A propos du trigramme de Jésus : " IHS"

Détail d'un tableau du Greco (1578-1579) : Le triomphe du nom de Jésus - National Gallery Londres

Nicolas Pavillon peut-il être l'auteur d'un jeu de piste symbolisant les passages et étapes qu'aurait suivi un fabuleux trésor ? Chaque lieux fut-il indiqué, à l'attention des plus perspicaces et au bon vouloir des temps, par sa "marque" : un "IHS" surmonté d'une croix gravé dans la pierre ? 
C'est à ces questions que nous allons essayer de donner notre réponse mais pour cela, il est important de comprendre en quoi consiste ce symbole, quand et par qui il fut utilisé.

Les quatre réformateurs : Farel, Calvin, Bèze et Knox et au-dessous d'eux le nom de Jésus en grec

A l'origine le sigle est grec, abréviation pour les copistes  du Nouveau Testament du nom de Jésus en trois lettres Iota, Eta, Sigma, le Eta s'écrivant H en majuscules, comme nous pouvons le voir sur le monument de la Réformation ci-dessus. 

Les différentes manières d'abréger le nom de Jésus au cours des siècles.
Le trait horizontal, marque classique de l'abréviation, se transformera graphiquement en montant horizontal de la croix.


Sceau personnel de saint Ignace de Loyola

On considère que les copistes médiévaux adaptèrent cette abréviation grecque en un IHS latin comme nous pouvons l'observer sur le tableau du Greco en tête de page peint près de vingt ans avant la naissance de Nicolas Pavillon et qui porte clairement le titre de "Triomphe du nom de Jésus".

Le 27 septembre 1540, la bulle Regimini militantis Ecclesiae approuve les chapitres fondamentaux de la toute nouvelle compagnie de Jésus. 
En 1541, son fondateur Ignace de Loyola en deviendra le premier Général. Tout naturellement, il adopte lui aussi pour emblème "le nom de Jésus", le IHS, comme nous pouvons le constater sur son sceau personnel conservé à la curie généralice de la Compagnie à Rome. (photo ci-contre).
Les sceaux des futurs généraux de la Compagnie porteront au-dessous du sigle IHS, le dessin souvent stylisé des trois clous de la crucifixion, symboles pour eux de l'obéissance, de la chasteté et de la pauvreté. Mais celui d'Ignace de Loyola porte un croissant de lune et deux étoiles.

Ces symboles sont à l'évidence mariaux et sont le pendant du soleil christique présent au sommet de la croix du IHS de ce sceau. L'analyse des différentes représentations picturales des grands saints de la Compagnie permet de comprendre l'évolution de cette symbolique.

Ainsi, on constate la présence des trois clous sur ce tableau  (à gauche) du début du XVIIe siècle représentant St Ignace de Loyola. 
A ces trois clous fut associé le cœur meurtri de Marie. Le pied de la croix formant parfois un de ces trois clous comme sur la ferronnerie ci-dessous.

Portrait de saint Ignace de Loyola
 Anonyme du début XVIIe siècle

Dans le chœur d'une église du Sud-Ouest
le cœur et les trois clous stylisés

Mais cela n' a jamais interdit à tout autre qu'aux jésuites l'utilisation de ce sigle et du cœur de Marie. 
Au su de tout cela, il n'y a à l'évidence aucun rapprochement symbolique entre ce cœur marial et celui, certes empli d'amour pour le Christ, de St Augustin. 
Si nous observons avec attention la gravure figurant sur le chambranle de la porte de liaison entre la première et la seconde sacristie de Notre Dame de Marceille, nous comprenons que nous sommes, ici surtout, en présence d'un symbole marial plus que jésuite qui répond à l'historique iconographique que nous venons d'évoquer.

