Dédicaces et casse d'idées

La partie haute du décor sous le porche de Rennes-le-Château 
(Photo Christian Attard)


La très étonnante ornementation du porche de la petite église de Bérenger Saunière a été le support de bien des suppositions. Son caractère peu commun ne pouvait que marquer les esprits et c'est sans doute pour cela que l'étrange curé, servi par le talent de la maison toulousaine Giscard, avait imaginé cette représentation peu discrète sur le fronton d'un édifice religieux. 
Facturé par le statuaire le 20 octobre 1891 en même temps que la nouvelle chaire de l'église, ce bas-relief  s'inscrivait (dans l'esprit du prêtre) dans une logique globale et un respect général du style de sa nouvelle église.
La première pièce commandée étant l'autel roman offert par Mme Cavailhé en juillet 1887, soit quatre années avant les sculptures de ce porche, Bérenger Saunière se conforma à ce premier style choisi en accord avec l'architecture de son église et déclina ce choix sur l'ensemble de ses commandes : chaire, bas-relief du porche, chemin de croix... Ce dernier n'ayant été commandé qu'en 1896, soit cinq ans après le porche et près de 10 ans après l'autel ce qui laisse à réfléchir sur les capacités de financement du prêtre au "trésor" !

Un élément du décor de la chaire 
(Photo Christian Attard)

Un élément du décor du porche 
(Photo Christian Attard)

Quant aux inscriptions figurant sur ce même porche en dehors de notre phylactère : " In hoc signo vinces" commenté par ailleurs (voir ici). La phrase latine : "Regnum mundi et omnem ornatum soeculi contempsi propter amorem domini mei Jesu Christi. Quem vidi quem amavi quem credidi quem dilexi." qui peut se traduire ainsi :"J'ai méprisé le royaume du monde et toute la beauté du siècle à cause de l'amour de mon seigneur Jésus Christ que j'ai vu que j'ai aimé auquel j'ai cru que j'ai préféré." n'est tout bonnement qu'un répons au "commune non virginum", 3ème nocturne après la 8ème leçon !

Il existe en effet dans le Bréviaire romain trois nocturnes à chaque office. Les offices de la nuit suivaient Prime, Sexte, None, Vêpres, Complies. Ces offices comprenaient des "propres" rattachés à une personne précise et des "communs" différents suivant des catégories de personnes (papes, évêques, prêtres confesseurs, martyrs, vierges et non-vierges). Mais ce répons était plus particulièrement celui de la Sainte Madeleine fêté le 22 juillet. Quoi de plus normal pour un bas relief consacré à Sainte Madeleine ! Thierry Garnier a lui-même démontré que Bérenger Saunière a utilisé son bréviaire pour reprendre la phrase apposée sous l'autel consacré à la Sainte (1).

Au dessous de cette phrase en figure une autre toujours en latin :
"Domus mea domus orationis vocabitur" que l'on peut traduire par "Ma maison sera appelée une maison de prière"

Dans un ouvrage catholique nommé "la bibliothèque des prédicateurs" (2) un chapitre est consacré aux églises matérielles et aux dédicaces de ces lieux de culte. Il nous révèle la source exacte de cette citation : le livre d'Esaïe en  56-7 :
" Je les amènerai sur ma montagne sainte, Et je les réjouirai dans ma maison de prière; Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel; Car ma maison sera appelée une maison de prière pour tous les peuples."

Texte qui effectivement est repris par exemple en dédicace du chœur de cette belle église du Tarn :


L'inscription "DOMUS MEA DOMUS ORATIONIS VOCABITUR" dans une église du Tarn (81)
(Photo Christian Attard)

Dans le même ouvrage cité plus haut et qui, redisons le, est un guide pour la dédicace des églises, suit le commentaire ci-dessous :

Texte qui cette fois est extrait de la Génèse 28-17 : . "Il eut peur, et dit : Que ce lieu est redoutable ! C'est ici la maison de Dieu, c'est ici la porte des cieux !"
Autre thème cher aux mêmes dédicaces des églises matérielles et que l'on a tenté de nous faire croire dédicace de ce lieu, unique certes, mais pas en ce point; car nous retrouvons, extrait du même texte, la phrase suivante sur, par exemple, ce fronton d'une église de Haute-Garonne :

Comme à Rennes-le-Château !
Il semblerait donc que ce ne soit pas non plus en ces textes que se distingua particulièrement notre flamboyant curé qui, en l'occurrence, ne puisa son inspiration qu'à la meilleure source. Et cela au moins personne ne le lui reprocha...

Christian Attard
Notes et sources :
(1) - voir sur ce site http://www.lemercuredegaillon.net/
(2) - voir ici 
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