Le fil du phylactère (2)

"Si furent mises en escrit et gardees en l'almiere de Salesbieres, dont mestre GAUTIER MAP les trest a fere del Seint Graal por l'amor del roi Henri son seignor, qui fist l'estoire tranlater de latin en francois."

"Elles furent (les aventures des chevaliers du Graal) ainsi mises par écrit et conservées dans la bibliothèque de Salesbières, d'où maître Gautier Map les tira. Il en fit son livre du Saint Graal pour l'amour du roi Henri, son seigneur, qui fit traduire l'histoire du latin en français."

Le roi Arthur et ses chevaliers assistent à l'apparition du Graal, 
après vêpres en ce jour de pentecôte

Ainsi s'achève "La quête du Saint-Graal" (1) qui après "le conte du Graal" de Chrétien de Troyes (écrit vers 1182-83) reprendra la recherche semblant inachevée du mystérieux objet observé par Perceval et l'ensemble des chevaliers de la table ronde.
"La quête du Saint-Graal" est une oeuvre déclarée anonyme, mais sa fin en nomme pourtant clairement au moins le rapporteur : Gautier Map.
Ce même Gautier Map qui écrivit le poème qui autrefois accueillait les visiteurs de Notre Dame de Marceille (
voir ici), fut donc peut-être le respectable conteur à qui fut confié la tache de faire passer à la postérité la noble histoire des chevaliers du Graal.
Mais à ce propos, aucun historien n'est d'accord, malgré le texte. Beaucoup considèrent aujourd'hui que ce roman n'est qu'une collection de récits rassemblés autour du thème commun de la quête du Graal, que leur auteur a pu, en fait, n'être qu'un collège d'écrivains et que cette attribution à Gautier Map est plus que douteuse... Personne ne les départagera, car il ne nous reste rien des documents originaux et pourtant...

En réalité, le flou le plus totale règne sur l'auteur ou les auteurs de ces textes et bien que plusieurs fois mentionné, présent sur un parchemin du XIII° siècle ayant appartenu au duc d'Aumale (2) ou du XV° siècle ayant appartenu lui aux familles de Condé, Gautier Map n'a pas eu l'honneur d'être étudié par nos historiens patentés toujours prompts à rejeter aux oubliettes de l'histoire ceux qu'ils ne peuvent cerner avec certitudes.


Le Graal 
selon William Ernest Chapman

Non, la saga du Graal a ses auteurs avérés et tant pis si ces écrivains se réfèrent à Gautier Map ou Luc du Gast ou un certain Guyot de Provins comme étant leur source d'inspiration.
Pourtant, comment nier que l'origine ou plutôt la solidification des légendes arthuriennes se retrouve dans ces hauts milieux ecclésiastiques et diplomatiques où déjà, l'évêque Geoffroy de Monmouth, s'était illustré en publiant la Vita Merlini, les Prophetiae Merlini et l' Historia regum Britanniae. Certains textes, on le sait aujourd'hui, étant des adaptations de poètes du VIe siècle écrites à la demande d' Henri II Plantagenêt. Hugues d'Avalon (en Dauphiné) (1140-1200), chartreux, est aussi un personnage de ce même entourage d'Henri II et d'Aliénor qui peut avoir influencé par sa vie, les contes du Graal. Ne dit-on pas qu'un cygne blanc l'accompagnait depuis le jour de son intronisation comme évêque de Lincoln.
Walter Map a fréquenté ces mêmes lieux, côtoyé ces mêmes personnes, été un homme de confiance et de mission à la cour d'Henri II et d'Aliénor d'aquitaine (1122-1204). Et il ne serait pas aberrant qu'il ait eut accès à quelques bibliothèques antiques pour y puiser son inspiration. D'autre part, on sait que lors de sa mission au troisième concile de Latran en 1179, il fit la connaissance d'Henri le libéral (1127-1181), époux de Marie de Champagne(1145-1198)
. C'est à sa cour que vivait Chrestien de Troyes.