"Le nom de Jésus" associé aux symboles de Marie et aux trois même clous stylisés 
sur le chambranle de la porte des sacristies de Notre-Dame de Marceille
(Photos Christian Attard)

La présence de deux groupes de cinq étoiles est un rappel marial évident que renforce la présence de son cœur pénétré des trois clous stylisés. Notons bien ce nombre de 3, traditionnel des clous ou vœux et non 4 ou 5 flammes ou flammèche que rien n'interdisait de graver pour bien faire la distinction et sans équivoque entre un symbole augustinien et un symbole marial.
Et encore, à supposer que l'on puisse voir là trois flammes, le nombre de saints représentés cœur enflammé à la main au XVIIème siècle et proprement incroyable, trop grand pour ne pas laisser planer le doute sur l'attribution univoque de ce symbole.
A ce titre, que ce soit sur une gravure ou sur un tableau, ce cœur seul n'a jamais permis d'identifier St Augustin. C'est pour cette raison que le saint évêque d'Hippone connaît des représentations classiques mais complémentaires de ce cœur : mitre, haute crosse, méditation dans un jardin, ordination, bibliothèque (rappel de son immense oeuvre d'écrivain). voir notre page sur les Augustins de Limoux.
Et parfois, cela demeure encore insuffisant à son identification certaine !

St Augustin ? St Célestin ? .... Eh, non ! St François de Sales !
sur le Maître autel de la chapelle de Sales.
(voir aussi page suivante le tableau représentant sœur Jeanne de Chantal)

Et, il suffit pour s'en convaincre d'observer sur ce même chambranle, un peu plus bas, la reprise stylisée de ce cœur pour comprendre qu'il est bien marial et non augustinien puisque encore une fois surmonté de cinq étoiles, elles aussi stylisées.
Si doute, il y avait, on ne pourrait que l'admettre en vertu d'une origine jésuite du symbole. Mais, je n'ai à ce jour pu découvrir aucun responsable du sanctuaire ayant pu prétendre à cette réalisation sculptée et qui fut de cet ordre.

Depuis le XVIIème siècle, il est fréquent de trouver une croix latine au-dessus du H majuscule du monogramme. On y voit là une récupération graphique du trait qui autrefois signalait l'abréviation. Ce trigramme de Jésus se retrouve dès lors partout : en peinture, sur des fresques, tableaux, miniatures, mosaïques, vitraux; en sculpture sur des bases d'autel ou des clefs de voûte; en orfèvrerie; en broderie.

Rien d'étonnant donc, à le trouver sur une croix de cimetière à Alet ou sur le mur d'une église comme à Rennes-le-Château, mais aussi sur l'arche de la porte de l'Observance dans l'ancien quartier des Cordeliers de Limoux avec exactement le même graphisme.
On peut, à ce stade de nos observations, commencer à penser que le trigramme ne peut-être après tout que la sanctification d'une bâtisse religieuse par le nom de Jésus selon une habitude on ne peut plus fréquente au XVII ème siècle et que Nicolas Pavillon comme d'autres n' a fait que reprendre. 
Vouloir faire de cette marque courante, sa marque ou pire encore une signature janséniste alors qu'aujourd'hui l'histoire doute fortement de l'affiliation prétendument janséniste de ce prélat, serait aller trop vite en besogne. Car comment croire qu'un homme aussi profondément pieux que Nicolas Pavillon ait pu s'approprier en signature de ces oeuvres le nom de Jésus ?
Sanctifier un monument, y apposer le Saint Nom est une chose, vouloir y voir l'affirmation d'un ego ou le marquage d'une piste trésoraire (surtout sur une église) est tout autre, mais si peu plausible.
L'étude de la croix pectorale de Nicolas Pavillon ainsi que celle du pont d'Alet devrait pouvoir nous en apprendre un peu plus encore...

Christian Attard - 27/9/2008

Le nom de Jésus marque l'église de Rennes-le-Château  
(Photo Ch. Attard)

et la croix du cimetière de la ville d'Alet   
(Photo Ch. Attard)

 Le IHS de la porte de l'Observance à Limoux
(Photo François Pous)

Retour vers la Reine

A propos d'IHS - suite