Le fil du phylactère (1)

Le porche de Notre Dame de Marceille. (CPA)

Ayant fait l'acquisition d'une carte postale plus ancienne encore que celle montrée ci-dessus mais n'en différant en rien, je me suis penché sur l'inscription portée dans le phylactère du porche de Notre Dame de Marceille.
En voici le relevé :

"Hanc voce non timida quilibet salutet, non est enim tumida, ut non resalutet. "

Soit  : voici la voix qui n'est pas craintive, elle n'est pas rempli d'orgueil, n'importe qui peut la saluer et elle te répondra en retour.

Et encore une fois (voir le texte : "Noire et si jolie") nous n'allions pas être au bout de nos surprises !

C'est un ami (1), qui a retrouvé l'origine exacte de cette phrase par Internet. Elle est extraite d'un recueil de poèmes attribués à Walter MAPES et publié à Londres pour la Camden Society en 1841



L'auteur de cette compilation est l'érudit antiquaire Thomas Wright (1810-1877), membres de multiples sociétés savantes dont l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Wright fit ses études au Trinity College de Cambridge fondé par le Rosicrucien John Dee,  il s'intéresse aussi à l'archéologie et publiera d'ailleurs en 1852 un livre qui aurait certainement intéressé H. Boudet : "The Celt, the Roman and the Saxon" . 
Comme beaucoup d'antiquarians, on peut supposer que Thomas Wright devait avoir beaucoup de sympathie pour, à la fois la pensée Rose-croix et le mouvement Franc-maçon dont la naissance remontait à l'année 1717 avec la création de la Grande Loge de Londres. Un grand nombre de membres des sociétés d'antiquaires et de la Royal Society figurait parmi les fondateurs de cette Grande Loge.
Mais, Wright devint aussi un spécialiste de littérature du Moyen-age et c'est dans le cadre de ses études qu'il s'intéressa aussi aux légendes du Roi Arthur et aux poèmes attribués à Walter Mapes. En 1850, il publiera aussi le "De nugis curialium", recueil d'anecdotes également attribué avec plus de certitudes à Mapes.

La page 215 du livre de Thomas Wright où figure la même phrase que celle, effacée du porche de Notre Dame de Marceille

Walter Mapes-Map ou parfois Gautier Map (1137-1209) originaire du Herefordshire en pays de Galles, étudia lui à l'Université de Paris, voyagea beaucoup et côtoya papes, rois et princes de son temps (Louis VII en France, Alexandre III) missionné pour cela par Henry II d'Angleterre. Il est nommé archidiacre d'Oxford en 1196, mais ne sera jamais évêque malgré plusieurs tentatives.
On lui attribue en effet certains recueils de poèmes très, trop critiques envers l'Église de son temps mais toute certitude manque pour affirmer qu'il en soit l'auteur avéré. Les "Confessio Goliae" font partie de ces ensembles de poèmes. Il ne cache pas non plus son profond mépris pour l'ordre des cisterciens.
On a vu là la création du mouvement gouliard sur lequel il est temps maintenant de se questionner après deux références aussi appuyées (et Wright qui s'intéressa beaucoup à la littérature burlesque et de caricature et Mapes à qui, vrai ou faux, est associé le personnage de Golias)

C'est Alfred Straccali qui raviva la mémoire du mouvement Gouliard dans une série d'articles publiés par la Rivista Europea. A son tour, l'archéologue, écrivain et grand érudit Claude Sosthène Grasset d'Orcet développa dans ses articles publiés dans la Revue britannique l'histoire des gouliards. L'étymologie du mot est incertaine pour nos encyclopédistes, cependant Grasset d'Orcet est plus précis :

"Grimm fait intervenir le provençal, dans lequel galiar, gualiar veut dire tromper, et qui a donné le mot gualiarder, d'où Gouliard; mais il serait plus simple de recourir tout droit au parisien gouailleur, synonyme bien connu de blagueur, et à l'argot goualeur, qui veut dire chanteur, si ce n'était mettre la charrue avant les bœufs. En effet, les Gouliards étaient des gouailleurs et des goualeurs; mais c'est leur nom même qui est étymologie de ces deux expressions populaires, et non leur dérivé."

Plus loin, il précise que dès le neuvième siècle le terme est associé à des clercs
errants, connus pour être forts en "gueule". Acceptons cette interprétation, la plus proche, il est vrai des fortes revendications gouliardes et de leur héros le Pantagruel du gouliard Rabelais. 
Toujours toléré par l'Église comme "sous-pape" de sécurité, le mouvement très contestataire des gouliards à l'égard du haut-clergé à traversé les siècles a la condition que sa "littérature" soit rigoureusement codée et incompréhensible aux profanes. C'est à cette littérature que s'est intéressé Thomas Wright et Walter Mapes.
Il serait trop long de rentrer ici dans le détail de l'histoire des Gouliards mais une dernières phrases de Grasset d'Orcet peut encore nous faire réfléchir :

"Les Gouliards n'étaient pas exclusivement Français; ils n'étaient guère moins répandus en Allemagne, sous le nom de rose-croix et d'illuminés. Ils existaient en moins grand nombre en Angleterre, en Italie et en Espagne; mais partout ils se servaient de la même langue et de la même écriture, le blason, auquel ils donnaient le nom de rimaille."

Alors, pourquoi trouvait-on par ce seul phylactère et au fronton même du sanctuaire comme pour y annoncer la couleur une référence claire à des hommes impliqués dans l'étude des gouliards ? 
Pourquoi ce phylactère encore présent et en parfait état de conservation fut-il purement et simplement effacé dans la seconde moitié du vingtième siècle ?
Autant de questions qui ne trouveront sûrement pas de réponses "officielles".

Christian Attard

vers

Vers phylactère 2

Notes et sources :
(1) - sur le forum : http://www.rennes-le-chateau-archive.com/forums/viewtopic.php?t=32&start=105
Merci à l'avisé "simple curieux"
(2) - Grasset d'Orcet - L'histoire secrète de l'Europe - tome 1 et  2
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