La pierre du dé 


Détail de la station X de Rennes-le-Château 
(Photo François Pous)


Nous avons vu à quel point le concepteur du chemin de croix de l'église de Rennes-le-Château tenait à mettre en valeur sur la station X le joueur de dé, demandant pour cela une modification unique sur cette station auprès des établissements du statuaire toulousain Giscard.( voir la page : le légionnaire manchot). La question qui se pose maintenant étant bien de savoir pourquoi, il a fait effectuer cette modification.

Dans le fantastique lexique de Rennes-le-Château, ce mot de "Dé" évoque, pour les connaisseurs de l'histoire, un lieu tout à fait particulier que décrit Henri Boudet de la manière suivante dans "La vraie langue celtique et le Cromleck de Rennes-les-Bains" :

" On pourrait s'étonner à bon droit de ne rencontrer aucun dolmen parmi ces monuments celtiques. Nous en avons retrouvé sept ; cinq sur les flancs du Serbaïrou, et deux aux Roukats. 
Le plus remarquable est situé en face de la Borde-neuve, tout près d'une grande pierre carrée, étrangement posée en équilibre sur une roche. Ce dolmen, fermé à une extrémité, offre l'image d'une grotte. En se plaçant sur le chemin conduisant à Sougraignes, l'œil distingue aisément la structure de toutes ses parties. Tout à fait dans le haut, directement au-dessus du dolmen, une roche de la crête porte une croix grecque gravée dans la pierre : c'est la plus grande de toutes celles qu’il nous a été donné de reconnaître. 
En se rapprochant de l'ancien chemin de Bugarach, à la même hauteur que celle du dolmen, une roche énorme est ornée d'une pierre assez forte présentant la forme ronde du pain."


Cet exposé étant coupé par deux illustrations, les seules du livre, l'une d'elles reproduit très fidèlement, non pas le dolmen évoqué, mais la grande pierre carrée (donc cubique, bien qu'elle ne le soit pas en réalité).

Mais Henri Boudet ne la nomme pas "Pierre du Dé", et il faudra pour cela se référer à l'incontournable Gérard de Sède dans "L'or de Rennes" (1) où, remarquant le tableau peint par Saunière sous l'autel, il relève la phrase aujourd'hui effacée :

JESU.MEDELA+SPES.UNA.POENITENTIUM PER.MAGADALENAE.LACRYMAS+PECCATA.NOSTRA.DILUAS.

Et notant, à juste titre, les accents et point sur le i qui ne devraient pas y figurer, il croit pouvoir mettre ainsi en exergue : "Jé  dè né ni". Il en fait Jais (il existe une mine de jais), dè (une pierre près du Serbaïrou), nez (un rocher près de Peyrolles) et nid (le Cardou). Quelques pages avant, il rappelait que dans la toponymie de la région le mot lys (du latin lesia) désigne une pierre levée !

Et joignant à ses écrits lui aussi, une image, il nous montre cette même pierre (photo ci-contre) en demandant semble-t-il au retoucheur de service d'en assurer le contour par quelques traits de gouache noire.
Étrange insistance de de Sède a nous montrer ce dé !
Et si cette pierre est donc bien présente de manière iconographique, ce n'est pas le cas du dolmen qui l'accompagne et de la pierre en forme de pain. Ce n'est pourtant pas, là encore pour cette dernière, faute de l'avoir suggérée à plusieurs reprises par divers procédés et dans la "vraie langue celtique" et dans "L'or de Rennes".
Tout porte donc à regarder d'un peu plus près cet ensemble de pierre disposé aussi étrangement. 
A le regarder de plus près, aussi bien sur le plan physique que symbolique... 


Il existe sur les plafonds du château de Dampierre-sur-Boutonne en Charente-Maritime une représentation qui n'est pas sans évoquer à la fois la table de pierre et le dé !
On doit à Julien Champagne, disciple de "Fulcanelli" la retranscription des caissons de plafond de ce château que l'on voit ci-dessous. 
Le symbole des trois croissants de lune entremêlés n'est pas inconnu des observateurs attentifs et promeneurs de Rennes-Le-Château, comme on peut en juger par la photo ci-contre, prise dans le village.

Il est incontestablement pour Fulcanelli la marque du secret alchimique : 

"../.. nous avons fait cette constatation, assez surprenante, que la plupart des hôtels ou châteaux porteurs du double D lié à la lettre H et du triple croissant, ont une décoration de caractère alchimique incontestable."

On observe d'autre part que la seconde ligne de caissons présente sous diverses formes la pierre philosophale : dans sa prison de "Pierre", sur les eaux mercurielles et sous la forme d'un dé à jouer sur une table !
Voici le commentaire de Fulcanelli :

"Un dé à jouer est posé sur une petite table de jardin; au premier plan végètent trois plantes herbacées. Pour toute enseigne, ce bas-relief porte l'adverbe latin: .VTCUMQVE. En quelque manière, c'est-à-dire d'une façon analogue."

Le dé à jouer a donc une autre signification ésotérique. Sa figure, qui est celle du cube (du grec : dé à jouer, cube), désigne la pierre cubique ou taillée, notre pierre philosophale et la pierre angulaire de l’Église. Mais, pour être régulièrement dressée, cette pierre demande trois répétitions successives d’une même série de sept opérations, ce qui porte leur total à vingt et une. Ce nombre correspond exactement à la somme des points marqués sur les six faces du dé, puisque en additionnant les six premiers nombres on obtient 21. Et les trois séries de sept se retrouveront encore en totalisant les mêmes nombres de points à Boustrophédon.
1 2 3
6 5 4

Placés à l’intersection des côtés d’un hexagone inscrit, ces chiffres traduiront le mouvement circulaire propre à l’interprétation d’une autre figure, emblématique du Grand-Œuvre, celle du serpent Ouroboros, aut serpens qui caudam devoravit. 
En tout cas, cette particularité arithmétique, en concordance parfaite avec le travail, consacre l’attribution du cube ou du dé à l’expression symbolique de notre quintessence minérale. C’est la table isiaque réalisée par le trône cubique de la grande déesse.

Il suffit donc, analogiquement, de jeter trois fois le dé sur la table, - ce qui équivaut, dans la pratique, à dissoudre trois fois la pierre, - pour l’obtenir avec toutes ses qualités. Ce sont ces trois phases végétatives que l’artiste a représentées ici par trois végétaux." 

Les dés à jouer sont donc bien présents dans la symbolique alchimique mais cela ne signifie pas pour autant qu'il faille rejeter la recherche sur le terrain.
 Loin de là, car rien n'empêche d'imaginer un lien étroit avec un lieu très particulier, ancrage d'une valeur tout aussi forte symboliquement.

Christian Attard

 

Notes et sources
1 - L'or de Rennes - Gérard de Sède - Éditions Juillard
2 - Les  demeures philosophales -Fulcanelli -tome 2 - Éditions Pauvert - Illustrations Julien Champagne
Retour vers la Reine