La porte du petit peuple ?




Avec une recherche claire de mise en évidence, deux marques se détachent des pierres ocres qui constituent le porche d'entrée de l'église de Rennes-Le-Château.

A gauche, figure le monogramme de Jésus : le célèbre "IHS" surmonté d'une croix, à droite, une seule date "1646".
Deux inscriptions toutes simples qui ont pourtant donné corps à de nombreuses explications.

La plus commune étant bien sûr, qu'elles portent tout bonnement témoignage  d'une restauration de l'église en cette année 1646.
Pourtant, sur d'autres sanctuaires, on observe ordinairement l'apposition des deux lettres "TR" premières lettres latines de mots signifiants "Temple Restauré" (voir sur le porche de Notre-Dame de Marceille par ex., ou sur le séminaire de Nicolas Pavillon à Alet pour la restauration de l'immeuble). Ce n'est visiblement pas le cas ici.
Devant ces deux marques devenues problématiques, certains ont aussi pu supposer que les seigneurs d'Hautpoul découvreurs indirects d'un trésor en 1645, ont, pour rendre grâce au ciel, remercier Dieu en restaurant son église. Cela semble bien mal correspondre à l'évidente impiété de ces tyrans locaux.
Enfin, on a aussi supposé que cette marque soit un jalon disposé sur la route de la remontée de notre trésor par le pauvre Nicolas Pavillon, effectivement évêque d'Alet à cette date, Rennes-le-Château étant au cœur de son diocèse.
Tout cela est plausible, mais peut-être peut-on envisager une autre hypothèse que je soumets à plus expert que moi en matière d'architecture locale.


Le "I.H.S." sur le pilier gauche du porche





Installé dans son lamentable diocèse en 1639, Nicolas Pavillon commence avec une rare opiniâtreté à réformer son clergé, le plus souvent inculte et impie. La tache semble insurmontable tant les lieux et les âmes ont été laissés à l'abandon. Formé aux réformes édictées par le concile de Trente, le nouveau pasteur multiple les initiatives. Tout semble à faire, mais aussi à refaire.
A cette remise en question totale des habitudes, le plus souvent corrompues de son clergé, il lui faut aussi ajouter une mise au pas d'une noblesse orgueilleuse, indomptable et cruelle aux petits.





La date de 1646 sur le pilier droit




Ainsi, Monsieur de Rennes est connu pour ses pratiques usuraires, formellement interdites par l'église. Tout lui est bon pour s'enrichir aux dépens des plus pauvres mais aussi des hommes du roi chargés de relever les taxes de gabelle et sur qui il ose percevoir un droit de passage sur ses terres. A force de volonté, Nicolas Pavillon finira par faire entendre raison à ces vampires et pourra même, dans certains cas, après de longs procès, obtenir restitution des sommes détournées.

Mais, pour le fervent évêque, cette lutte passe après celle qui lui ramènera toute autorité sur les âmes et rendra dignité et respect à son bas-clergé, très souvent malmené.

Une des premières batailles qu'il eut à conduire fut le retrait des bancs seigneuriaux du chœur même des églises mais il s'attaqua conjointement aux privilèges des chapelles seigneuriales.

En effet, de nombreux châtelains avaient en leur domaine érigé des chapelles qui les dispensaient d'assister aux offices communs, ayant aussi leur propre desservant. Dans certains cas, lorsque le village ne disposait pas ou plus de sa propre église, ces chapelles étaient utilisées pour les offices. Mais, très souvent, les portes en dehors des messes ou confessions en étaient fermées, ou bien il fallait passer sur le domaine seigneurial pour pouvoir y accéder. Contraintes qui étaient inacceptables pour Nicolas Pavillon.
Il avait d'ailleurs reçu plusieurs plaintes de curés lui indiquant que certains villageois en mal avec leur seigneur craignaient ainsi de passer par le château ou de se montrer aux offices.





 Et celle de 1640  sur l'église de Coustaussa, petit village en face de Rennes-Le-Château




Il osa ainsi s'opposer à la puissante famille de Rebé qui possédait terres et châteaux sur son diocèse et dont un des membres n'était autre que l'archevêque de Narbonne, son supérieur. On comprend qu'il ne fut pas au mieux avec lui.

La rigueur toute intransigeante de notre Saint évêque savait parfois lever les oeillères que l'on lui reprochait de porter trop souvent. Ainsi à Coustaussa mais uniquement pendant les réparations de l'église, il accepta que l'office se tienne à la chapelle du château. La date de 1640 que l'on retrouve encore aujourd'hui sur le porche de la petite église nous montre bien que ces attentions contre les chapelles qui étaient dites "encastelées" étaient contemporaines de la date inscrite aussi sur le porche du village voisin de Rennes-Le-Château et occupèrent Nicolas Pavillon dès son arrivée sur son diocèse d'Alet. 
Il est à noter que les deux dates à Coustaussa et à Rennes-le-Château sont très proches : 1640 -1645 se qui tendrait à prouver un mouvement de reconstruction assez généralisé à cette période.

Pour remédier à ce problème des chapelles privées, l'inflexible évêque n'hésita pas parfois à faire démolir ces édifices. Mais, lorsque cela était possible, il fit percer de nouvelles portes pour permettre à tous les villageois de se rendre à l'église sans passer par les portes seigneuriales et il se pourrait bien que cela fut le cas à Rennes-Le-Château. Les anciennes portes de communications étaient alors murées.

Architectes et historiens ont rapporté que l'église de Rennes-Le-Château fut de par ses dimensions et son emplacement très certainement une chapelle comtales (1). A cela s'ajoute le rapport "Cholet" qui établit sur plusieurs campagnes de fouilles, avec autorisations, de 1959 à 1965 qu'une porte devait exister au niveau de l'actuelle sacristie. Selon ce rapport, cette porte dite par certains chercheurs "porte des Seigneurs" fut ré-utilisée pour permettre la création de cette sacristie :
"Sous le plancher de la sacristie, j'ai trouvé l'amorce d'un escalier se dirigeant vers le sud. Les marches en sont grossièrement taillées et il a la largeur de l'entrée de la sacristie." précise M. Cholet.

Alors, pourrait peut-être s'expliquer la pose de ces deux inscriptions lors de la réalisation de cette porte du petit peuple. Geste fort qui, par le symbole du nom de Jésus, affirmerait la volonté de Nicolas Pavillon de passer au-dessus de tout diktat seigneurial. La date semble correspondre à ces modifications sans appel et si difficilement acceptées par les barons locaux.

Encore une fois, je ne me pose pas en spécialiste mais ne fait que rapporter un fait peu retranscrit de la vie de Monseigneur Pavillon, je laisse à bien plus expert que moi le soin de juger de la..."pertinence" de tout cela.

Christian Attard - le 10-09-08




Notes et sources

(1) Brigitte Lescure - dans son mémoire de maîtrise précise que cette église figure dans un inventaire des chevaliers de Malte de 1185.



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