles recommandations ? 
- par quelles influences, ce prêtre au caractère difficile a-t-il pu obtenir ce poste ?

Des documents concernant le rite de Narbonne et ceux qui lui ont succédé pouvaient intéresser beaucoup d'anti-maçons très virulents à cette époque, Alfred fut-il l'agent transmetteur  ?
Contrairement aux croyances les plus répandues, il y avait beaucoup d'ecclésiastiques dans la franc-maçonnerie, nombreux étaient les francs-maçons qui avaient été formés au sein même de l'ordre de Malte où les Chefdebien jouèrent un rôle très important. 
(Il serait d'ailleurs plus qu'intéressant de se pencher sur le rôle primordial que joua et que joue encore l'ordre de Malte dans la logistique de certaines sociétés ou officines secrètes.) Alfred Saunière réussit-il à jouer sur plusieurs registres quitte à en monnayer la partition ?

A supposer donc que quelques indélicats aient subtilisé des archives essentielles au rit primitif ou à celui de Memphis, ces documents pouvaient se négocier très cher... Et il valait peut-être mieux que ce ne soit pas le voleur qui s'en charge ...


Alfred Saunière








Pour finir et à titre anecdotique ( quoique !) il est à noter que Jean Guiraud s'intéressa aussi au Monastère de Prouille qui tenait tant à cœur au bon Arsène Billard. Il publia en 1907 : "le cartulaire de Notre Dame de Prouille".





Notre Dame de Prouille




Mais une autre personne Jules Doinel, le fondateur de l'église gnostique, évêque gnostique d'Alet en 1896, s'intéressa à Prouille et il était, en tant qu'archiviste de l'Aude au début du XXe siècle, bien placé pour cela. 
Il écrivit lui en 1898 : "Un inventaire des titres du monastère de Prouille" et en 1902 "les annales du prieuré de Prouille". Prieuré qui semble décidément lui aussi avoir fortement intéressé les ésotéristes de l'époque. 
Mais cela est une autre histoire...

Christian Attard








Notes et sources :

(1) - le livre était disponible aux édition Phénix
(2) - Gérard Galtier : Maçonnerie égyptienne, Rose-croix et néo chevalerie aux Éditions du Rocher.





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