Chrestien de Troyes nous apprend qu'on lui a demandé de traduire du latin en français un texte original "le plus beau qui soit conté en cours royale". Mais nous n'en saurons pas d'avantage sur ce roman original. Chrestien est un de ceux qui entourent alors Marie de Champagne, fille d'Aliénor d'Aquitaine. Il faut le surligner.
Philippe de Flandre, comte d'Alsace qui courtise à des fins politiques  cette noble et érudite veuve va donc demander à Chrétien de Troyes de lui écrire un de ces récits qu'elle prise tant. Dès 1170, Chrétien de Troyes, après avoir écrit "le roi Marc" et "Ysalt la Blonde", se tournait vers les thèmes arthuriens et écrivait : "Erec et Enide", "Le chevalier au lion" et "Lancelot ou le chevalier à la charette", ce dernier sur les vœux de Marie de Champagne, lui est dédié.

Le gisant d'Aliénor d'Aquitaine dans l'abbaye de Fontevrault

Marie de Champagne avait donc de qui tenir car elle avait côtoyé à la cour de sa mère bien des troubadours, poètes et fins lettrés et  parmi eux, ceux qui avaient introduit en France le cycle des aventures du roi Arthur et de sa cour. Gautier Map fut l'un des plus brillants, mais il y avait aussi Pierre de Blois à qui l'on doit certains des textes "gouliards"  des Carmina burana. 
Map sait la corruption et la bassesse de la cour entourant Henri II qu'il fustige dans son "de nugis carialium". Ses contes ont valeur morale en rehaussant son roi et sa reine à la hauteur d'un Arthur et d'une Guenièvre sublimés. Le chevalier devient un exemple de probité, d'honneur et de courtoisie.
On peut donc sans trop s'aventurer supposer que ce prolixe auteur ait pu indirectement inspirer en effet Chrétien de Troyes et ses continuateurs ou tout du moins qu'ils furent plusieurs à puiser à une source commune et le manuscrit "Q" des légendes du Graal reste lui aussi à découvrir. Suppositions correctement assises que pourtant aucun auteur que j'ai pu lire ne semble vouloir faire sienne !

La présentation du Saint Graal selon Arthur Rackham

A l'appui de cette thèse, et lorsque l'on connaît l'aversion de Map pour la hiérarchie catholique romaine, il n'est donc pas très étonnant que soient très peu cités de prêtres dans ses romans arthuriens mais plutôt nombre d'ermites et que le Graal n'apparaisse jamais dans une église mais plutôt dans des châteaux.

En réalité, par ses retournements dont l'histoire du monde est très friande, il semble bien que ce qui devait être à l'origine des contes celtiques, peut-être porteur de quelques hérétiques idées aient été savamment récupéré et étudié par de très intelligents, doctes et ésotéristes religieux et Etienne Harding (né dans le Dorset en Angleterre en 1050) proche de Saint Bernard et initiateur du mouvement cistercien en est un bon exemple. 
Paradoxe aussi lorsque l'on sait que Map détestait plus particulièrement les cisterciens !
Et de la même manière, des textes qui à l'origine ne glorifiaient sûrement que bravoure, pureté et accomplissement devinrent de formidables traités de propagande pour de terrifiantes et meurtrières croisades.
Michel Roquebert a démontré dans "les cathares et le Graal" (3) combien l'esprit des contes du Graal pouvait être diamétralement opposé à celui de nos chers bons-hommes. Cependant la tradition perdure et les légendes ont vie longue et dure.

Quoiqu'il en soit les prêtres qui décidèrent de la décoration de ce porche n'ont sûrement pas choisi par hasard un écrivain peu connu au XIXème siècle en nos campagnes, créateurs ou continuateur des récits du Graal et proche des milieux gouliards et rosicruciens.
Il nous faut donc tirer encore sur les fil ténus du phylactère...


Christian Attard

vers Graal 1

Notes et sources cités :
(1) - La Quête du Graal - Édition Points - Sagesse
(2) - http://www.calames.abes.fr
(3) - Les Cathares et le Graal - Michel Roquebert -Privat-1995

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