En
2007 paraissait chez Grasset un livre intitulé "Sociétés
secrètes " écrit par le journaliste et chroniqueur le plus
médiatisé de France, Alexandre Adler.
Inspiré par une série d'émissions qu'il a produite pour France
Culture en 2006, sous le titre : "Histoire de ... Da Vinci
Code", le livre loin d'évoquer ces seules sociétés secrètes (dont au
final il est assez peu question dans l'ouvrage) traite surtout avec opportunisme
du mystère de Rennes-le-Château remis en actualité par le récent
succès de "Da Vinci Code".
L'auteur, normalien, agrégé d'histoire, professeur à l'université de
Paris VIII, grand spécialiste en géopolitique pourrait être
supposé, au su de son cursus intellectuel, sérieux et pondéré ; aussi, est-il très surprenant de voir s'accumuler dans son étude les
erreurs les plus grossières. Semblant avoir compulsé sommairement tout
ce qui a pu s'écrire de fumeux sur l'énigme de Rennes-le-Château, il en reprend
les plus incroyables balivernes sans apporter la moindre source
historique, le moindre appui bibliographique sérieux pour nous livrer
un livre bâclé. |
Les
exemples de ces erreurs graves ne manquent pas en voici quelques-uns qui
sont assez édifiants :
Page 107 :
"Nicolas
Pavillon était,
nous dit Adler,
un des directeurs
de conscience du jansénisme naissant..."
!
Nous avons vu en étudiant la vie de ce digne prélat qu'il n'en est
rien. C'est bien au contraire les jansénistes qui ne cesseront de
tenter de ramener vers eux la haute personnalité morale de Nicolas
Pavillon. Ses pratiques rigoristes et exigeantes s'accordaient certes
avec les idéaux jansénistes mais il ne fut jamais contrairement à
Arnauld ou Saint-Cyran un chantre du mouvement. Trop heureuse de
l'assimiler au jansénisme, l'église de Rome qui vit en cet homme, trop
indépendant, un polémiste redoutable pensait ainsi le discréditer. Aujourd'hui
plus aucun historien sérieux, fut-il religieux et catholique ne saurait
prétendre le contraire.
Page 117 :
"Nicolas
Pavillon est né de père inconnu et toute personne qui regarde son
portrait, tel qu'on le voit encore d'Alet
(il y a belle lurette
qu'il n'y est plus !)
est frappé par sa
ressemblance avec le cardinal de Richelieu ..."
Nicolas Pavillon naquit le 17 novembre 1597 à Paris, il était le
petit-fils de Nicolas Pavillon avocat au parlement de Paris et le fils
de Catherine de la Bistrade et d'Etienne Pavillon, un correcteur en la chambre des comptes.
D'où Alexandre Adler, réputé bien informé, tient-il cette affirmation
de la plus haute fantaisie ? Nous aurions aimé une note de bas de page
donnant ses références, il n'y en a aucune ! Étrange désinvolture
pour notre historien patenté !
Il fait également de Nicolas Pavillon l'inspirateur de Saint Sulpice
(page 137) sur on ne sait quelle source, mais il est vrai que l'on ne
prête qu'aux riches, et parle de "son ambition inexplicable"
de vouloir garder le diocèse d'Alet, n'ayant absolument pas compris sa
formidable expérience de réforme totale et réussie à l'échelle de
son misérable territoire audois.
Toujours
page 117 : "Nicolas
Pavillon entretient avec Pascal des rapports très étroits. Il est un
inspirateur, une sorte de Père Joseph du Jansénisme, le Père Joseph
étant jésuite et confesseur de Richelieu, comme chacun sait."
Chacun
peut-être, mais pas moi !!
Car si le Père Joseph fut surnommé "l'éminence grise" de
Richelieu, c'est bien à cause de sa robe de bure grise de Capucin et
non de Jésuite ! Son formidable réseau d'espionnage s'appuyant
justement sur des moines capucins et non jésuites.
