Anachronismes , bourdes et chroniqueur


Alexandre Adler, omniprésent et omniscient 
(source libre wikipédia)


En 2007 paraissait chez Grasset un livre intitulé "Sociétés secrètes " écrit par le journaliste et chroniqueur le plus médiatisé de France, Alexandre Adler. 
Inspiré par une série d'émissions qu'il a produite pour France Culture en 2006, sous le titre : "Histoire de ... Da Vinci Code", le livre loin d'évoquer ces seules sociétés secrètes (dont au final il est assez peu question dans l'ouvrage) traite surtout avec opportunisme du mystère de Rennes-le-Château remis en actualité par le récent succès de "Da Vinci Code". 
L'auteur, normalien, agrégé d'histoire, professeur à l'université de Paris VIII, grand spécialiste en géopolitique  pourrait être supposé, au su de son cursus intellectuel, sérieux et pondéré ; aussi, est-il très surprenant de voir s'accumuler dans son étude les erreurs les plus grossières. Semblant avoir compulsé sommairement tout ce qui a pu s'écrire de fumeux sur l'énigme de Rennes-le-Château, il en reprend les plus incroyables balivernes sans apporter la moindre source historique, le moindre appui bibliographique sérieux pour nous livrer un livre bâclé.


Nicolas Pavillon, otage post-mortem de toutes les affabulations
(Photo Christian Attard)

Les exemples de ces erreurs graves ne manquent pas en voici quelques-uns qui sont assez édifiants :

Page 107 :
"Nicolas Pavillon était, nous dit Adler, un des directeurs de conscience du jansénisme naissant..." !

Nous avons vu en étudiant la vie de ce digne prélat qu'il n'en est rien. C'est bien au contraire les jansénistes qui ne cesseront de tenter de ramener vers eux la haute personnalité morale de Nicolas Pavillon. Ses pratiques rigoristes et exigeantes s'accordaient certes avec les idéaux jansénistes mais il ne fut jamais contrairement à Arnauld ou Saint-Cyran un chantre du mouvement. Trop heureuse de l'assimiler au jansénisme, l'église de Rome qui vit en cet homme, trop indépendant, un polémiste redoutable pensait ainsi le discréditer. Aujourd'hui plus aucun historien sérieux, fut-il religieux et catholique ne saurait prétendre le contraire.

Page 117 :
"Nicolas Pavillon est né de père inconnu et toute personne qui regarde son portrait, tel qu'on le voit encore d'Alet (il y a belle lurette qu'il n'y est plus !) est frappé par sa ressemblance avec le cardinal de Richelieu ..."

Nicolas Pavillon naquit le 17 novembre 1597 à Paris, il était le petit-fils de Nicolas Pavillon avocat au parlement de Paris et le fils de Catherine de la Bistrade et d'Etienne Pavillon, un correcteur en la chambre des comptes. D'où Alexandre Adler, réputé bien informé, tient-il cette affirmation de la plus haute fantaisie ? Nous aurions aimé une note de bas de page donnant ses références, il n'y en a aucune ! Étrange désinvolture pour notre historien patenté !
Il fait également de Nicolas Pavillon l'inspirateur de Saint Sulpice (page 137) sur on ne sait quelle source, mais il est vrai que l'on ne prête qu'aux riches, et parle de "son ambition inexplicable" de vouloir garder le diocèse d'Alet, n'ayant absolument pas compris sa formidable expérience de réforme totale et réussie à l'échelle de son misérable territoire audois.

Toujours page 117 : "Nicolas Pavillon entretient avec Pascal des rapports très étroits. Il est un inspirateur, une sorte de Père Joseph du Jansénisme, le Père Joseph étant jésuite et confesseur de Richelieu, comme chacun sait."

Chacun peut-être, mais pas moi !! 
Car si le Père Joseph fut surnommé "l'éminence grise" de Richelieu, c'est bien à cause de sa robe de bure grise de Capucin et non de Jésuite ! Son formidable réseau d'espionnage s'appuyant justement sur des moines capucins et non jésuites.


