Les augustins et Limoux

Plusieurs auteurs (Gilles Semenou, Robert Debant, théodore Lasserre..) mentionnent l'arrivée d'un tableau de St Antoine à Notre Dame de Marceille  entre 1684 et 1686. Pour tous, il est le plus ancien encore présent dans le sanctuaire. 
Robert Debant (1) écrit : 


"Il est une réunion de peintures qui furent exécutées, ou qui semblent tout au moins avoir été inspirées et à offertes à Marceille par les Augustins de Toulouse, qui possédaient un bien dans le terroir de Limoux et vouaient un culte ardent à la vierge locale."


Se basant aussi sur la signature attribuée à Ambroise Frédeau, Debant assurait ainsi son raisonnement mais comme nous allons le voir les échanges entre la communauté de l'ordre des ermites de St Augustin de Limoux et Notre-Dame de Marceille furent réelles et il n'est pas déraisonnable de penser que Mathieu Frédeau ait pu un temps séjourner parmi eux, lui qui peignait tant et bougeait tout autant d'une communauté religieuse à une autre.

La façade de l'église de l'ordre des Augustins (photo ci-contre) date de la fin du XIVe siècle, mais on sait la présence de l'ordre avérée dans la ville dès 1279. Ses possessions comprenaient outre cette église, deux cloîtres, un couvent, une école. L'ordre est riche et puissant, il donnera à l'évêché d'Alet un de ses évêques, Pierre III d'Assalit qui fit beaucoup pour le retour à Rome du corps de Ste Monique (mère de St Augustin). Mais les guerres de religions ruinent le couvent et le 15 octobre 1685 un terrible incendie ravage Limoux. Seul, dit-on le retable et le tableau du chœur purent être sauvés.

Ce retable représente des scènes clefs de la vie de Saint Augustin telles que nous pouvons les retrouver dans Notre Dame de Marceille : sa conversion à gauche, l'évocation d'une extase mystique alors qu'il est évêque au centre et à droite son baptême à Milan en 387. Le tableau tout au-dessus représente St Augustin au pied du Christ en croix et de la vierge Marie allaitant l'enfant Jésus. Le Saint en extase se tient entre sang et lait, naissance et mort.

Façade de la chapelle des Augustins de Limoux

Partie de  gauche du retable : Conversion de St Augustin

Outre une similitude bien normale de ces images de la vie du Saint Évêque d'Hippone, les liens entre la communauté des Augustins de Limoux et Notre-Dame de Marceille ne s'arrêtent pas à cela car Robert Debant nous signale qu'en 1667, les Augustins offrent au sanctuaire marial une cloche baptisée très logiquement "l'Augustine". Quand on sait comment se déroule les cérémonies de baptême et de placement d'une cloche, il est donc fort peu probable que l'évènement soit passé inaperçu. On peut donc en déduire que contrairement à ce qu'écrivait Franck Daffos dans ses deux ouvrages (voir sources en bas de page) la présence d'un St Augustin sur un tableau en 1670 n'aurait sûrement choqué personne !
Pierre Magnard, professeur à l'université de Paris-Sorbonne, dans un remarquable article sur l'Augustinisme (2) remet d'ailleurs certaines idées en place.
"de quelque opinion que l'on soit, écrit-il à propos du siècle des Bérulle, Arnauld ou Fouquet, on est d'abord augustinien." 
N'oublions pas que jansénistes et oratoriens se côtoyaient et s'opposaient tout en se réclamant les uns et les autres de St Augustin. Dans leur célèbres querelles théologique Arnauld, janséniste s'opposait à Malebranche, oratorien tout en se réclamant l'un et l'autre de St Augustin. Aussi au cœur de Notre-Dame de Marceille un tableau eut-il représenté Saint Augustin en 1670 n'aurait étonné ou choqué personne pas même Nicolas Fouquet !

La chaire de Notre Dame de Marceille 
telle que dessinée par M. Reynié 
sur une lithographie du XIX ème siècle 

Cette même chaire 
déposée par le chanoine Gasq 
et réinstallée dans la chap. des Augustins 

Enfin lorsque le chanoine Gasq décide de transformer l'église en 1850, il fera démonter une superbe chaire dédiée à Marie et représentant des scènes de sa vie en conformité avec l'ensemble des décorations du sanctuaire. Cette chaire, oeuvre d'un sculpteur limouxin, fut créée en 1695 et se trouve aujourd'hui dans la chapelle des Augustins. On ne sait donc pas à quoi pouvait ressembler celle que contempla vers 1660 Monseigneur Fouquet. Il est heureux que le magnifique travail de menuiserie et de sculpture de cette chaire ait été conservé et que nous puissions encore aujourd'hui l'admirer à Limoux.

Comme nous venons de le comprendre les échanges entre les Augustins de Limoux et Notre-Dame de Marceille furent réels, serait-il alors acceptable de supposer que le tableau représentant ce fameux moine en prière de l'ordre de St Antoine de Viennois soit une commande de ces Augustins à un de leurs peintres : Mathieu Frédeau ? 
Si, comme certains le croit, ce tableau fut un ex-voto, fut-il offert en remerciement d'une grâce obtenue par ce même Mathieu Frédeau peut-être en pèlerinage à Notre-Dame et séjournant au couvent des Augustins de Limoux ? 
Le peu de chose que nous savons d'Ambroise Frédeau fut qu'il finit ses jours pratiquement aveugle se pourrait-il que ce tableau ait été peint par son frère Mathieu en espérant pour lui ou son frère (mort en 1673) un soulagement octroyé par une vierge réputée soigner les troubles de la vision ?
L'enquête continue ....

Christian ATTARD

 

Notes et sources :

(1) Robert Debant - Notre Dame de Marceille - Congrès archéologique de France -131ème session 1973 pays de l'Aude (Éditions du CNRS)
(2) Pierre Magnard -Dictionnaire du Grand Siècle - Fayard. page 138
Franck Daffos - Le secret dérobé - Éditions l'œil du Sphinx
Franck Daffos - Le puzzle reconstitué - Éditions Pégase
Gilles Semenou - Notre Dame de Marceille - Gabelle Carcassonne 1992 et 2001
Notre Dame de Marceille - Éditions J. Le Marigny - La Seyne/mer
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