Page 120 :
A propos de Saint Vincent Depaul cette fois : "Le
voici à Tunis où il devient l'esclave d'un riche musulman sans doute
soufi, qui l'initie aux arcanes de l'alchimie et lui accorde une
liberté croissante, dont il se servira pour s'évader ..."
Encore une autre
erreur qui dénote sa méconnaissance totale de l'épisode puisqu'à la
mort de son maître alchimiste, il est racheté par Guillaume
Gautier, un renégat avec lequel il retourna en France.
Page 124 : "Nicolas
Pavillon n'est pas homme à se laisser faire. Il a appartenu à
tous les courants gallicans hostiles à la monarchie absolue de Louis XIV
et lorsque, après avoir inspiré les Provinciales à Pascal, il
tombe en disgrâce, il décide une rupture radicale..." Et
de nous expliquer ensuite qu'il prend alors l'évêché d'Alet afin d'y
consommer sa disgrâce !
Nicolas Pavillon après de longues hésitations accepte l'évêché d'Alet
où il arrive le 3 novembre 1639. La première lettre des Provinciales
est datée du 23 janvier 1656, la dernière du 24 mars 1657. Il accède
donc à l'évêché d'Alet quelques 17 ans avant la rédaction des
Provinciales !!
Page 180 :
"Ce qui est vraisemblable,
c'est que les cathares leur aient confié leur trésor plutôt que de le
livrer aux croisés albigeois. Et il est parfaitement possible que des
templiers aient protégé un certain nombre de cathares en échange
d'espèces sonnantes et trébuchantes"
Et revoilà cette vieille lune du trésor cathare, oubliant ou n'ayant
jamais su qu'il était prescrit aux "bons hommes" de
travailler de leur mains, Alexandre Adler nous ressort l'inconcevable
"trésor cathare". La pauvreté figurait comme une prescription
majeure pour ceux qui avaient désiré vivre l'authentique message
d'amour et de charité christique, comment auraient-ils pu ou voulu
amasser de l'or ?
Parler de trésor cathare est aussi irréaliste que de parler de
"chevaliers cathares", eux qui exécraient la violence.
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Est-il
besoin de continuer ?
Sachez que pourtant la "matière" ne manquerait pas pour
développer ici plusieurs pages sur les incroyables sornettes non
étayées que véhicule ce livre.
Alaric serait enterré dans l'Aude avec la Ménorah selon ce monsieur,
alors qu'aucun chroniqueur de l'époque n'a jamais mentionné que le roi
Wisigoth retrouva à Rome les trésors du Temple de Jérusalem
contrairement au Vandale Genséric qui
lui mit effectivement la main dessus comme le rapporte François-René de Châteaubriand
!
Une confusion systématique est faite entre certains personnages
historiques et ce que l'on a tenté de leur faire endosser. Ainsi
Nicolas Flamel ou Raymond Lulle qui ne furent pas alchimistes se voient
ici confondus avec ceux que les historiens appellent avec plus de raison
les "pseudo-Flamel" ou les "pseudo-Lulle". Écrivains
alchimistes, eux, et qui se servirent de la réputation bien assise
d'hommes respectés pour répandre leurs textes. etc, etc.
Tout
cela pour en arriver à brasser une série d'hypothèses entendues et
ré-entendues qui n'apporte rien de bien nouveau à l'affaire et, au
passage, distiller quelques convictions tendancieuses.
Inspiré d'autres ouvrages tout aussi calamiteux, "Sociétés
secrètes" nécessiterait d'être suivi d'un livre de corrections
explicatives.
Il reste donc très surprenant qu'un esprit par ailleurs souvent
rigoureux et brillant ce soit à ce point fourvoyé dans les méandres
de l'énigme de Rennes-le-Château et y ait fait preuve d'aussi peu
de sérieux en matière d'Histoire.
Et
Christian Attard
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