Signé "HP"

Le Tableau de la chapelle de Saint Joseph dans Notre-Dame de Marceille (près de Limoux-Aude)
(Photo Christian Attard)

Notre Dame de Marceille doit à un immense élan de ferveur religieuse et populaire de n'être jamais sortie du cœur des hommes de l'Aude. Générations après générations, ils n'ont cessé d'implorer et de remercier l'antique présence protectrice personnifiée par un petit morceau de bois martyrisé.

Un grand nombre des visiteurs du sanctuaire limouxin, des plus savants aux plus fantaisistes l'a scruté et parcouru dans ses moindres recoins, allées ou chapelles. Ses tableaux on fait l'objet de classements aux monuments historiques (1) et ont été maintes fois commentés et photographiés, et pourtant…pourtant… Quelques uns de ses trésors restent encore à relever des brouillards sombres de l'oubli et de l'ingratitude des hommes.

C'est à une de ces belles redécouvertes que je vous convie aujourd'hui.


Détail de ce même tableau
(Photo Christian Attard)

La petite chapelle consacrée à Saint Joseph et anciennement à Saint Loup n'est pas la plus visitée de l'église. Le grand tableau qui y figure dans une ombre peu propice à nos regards a du être pris pour une représentation de "Jésus entre Joseph et Marie", sorte de Sainte Famille ce qui expliquerait peut-être sa présence ici. Cependant, à y regarder de plus près, il n'en est rien, et notre tableau de très belle et très sensible facture, une fois remis en lumière, représente tout au contraire la descente du Saint-Esprit, sous la forme traditionnelle d'une colombe blanche, sur la personne de la jeune et virginale Marie. Juchée sur un piédestal, elle est entourée de son père : Joachim et de sa mère : Anne, figurant peut-être ainsi une future présentation au Temple. L'ensemble est doux, sensible, agréablement proportionné et présenté, conforme aux canons picturaux en vigueur au XVIIeme siècle.

A ce jour (27 novembre 2010), vous ne trouverez cependant aucune mention de ce tableau nulle part. Et le monde intraitable et omniscient d'Internet ne porte en lui absolument aucune trace de sa présence dans l'Aude ou ailleurs en son vaste univers virtuel. Aucun des nombreux opuscules écrits sur le site marial ne le mentionne non plus (2)

Peut-être a-t-on considéré qu'il n'avait guère d'intérêt. Mais à y regarder de plus près, il porte en lui, sous les pieds de la jeune Marie, la signature de son auteur, une signature qui ne pouvait que m'interpeller…

L'école de peinture toulousaine du XVIIème siècle fut une des plus riches et actives de France, elle comptait parmi ses illustres membres messieurs : Jacques Boulbène (1560-1605), Jean Chalette (1581-1644), Nicolas Tournier (1590-1639), le frère lai Ambroise Frédeau (1589-1673) dont le frère Mathieu est bien connu maintenant à Notre Dame de Marceille, Antoine (1667-1735) et Jean-Pierre Rivalz (1625-1706) et enfin Hilaire Pader (1617-1677).

Ce dernier fut certes peintre, mais se distingua surtout par ses traductions, écrits et poèmes sur la peinture. Il voua toute son existence une grande admiration à Nicolas Poussin (1594-1665) et échangea avec lui des nombreux courriers parfois tragi-comiques. Pader naquit à Toulouse le 24 février 1617 et devint en juillet 1632 l'élève de jean Chalette, peintre officiel de l'Hôtel de ville de Toulouse. Trois ans après, il poursuivit sa formation par le classique voyage à Rome où malheureusement il ne rencontra pas le Poussin mais étudia avec un disciple du grand De Vinci : Niccolo Tornioli, peintre du prince de Savoie. De retour à Toulouse, on l'employa à achever les portraits de plusieurs Capitouls que Chalette ne put finir.

"Le sacrifice d'Abraham d'Hilaire Pader" - Cathédrale St Etienne de Toulouse
(Photo Christian Attard)

Vers 1648-49, Pader traduit un traité d'un peintre italien Giovanni Lomazzo : " Le traité de la proportion naturelle et artificielle des choses " qu'il dédit à son altesse le cardinal Maurice de Savoie. Devenu à son tour peintre de ce souverain princier, il ne tarde pas à exercer aussi ses talents pour la famille Grimaldi de Monaco, représentée à l'époque par le Prince Honoré II. Pader est donc doublement P. P. = Peintre des Princes. Mais plus certainement dans son esprit, P. P. : Peintre et Poète.

En 1653, il publie sa " Peinture parlante " dédiée cette fois aux membres académiciens et n'omet pas d'en adresser un exemplaire à M. Poussin qui l'en remercie avec une modestie si appuyée qu'elle en frise l'ironie.