Page 120 : A propos de Saint Vincent Depaul cette fois : "Le voici à Tunis où il devient l'esclave d'un riche musulman sans doute soufi, qui l'initie aux arcanes de l'alchimie et lui accorde une liberté croissante, dont il se servira pour s'évader ..."

Encore une autre erreur qui dénote sa méconnaissance totale de l'épisode puisqu'à la mort de son maître alchimiste, il est racheté par Guillaume Gautier, un renégat avec lequel il retourna en France.

Page 124 : "Nicolas Pavillon n'est pas homme  à se laisser faire. Il a appartenu à tous les courants gallicans hostiles à la monarchie absolue de Louis XIV et lorsque, après avoir inspiré les Provinciales à Pascal, il tombe en disgrâce, il décide une rupture radicale..." Et de nous expliquer ensuite qu'il prend alors l'évêché d'Alet afin d'y consommer sa disgrâce !

Nicolas Pavillon après de longues hésitations accepte l'évêché d'Alet où il arrive le 3 novembre 1639. La première lettre des Provinciales est datée du 23 janvier 1656, la dernière du 24 mars 1657. Il accède donc à l'évêché d'Alet quelques 17 ans avant la rédaction des Provinciales !! 


Page 180 :
"Ce qui est vraisemblable, c'est que les cathares leur aient confié leur trésor plutôt que de le livrer aux croisés albigeois. Et il est parfaitement possible que des templiers aient protégé un certain nombre de cathares en échange d'espèces sonnantes et trébuchantes"

Et revoilà cette vieille lune du trésor cathare, oubliant ou n'ayant jamais su qu'il était prescrit aux "bons hommes" de travailler de leur mains, Alexandre Adler nous ressort l'inconcevable "trésor cathare". La pauvreté figurait comme une prescription majeure pour ceux qui avaient désiré vivre l'authentique message d'amour et de charité christique, comment auraient-ils pu ou voulu amasser de l'or ?
Parler de trésor cathare est aussi irréaliste que de parler de "chevaliers cathares", eux qui exécraient la violence. 

Tableau Karl Briullov 1833-1836, on y retrouve le célèbre chandelier. 
Genséric est représenté à cheval

Est-il besoin de continuer ? 

Sachez que pourtant la "matière" ne manquerait pas pour développer ici plusieurs pages sur les incroyables sornettes non étayées que véhicule ce livre. 
Alaric serait enterré dans l'Aude avec la Ménorah selon ce monsieur, alors qu'aucun chroniqueur de l'époque n'a jamais mentionné que le roi Wisigoth retrouva à Rome les trésors du Temple de Jérusalem contrairement au Vandale Genséric qui lui mit effectivement la main dessus comme le rapporte François-René de Châteaubriand ! 

Une confusion systématique est faite entre certains personnages historiques et ce que l'on a tenté de leur faire endosser. Ainsi Nicolas Flamel ou Raymond Lulle qui ne furent pas alchimistes se voient ici confondus avec ceux que les historiens appellent avec plus de raison les "pseudo-Flamel" ou les "pseudo-Lulle". Écrivains alchimistes, eux, et qui se servirent de la réputation bien assise d'hommes respectés pour répandre leurs textes. etc, etc.

Tout cela pour en arriver à brasser une série d'hypothèses entendues et ré-entendues qui n'apporte rien de bien nouveau à l'affaire et, au passage, distiller quelques convictions tendancieuses.

Inspiré d'autres ouvrages tout aussi calamiteux, "Sociétés secrètes" nécessiterait d'être suivi d'un livre de corrections explicatives. 
Il reste donc très surprenant qu'un esprit par ailleurs souvent rigoureux et brillant ce soit à ce point fourvoyé dans les méandres de l'énigme de Rennes-le-Château et y ait fait preuve d'aussi peu de sérieux en matière d'Histoire.

Et
Christian Attard

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