Les pillards de Genséric





La Ménorah fidèlement représentée sur l'arc de triomphe de Titus (39-81) à Rome
(source libre Wikipédia)  








On entend régulièrement dans le milieu des chercheurs castelrennais, jeunes ou vieux, revenir les noms d'Alaric I ou II comme étant les possibles pourvoyeurs du trésor des deux Rennes. On parle d'Arche d'Alliance et de Ménorah (le grand chandelier à 7 branches qui illumina le Temple de Jérusalem) en évoquant Maurice Leblanc ou Arsène Lupin !
Or, l'arche d'Alliance ne figurait pas dans le butin de Titus lorsqu'il pilla le temple en 70 car elle n'était plus dans les lieux depuis bien longtemps déjà. 

L'Arche d'Alliance, non... mais le chandelier à sept branches et la Table des pains de proposition, oui !

 
Devenu, dès la destruction du premier Temple (), l'emblème du peuple d'Israël, le majestueux candélabre fut très précisément décrit par le Dieu de Moïse en Exode (Chap.25 versets 31-40) :

"Tu feras un chandelier d'or pur, en or battu il sera fait, le chandelier, sa base, sa tige et ses calices, et les boutons et les fleurs, d'une seule pièce. Six tiges sortiront de ses côtés, trois tiges du chandelier d'un côté, et trois tiges du chandelier de l'autre côté. Trois calices en forme d'amande sur une tige avec bouton et fleur et trois calices en forme d'amande sur l'autre tige avec bouton et fleur, ainsi pour les six tiges sortant du chandelier, et au chandelier quatre calices en forme d'amande avec leur boutons et leurs fleurs, un bouton sous deux tiges, un bouton sous deux autres tiges, et un bouton sous deux tiges, pour les six tiges sortant du chandelier. Les boutons et les tiges en une seule pièce avec lui, le tout battu dans une seule pièce d'or pur. Tu feras ses lampes, sept, et on placera ses lampes pour quelles éclairent vers l'avant. Les pinces et les plateaux seront d'or pur. Avec un talent d'or pur on le fera, et tous ses objets. Et vois à bien faire selon leur modèle, tel qu'il t'a été montré sur la montagne." (1)

Je suis toujours étonné du manque de recherches historiques sérieuses d' écrivains trop prolixes et, de moins en moins disposé à leur accorder une confiance aveugle. Une étude élémentaire leur aurait évité de proclamer tant de bêtises.

Flavius Joseph (37-100), l'historien d'origine juive, nous donne la description de ce chandelier qu'il a sûrement vu lui-même.

"Vis-à-vis de la table, mais près de la paroi tournée vers le midi, se trouvait un candélabre d'or fondu en creux du poids de cent mines, poids que les Hébreux appellent kinchares ; ce qui, traduit en grec, répond à un talent. Il était composé de petites sphères et de lis avec des grenades et de petits cratères ; en tout, soixante-dix objets. Il était constitué par ces objets depuis la base, qui était unique, jusqu'en haut. On lui avait donné autant de branches qu'on compte de planètes avec le soleil. Il se séparait en sept têtes disposées à intervalles égaux sur une rangée. Chaque tête portait une lampe, rappelant le nombre des planètes ; elles regardaient l'orient et le midi, le candélabre étant disposé obliquement."

Celui dont s'empare le romain Titus en 70 (et dont on peut contempler la représentation fidèle sur son Arc de Triomphe à Rome) n'est peut-être plus l'original car entre temps sont passées les armées de Nabuchodonosor II en 586
av J-C et les profanateurs du roi Antiochus Épiphane en 166 av J-C, mais il correspond lui-aussi à la description de Flavius Josèphe. Ce n'est peut-être plus l'original car Josèphe décrit un chandelier d'or fondu et creux, alors que Moïse évoque un chandelier d'or pur qui a pu soit être préservé des pilleurs, soit être emporté par les chaldéens comme l'indique le deuxième livre des Chroniques chap. 36 verset 19 :

"Nebucadnetsar emporta à Babylone tous les ustensiles de la maison de Dieu, grands et petits, les trésors de la maison de l'Éternel, et les trésors du roi et de ses chefs."





"L'enterrement d'Alaric dans le lit du Busentin", dessiné par Henreich Leutemann




En août 410, Alaric Ier saccage Rome, mais il accepte de ménager l'Église romaine. A sa mort à la fin de l'année, il fut semble-t-il et selon la coutume, enseveli avec son trésor en Calabre. Il n' a cependant jamais été fait mention qu'il s'empara du fameux chandelier.