En 1658 parait son troisième ouvrage " Le songe énigmatique sur la peinture universelle " et Pader accède en décembre 1659 à son plus cher désir : devenir membre de l'académie royale de peinture à Toulouse. On garde aussi de lui : " Plan, ou Dessein idéal pour le tableau du Déluge qui doit estre représenté dans la chapelle de Messieurs les Pénitens noirs de Tolose ". Ouvrages accessibles sur le site Gallica.

Allégorie de la Charité au Musée des Augustins de Toulouse
Retrouvé par M. Gabriel Buroni

Le sieur Hilaire Pader était donc peintre de l'académie de la galerie du Louvre du Roy à Paris et maître de chefs d'œuvre à Toulouse. Peintre du Roi en son académie royale soit P. R. en abrégé mais après 1660.

Tantôt encensée, tantôt décriée, la valeur des compositions picturales de Pader fut sujette à de vigoureux débats bien toulousains. Est-ce pour cette raison que ses œuvres se firent rares avec le temps.

On connaissait de lui un certain nombre de représentations à caractère religieux aujourd'hui presque toutes disparues parmi elles :

- Un christ enseignant, 
- Une fuite en Égypte, 
- En 1656 - Un déluge , commande des pénitents noirs de Toulouse 
- En 1659 - La paix universelle du règne d'Auguste, allégorie du traité conclu le 7 novembre 1659,
- En 1668 - il destine aux Trinitaires un tableau représentant la Vierge 
- Le passage de la mer rouge, 
- La paix universelle du règne d'Auguste.
- Un portrait de César de Bus

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"Le triomphe de Joseph" - Cathédrale St Etienne de Toulouse
(Photo Christian Attard)

Nous restent :

- En 1646 - Un Louis XIV enfant en St Michel terrassant le dragon (3) 
- En 1656-57 - Le triomphe de Joseph, commande des pénitents noirs de Toulouse. Dans lequel Pader eut l'outrecuidance, par vengeance semble-t-il, de se faire figurer lui-même en Joseph. conservé à la Cathédrale Sainte Etienne de Toulouse 
- Un sacrifice d'Abraham, conservé à la Cathédrale Sainte Etienne de Toulouse 
- En 1663 - Un album de parlementaires toulousains conservé
(4) au Musée Dupuy à Toulouse. 
- En 1667 : Une flagellation au Musée des Augustins de Toulouse
- En 1671 -Une allégorie de la Charité au Musée des Augustins de Toulouse 
- En 1672 - Une crucifixion conservée à Montauban, retrouvé aussi par M. Gabriel Buroni. 
- Le supplice de Prométhée
- Un Samson défaisant les Philistins, 

Monogramme d'Hilaire Pader (dans l'encadré rouge)

Après ces quelques rapides notes sur ce grand peintre toulousain revenons en un lieu qui nous est cher :

Juste sous les pieds de la jeune Marie peut se distinguer une série de lettres : un H abritant un P deux autre P. "Fit" et une date "1656". Cette seule date fait très certainement de ce tableau le plus ancien placé dans le sanctuaire audois. Quant à cette signature, elle n'est plus maintenant une énigme pour nous qui venons de nous souvenir d'Hilaire Pader. 
Le site http://www.artarchiv.net/ nous permet de retrouver les monogrammes de peintres célèbres. A n'en pas douter, nous sommes à Notre-Dame de Marceille face à un tableau oublié du grand peintre Hilaire Pader .
Observation amplement confirmée par le frontispice de sa « Peinture parlante » en 1657.

 Frontispice de la « Peinture parlante » en 1657 
et signature sur le tableau de Notre-Dame de Marceille en 1656.
Sur les deux, la même signature HP : Hilaire Pader , P. P. : Peintre et Poète, Fit : Fécit : le fit en 1653  et 1656

.

Détail du tableau de la Vierge au St Esprit de Notre-Dame de Marceille
(Photo Christian Attard)

Comment un tel tableau peut-il se retrouver aujourd'hui dans Notre-Dame de Marceille ?
 Il est bien difficile de le dire sans une analyse plus poussée du registre de ses marguilliers.

Quelques pistes toutefois s'offrent à notre réflexion : La première est que Pader peignit à Toulouse un portrait de César de Bus (1544-1607), le fondateur des pères de la Doctrine chrétienne. Cette congrégation de la Doctrine chrétienne ou des Doctrinaires fut approuvée par Clément VIII en 1597. Or ces doctrinaires s'installèrent en 1640 à Limoux en provenance de Narbonne (5) puis à Notre-Dame de Marceille. Pader qui admirait ces prêtres a très bien pu leur offrir ce tableau ou répondre à une commande. L'arcade visible au sommet de le peinture sorte de Marie-Louise artificielle tendrait à nous laisser penser que le tableau s'inscrivait dans un décor différent.

Une autre hypothèse serait que comme le Saint Antoine de Mathieu Frédeau, le tableau puisse être un ex-voto en remerciement ou en espoir de guérison. Car Pader craignit un temps pour sa vue et traduisit l'œuvre du peintre Lomazzo qui lui-même devint très tôt aveugle. Ce fut aussi le cas pour Ambroise Frédeau et son frère Mathieu exécuta peut-être à son intention cet ex-voto à une Vierge réputée guérir les troubles de la vision.

