Philippe de Chérisey et les dindons de "la farce"

Philippe de Chérisey (au centre) dans "Papa, maman, la bonne et moi" de Jean-Paul Le Chanois
(Coll. Ch. Attard)

Il était très grand, distingué et assez beau gosse, avait un sens inné de l'autodérision et ne prenait en conséquence rien très au sérieux. Il voulut être acteur à une époque où Robert Lamoureux, qui lui ressemblait, avait plus de charisme encore que lui, où Dubillard ou Blanche avaient plus de folie encore que lui, où Tati ou Étaix étaient plus inventifs encore que lui et surtout, surtout bien moins nonchalants. 
Aussi ne fut-il qu'un sympathique comédien de second plan, mais contre toutes ces malchances, il sut torpiller son noble nom pour une postérité qui ne pourra que lui reconnaître une immense talent de poète surréaliste et mystificateur.

Philippe de Chérisey dans "Jeux interdits" de René Clément
(Coll. Ch. Attard)

Il sonne comme une évidence aujourd'hui, et ce malgré son marquage en paternité, que Philippe de Chérisey ne réalisa pourtant pas le moindre cryptage complexe des mystères de Rennes. A l'instar de Tahar Ben Jelloun qui évoquait Jean Genet, on peut dire du grand marquis qu'il fut cependant " un menteur sublime ".

Quelques rares auteurs auront beau prétendre le contraire, on voit bien qu'ils ne se sont pas frottés à la complexité du codage et du décodage de ce fameux Grand parchemin.

Ce constat incontournable repose sur la totale absence de compétence en cryptographie des sieurs Plantard et Chérisey. Si on peut leur concéder à l'un, une aptitude à avoir calligraphié les parchemins " originaux" comme à l'autre, celle d'avoir exhumé un texte biblique porteur ; ni l'un ni l'autre n'auraient pu franchir toutes les étapes de la composition diabolique de cette énigme chiffrée.

Cependant, les deux hommes furent-ils en possession de la clef de résolution du cryptage, l'ensemble de lettres " Mortepee " ou jouèrent-ils sur une providentielle opportunité qui permit d'agencer ainsi ces lettres ? 

Nous avons vu qu'Élie Tisseyre se servit des codes en usage à son époque pour signaler les lettres incertaines ou absentes sur son relevé de la stèle du cimetière de Rennes-le-Château.

D'autre part, Pierre Plantard dans sa préface de la réédition de la Vraie Langue Celtique chez Belfond le 24 juin 1978 insiste sur les deux mots de "Mort et épée" , avec une lourdeur toute particulière, mais depuis le début de cette même année 1978, l'on sait avec la publication du livre de Franck Marie " Rennes-le-Château, étude critique " que ces deux mots accolés constituent bien la clef du décryptage. Ainsi est partie toute la chasse au trésor moderne de Rennes-le-Château.

Pourtant, une phrase écrite par Philippe de Chérisey dans sa confession (1)  à propos du rapport d'excursion à Rennes-le-Château des membres de la Société d'Études Scientifiques de l'Aude en 1905 interpelle toujours :

" ../.. Tant que les curieux pourront se procurer cet ancien numéro, je ne serai qu'un demi farceur, c'est-à-dire l'héritier d'une farce lancée voici une soixantaine d'années ../.."

Que voulait donc sous-entendre par là, le noble dilettant qui pour une fois se fait modeste ? Pourquoi Elie Tisseyre fut-il le premier farceur selon lui ? Nous avions déjà abordé le sujet et supposé que l'espérazannais avait pu avoir quelques difficultés à relever correctement la gravure de cette stèle, mais de là à en faire un farceur !

La perception "orientée" des lettres surlignées sur cette fameuse stèle a toujours voulu qu'elles soient agencées pour former le mot " Mortepee " mais arrêtons nous plutôt à l'ordre d'origine des lettres et prélevons les dans le sens naturel de la lecture, c'est à dire de gauche à droite. Nous avons alors " TEMEREPO ". Il est étonnant que, se référant à la phrase sibylline de De Chérisey, personne n'ait songé a interprété cela avec son sens purement phonétique : " tu aimes le repos ! " ou encore " Thème repos ! " 
Et là, nous sommes bien dans la farce pure, simple et digne de ces almanachs qui faisaient tant rire les hommes de cette époque. Surligner sur une stèle tombale et qui plus est, celle d'une marquise, qu'elle peut aimer le repos et que maintenant elle requiescatera in pace, ou même " catin en paix ! " ; Voilà de l'irrévérencieux et de la farce de vieux potache. Du moins, Philippe de Chérisey le crut-il, peut-être.

Philippe de Chérisey dans "Jeux interdits" de René Clément
(Coll. Ch. Attard)

Voilà aussi qui a pu être apprécié à sa juste mesure par cet homme goguenard qui fut toujours de première force à ce genre d'exercice du plus piètre calembour et du plus hasardeux des jeux de mot. 

La stèle étant l'objet d'une publication, il n'y avait plus qu'à s'en servir de support de codage. Mais, pour la beauté du montage, Philippe de Cherisey avait raison, il aurait mieux valut pouvoir en faire disparaître toute trace. Ainsi, l'ensemble des pièces imaginaires réalisées par Pierre Plantard aurait parfaitement fonctionné sans autre contestation fondée que leur disparition totale. 
Car, le seul fait que ces pièces soient toutes introuvables dénote le même mécanisme psychique à la base de tous les apocryphes de cette histoire, à savoir faire parler les morts ! 
Il est plus facile de lancer une idée en sachant qu'elle sera impossible à vérifier du fait de l'absence d'auteur ou de support. Si cette interprétation est exacte, cela signifie que Philippe Cherisey au moment où il prit connaissance de cette stèle ne possédait pas d'autres documents et surtout pas le résultat d'un futur codage/décodage. Car alors, il aurait su qu'il ne s'agissait pas d'une farce mais d'un support de codage. Ce n'est semble-t-il que plus tard qu'il a rajouté sa propre construction poétique.

Quant à revenir à notre objection de départ, si le plaisant marquis était incapable de concevoir un tel codage, il a très bien pu " sous-traiter " cela à meilleur spécialiste que lui et même des années après ne pas vouloir par discrétion impliquer dans la farce une personne qui ne le désirait pas.

Christian Attard

Philippe de Chérisey, en majordome stylé dans "Yoyo" de Pierre Étaix
(Coll. Ch. Attard)

Notes et sources

(1) Voir le texte "Pierre et Papier" publié 20 après le décès de Philippe de Chérisey par Jean-luc Chaumeil

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