Son successeur Athaulf (et non Alaric II comme je l'ai souvent lu et entendu et répété !) à la mort de celui qui était aussi son beau-frère remonta vers la Gaule et en profita pour épouser  à Narbonne sa captive Galla Placidia, demi-sœur de l'empereur  Honorius. A supposer qu'il put rapatrier une partie des rapines d'Alaric, jamais ne fut non plus mentionné le fameux candélabre.

Mais Alaric
Ier ne put saccager Rome "que pendant trois jours", si l'on ose dire, ce qui est certes beaucoup mais bien moins que les quinze jours qu'y passa le roi des vandales Genséric ou Gaiséric (399-477).
 
Si personne ne mentionna alors le vol de la Ménorah par Alaric, pour Genséric, il est en tout autrement !

En effet, Genséric (399-477) qui avait moins de scrupules qu'Alaric envers l'Église de Rome, s'empara en 455 de ce qui avait échappé à Alaric en 410 : tuiles du capitole, argent, et Ménorah cette fois, pour tout embarquer vers sa base tunisienne de Carthage.
Le fait fut attesté par bon nombre d'historiens sérieux et repris par François-René de Châteaubriand qui écrit : 


"Parmi le butin se trouvèrent les ornements enlevés au temple de Jérusalem : quel mélange de ruines et de souvenirs !" 

et par l'historien Edward Gibbon, entre autres, qui dans son
"Histoire de la décadence et de la chute de l'empire romain" en 1812 précise que : 

"les instrumens sacrés du culte des juifs, la table d'or, le chandelier d'or à sept branches furent emportés en même temps que la couverture dorée du toit du capitole mise en place sous Domitien et qui avait coûté une fortune au contribuable romain. Les églises ne furent pas, elles non plus, épargnées."

On se souvient alors des allégations fantaisistes de Philippe de Cherisey à propos de ces tuiles d'or, il devait lui au-moins, connaître son Histoire. 




On reconnaît sur ce tableau de Karl Briullov (1833-1836), le célèbre chandelier. 
Genséric est représenté à cheval




A l'exception d'un navire qui portait les statues et décorations du Capitole tout arriva à Carthage. En 455, le roi Genséric donne donc à voir son chandelier sacré à la très vielle communauté juive de Tunisie qui elle aussi en témoigne.

En mars 534, Bélisaire (500-565) reconquiert Carthage et l'Afrique du Nord pour Justinien le Grand (482-565), le chandelier est alors transféré à Byzance. 
Mais selon G. Welch (3), la tradition rapporte que ce fut la remarque astucieuse d'un juif qui provoqua le retour de la Ménorah à Jérusalem. En effet, le chandelier apparut lors d'une procession triomphale à Constantinople et cette personne s'exclama haut et fort : 

"C'est un porte-malheur. Là où il va, il amène des conquérants qui l'emportent avec eux. Vous n'avez qu'à voir l'exemple du pillage de Rome et de la prise de Carthage. Il n'est pas de bonne augure de le garder à Constantinople !"


La rumeur se répandit et le chandelier fut donc ramené à Jérusalem et placé dans une église chrétienne ! Il était donc pratiquement revenu au VIème siècle à son point de départ.





Les vandales embarquent à Ostie - Dessin d' Heinrich Leutemann
La Menorah est bien représentée à droite de la gravure




L'histoire officielle ne nous dit plus rien de l'objet mythique et dans ce silence se sont engouffrées bien des légendes, écrits bien des romans. Peut-on croire que le chandelier ait attendu là l'arrivée sanguinaire et destructrice des arabes puis des croisés ? Fut-il une fois encore caché, transporté ? Nul ne le sait avec certitude. Mais là où l'Histoire s'arrête commencent les légendes.

L'une d'entre elles, plus récente courre sur Internet. Elle semble appuyée par les dires de plusieurs rabbins et mérite d'être analysée avec attention...

Christian Attard




Notes et sources

(1) selon la Nouvelle traduction de la bible - Bayard 2001
(2) Falvius Josèphe : "Antiquités judaïques" livre III, chapitre VI-7
(3) G. Welch, North Africa Prelude - William Morrow and co. Publishers New-York, 1949 p.156




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