Revoilà sorti de son ténébreux purgatoire ce modeste tableau qui est, si mon approche veut bien être confirmée par plus doctes analystes que moi, le plus précieux de Notre-Dame de Marceille, œuvre du trop sensible et si tourmenté Hilaire Pader.

"Le triomphe de Joseph" - Cathédrale St Etienne de Toulouse
Hilaire Pader en Joseph triomphateur de ses ennemis ?
(Photo Christian Attard)

Je n'ai nul doute que la paternité d'une telle redécouverte m'échappera très vite, j'ai trop présent à l'esprit pareille mésaventure arrivée à un de mes amis qui découvrant au fin fond d'une sacristie un tableau de maître fut spolié de sa découverte par quelques indignes membres d'une société savante toulousaine. Ces derniers s'empressant de lancer une publication attestant leur " découverte ". (6)

Ainsi vont la vie et les petites gens, mais l'essentiel n'est-il pas que renaisse à nos yeux le talent oublié de ce monsieur Pader, turbulent et émouvant peintre toulousain ? (7)  
Des travaux de restaurations vont être entrepris à Notre-Dame de Marceille, espérons que cette famille de la Vierge au St esprit ne sera plus oubliée
(8)...

Christian Attard - Ce 28 novembre 2010

Notes et sources
(1) Voir sur la base Palissy par exemple. http://www.culture.gouv.fr/culture/inventai/presenta/CA3.htm  ou http://www.culture.fr/

(2) Opuscules connus sur Notre Dame de Marceille :

- Louis-Alban Buzairies, Bibliographie. Notice historique sur la chapelle de Marceille, Journal de Limoux, 31 janvier 1858. 
- J. Escargueil, Notre-Dame de Marceille à Limoux sur l'Aude, Carcassonne, Parer, 1881. 
- J.-Th. Lasserre, Histoire du pèlerinage de Notre-Dame de Marceille près de Limoux sur Aude, Limoux, Talamas, 1891. 
- G. Boyer, Notre-Dame de Marceille, La Seyne-sur-Mer, J. Le Marigny, 1962. 
- G. Migault, Notre-Dame de Marceille (Limoux), Carcassonne, Gabelle, 1962.
- Robert Debant, Notre-Dame de Marceille, CAF, Paris, 1973, pp. 331-343. 
- Louis Fédié, L'église de Marceille, Mémoires de la Société des arts et sciences de Carcassonne, 1890-1892, pp. 250-257. 
- Antoine Sabarthès, Alet, Saint-Martin de Limoux, Notre-Dame de Marceille, Cahiers d'histoire et d'archéologie, n°8, pp. 1-16. 
- G. Semenou, Notre-Dame de Marceille. Le sanctuaire et son pèlerinage, Carcassonne, Gabelle, 1992

(3) Visible sur cet excellent site : http://polymathe.over-blog.com/article-24267086.html

(4) Qui lui vaudra bien des déboires " sanglants " et un retrait dans le palais épiscopal de Luçon aux cotés de Nicolas Colbert, évêque aux sympathies jansénistes. C'est au cours de ce séjour qu'Hilaire Pader verra à plusieurs reprise l'hostie irradier une lumière blanche au moment de son élévation et en sera fortement impressionné. 
http://www.toulouse.fr/cultures/musees-expos/musee-paul-dupuy

(5) "Notices historiques sur la ville de Limoux" par L.-H. Fonds-Lamothe - Limoux 1838

(6) En même temps que parait cet article est avisée la chancellerie de l'évêché de Carcassonne qui en reçoit copie. A Mgr Alain Planet, évêque de Carcassonne et Narbonne de communiquer à propos de ce tableau situé dans une propriété de son évêché.

(7) A propos d'Hilaire Pader voir les ouvrages de M. l'abbé J. Lestrade : - "Le Triomphe de Joseph et le Déluge" en 1897 chez Kessinger Publishing (novembre 2009) - "Hilaire Pader, peintre toulousain au XVIIe siècle, d'après des documents inédits" chez Privat en 1901 
Et aussi : 
-"La Revue des Pyrénées" tome IX année 1897. 
- "La Revue universelle des arts". Paris chez Renouart - Tome IX et suivants par le marquis Philippe de Chennevières-Pointel.
- "Mémoire de l'Académie des sciences inscriptions et belles lettres de Toulouse - 1901 série 10 - tome IX - par M. le baron Desazars de  Montgailhard
- "Histoire des peintres provinciaux de l"ancienne France" en 1854
par le marquis Philippe de Chennevières-Pointel.

(8) http://www.aude.catholique.fr/?q=node/9974

Article parue le 1 décembre 2010 dans le Midi Libre
Notes et sources
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