Noire et si jolie (1)

En 1890, Louis Fédié dans sa description de Notre Dame de Marceille (tout près de Limoux-11) s'est bien sûr arrêté devant la majestueuse statue de la Vierge à l'enfant, cœur irradiant du sanctuaire marial, en voici sa description :

" C'est dans cette chapelle que l'on voit la statuette de la Vierge qui a donné lieu à la légende que nous avons citée. Cette image de piété recouverte de riches étoffes et de bijoux de prix est remarquable par la couleur bistrée très foncée, presque noire, de la face. On lit au-dessus de la niche qui la renferme l'inscription suivante :

"Nolite considerare quia fasca sum. "

Certains plus avisés et plus rares (1) que l'érudit audois se sont interrogés depuis sur la conception singulière de cette phrase.

Que peut bien signifier cette sentence au latin si maladroit, si incompréhensible, né pourtant sous le pinceau expert de nos érudits religieux ?

La Vierge aujourd'hui outragée de Notre Dame de Marceille. (Photo Ch. Attard)

Pour mieux comprendre tout cela, il faut je crois se référer à un merveilleux texte, un des plus beaux et des plus incompréhensible aussi de la très Sainte Bible : " le Cantique des cantiques. " Auquel tout le sanctuaire semble faire référence. Il débute ainsi :

Le plus beau chant de Salomon (2)

Qu'il m'embrasse à pleine bouche ! 
Car les caresses sont meilleures que du vin, 
meilleures que la senteur de tes parfums. 
Ta personne est un parfum raffiné. 
C'est pourquoi les adolescentes sont amoureuses de toi. 
Entraîne moi après toi, courons. 
Le roi me fait entrer dans sa chambre : 
Soyons heureux et joyeux grâce à toi. 
" Célébrons les caresses plus que du vin. 
C'est à bon droit qu'elles sont amoureuses de toi.
Je suis noire, moi, mais jolie, filles de Jérusalem 
Comme les tentes en poil sombre 
Comme les rideaux somptueux. 
Ne faites pas attention si je suis noiraude, 
Si le soleil m'a basanée,

Soit en bon latin cette fois :
 Nolite me considerare quod fusca sim, 
quia decoloravit me sol

Mes frères m'ont tannée :
Ils m'ont mise à surveiller les vignes ; 
Ma vigne à moi, je ne l'ai pas surveillée. 
Explique toi donc, toi que j'aime 
Où tu feras paître, 
où tu feras reposer à midi 

Près des troupeaux de tes camarades.

Les bergers : 
" Si tu ne le sais pas, toi la plus belle des femmes, 
Toi, sors sur les traces du bétail. 
Et fais paître tes biquettes près des demeures des patres. "

Ainsi le : "Nolite considerare quia fasca sum." Vient en réalité du "Nolite me considerare quod fusca sim.

Pourquoi une telle altération ?
 
Bien évidemment pour attirer l'attention des plus lettrés et fins connaisseurs et du latin et de la Bible. 
Seulement voilà, encore une fois (relire mon interprétation du phylactère) ce texte fait référence au seul texte de la Bible qui de tout temps a suscité de vives controverses car à très très fortes connotations érotiques. 
Les érudits ont eu beau y voir une allégorie de l'Alliance, il n'en reste pas moins que les termes employés sont plus qu'explicites. Le seul texte que nos vieux gouliards n'auraient pas renié tant ont y évoque l'amour charnel, le vin et les plaisirs terrestres. 
Étrange n'est-ce pas ? 
Comme ce texte près de la fontaine du même sanctuaire et aussi relevé par Louis Fédié : 
" Hic puteus fons signatus.. " 
et les médaillons du chœur repris des litanies ou eux aussi tirés de ce " Poème des poèmes ".

Salomon recevant la reine de Saba

"La reine de Saba entendit parler de la renommée de Salomon. Pour le mettre à l'épreuve par des énigmes, elle vint à Jérusalem avec un suite très imposante, avec des chameaux chargés d'aromates, d'or en grandes quantités et de pierres précieuses." 
II ème livre des Chroniques - 9

Seulement voilà ce " Cantique des cantiques " ne fait pas référence à Marie (qui n'était pas née !) mais plutôt à une fille de noble, compagne aimée de Salomon comme aurait pu l'être la reine de Saba , la Balkis du Coran, assimilée par certain à Cassiopée et à la Reine du Midi, maîtresse non de Salomon mais d'Hiram selon les francs-maçons. 

En tout cas on peut s'interroger : pourquoi faire référence par cette petite phrase, qui vous l'admettrez aurait très bien pu ne pas figurer du tout, pourquoi évoquer une personne si éloignée de Marie ? Il ne s'agit pas de justifier la couleur sombre de la statuette auquel cas la phrase aurait été plus explicite. Il ne peut s'agir non plus d'une erreur de retranscription, on peut accorder toute confiance à Louis Fédié. 
Non, on a bien cherché à nous mettre sur la voie du "Cantique des Cantiques". Doit-on y trouver à l'instar de nombreux alchimistes comme Jean Vauquelin des Yveteaux
un texte opératoire ? Notre Dame de Marceille demeure philosophale ?

Mais pour faire bon compte, il nous faut aussi évoquer  Murcie et voilà ce que nous en dit un homme que l'on gagne toujours à relire Grasset d'Orcet dans son texte : " Les Ménestrels de Murcie et de Morvan "

… " Murcie était la même que Marica ou Marca, la déesse la plus populaire du monde antique. Les Gaulois la nommaient tantôt Marca, tantôt Rosmarta, et elle était le plus souvent représentée par un marteau… …Parmi les églises françaises dont la façade est à l'est, on peut noter la collégiale de Saint-Martin à Marseille, qui doit indiquer l'emplacement du temple de ses anciennes divinités noires : Marcus et Marca. Or on sait que les madones des cryptes romanes sont également de couleur noire.

La même anomalie d'orientation se remarque dans les deux églises de la vallée de Domrémy, dont l'une est consacrée à saint Michel, vainqueur du dragon, et ce dragon lui-même est l'une des anciennes formes de la déesse Marica qui est représentée dans tous les traités de maçonnerie ancienne et moderne par la bisse se mordant la queue, avec cette devise : 
"
Ecce fons et meta" (voilà la source et le but).

Que de points communs ! Que de points communs ! Marca Marica dont peut possiblement dériver le nom de Marceille, la déesse noire, la fontaine et le but. 
Et quelques autres encore qui nous ramène à de très antiques sociétés de savoir dont la statuette sauvagement décapitée porte encore la marque mais ceci est une autre histoire.

Christian Attard

Notes et sources :
(1) - sur le site italien : http://www.renneslechateau.it/rennes-le-chateau.php?sezione=documenti&id=doc_sesa_1890
(2) - Traduction de la TOB des Éditions du Cerf -1988 mais la Nouvelle Traduction est très belle aussi
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