Souvenirs de l'abbé Gaudissard


Eglise d'Antugnac

Eglise d'Antugnac (Aude)




L’histoire de l'abbé Léon Gaudissard a cela d’instructif qu’elle nous permet de comprendre que malgré sa flamboyance, la vie de Bérenger Saunière n’avait rien d’unique en sa région. D’autres prêtres ont bénéficié de fortes rentrées financières et, tout comme le maître de Rennes-le-Château, ils les ont utilisées à restaurer le prestige d’une Eglise menacée par la République.

Lorsque Bérenger Saunière commençe à avoir de sérieux ennuis avec son évêché, à la tête duquel se trouve monseigneur Paul-Félix Beuvain de Beauséjour, ses amis tentent de comprendre ce qui lui arrive. Pour certains, ses dépenses somptuaires ont forcément attiré des envieux, pour d’autres c’est le scandale de la mort de son frère Alfred qui a déclenché le courroux de l'évêque. Mais, son ami et conseiller l’abbé Rouanet, curé de Villefort, s’interroge : « La mort du pauvre abbé Gaudissard aurait-elle réveillé de mauvais souvenirs ? ». Quels sont ces souvenirs que le décès de ce prêtre auraient pu raviver ?
Que peut bien signifier cette interrogation ?




Léon Célestin Gaudissard est né à Espéraza le 11 avril 1859 de Pierre Célestin Gaudissard, un garçon tanneur et Jeanne Baptistine Gibert, sans profession. Il passe par les lazaristes avant d’être nommé vicaire à Lézignan, le 1er juillet 1888. Le 16 juin 1891, il rejoint Antugnac en tant que prêtre desservant, soulageant ainsi Bérenger Saunière qui assurait par interim l’office de cette église (1).

Dès son arrivée, il va tout comme son voisin de Rennes-le-Château, s’attacher à restaurer son église. Ces travaux seront financés, dit-il, avec ses économies et les dons de quelques fidèles paroissiens. On connaît la chanson. Patrick Mensior dans son ouvrage "Le journal de l’abbé Saunière de 1901 à 1905" nous donne le détail de ces travaux et embellissements (2).

Le 29 juin 1901, a lieu une fête pour commémorer l’achévement de cette belle restauration. Cérémonie à laquelle participe les prêtres voisins d’Espéraza, Véraza, Rennes-le-Château, La Serpent, Montazels, Luc-sur-Aude. Le curé-doyen de Couiza, l’abbé Jean Fournès prêche aux vèpres. La messe est chantée par le révérend-père Routhiau de Castelnègre. La présence du père Routhiau en ce jour solemnel est par ailleurs assez troublante lorsque l’on sait que c’est lui qui « inspectera » dans quelques temps (en mars 1903) la construction de la villa Béthanie à Rennes en compagnie de l’abbé Pierre Sire, le curé de Luc-sur-Aude, également présent ici.



L
e 9 janvier 1909, l'abbé Gaudissard décéde à Antugnac, toujours selon la notice spécifiant ses états de service. La veille si on en croit une brève  nécrologie dans La Semaine Religieuse du diocèse, du vendredi 15 janvier 1909, sans mention des causes de son décès. il n'avait donc que cinquante ans.
Son acte de sépulture, daté du 10 janvier à Espéraza, ne mentionne aucune cause de décès. Il a été enseveli dans le cimetière paroissial d’Espéraza, dans le tombeau de sa famille.
Patrick Mensior nous précise qu’il a reçu les derniers sacrements quelques temps avant sa mort des mains du curé de La Serpent.

Antugnac

Le village d'Antugnac (Aude)


Aucun chercheur n’a pu malheureusement aller plus loin pour comprendre la signification de la phrase énigmatique de l’abbé Rouanet.


Il est cependant un fait extrêmement troublant dans l’histoire de l’abbé Gaudissard qui va intervenir près de 24 ans après son décés.

Car, par acte notarié du 3 juin 1933, Joseph Gaudissard, instituteur en retraite, fait don à la commune d’Espéraza de la somme de 100 000 francs destinée à la création d’un hospice de vieillards.
Le 12 juin 1933, le Conseil municipal vote cette création. Le 31 décembre 1934 la commune acquiert la maison du 24 rue Elie Sermet et y installe huit lits d’hospice début 1936. Une partie du bâtiment sera aussi affectée à une maternité pendant quelques temps après la guerre. En 1961 la commune acquiert une ancienne usine qui jouxte ce qu’on appelait alors « l’asile Gaudissard » et fait construire la maison de retraite actuelle. Joseph meurt le 13 décembre 1935 et par testament,  il lègue encore à la commune une maison, 60 00 francs et des titres détaillés. (3)

Si l’on considère que le salaire moyen d’un instituteur vers 1900 était de 700 francs par an, il aurait fallu à Joseph mettre de côté pendant 228 années, sans avoir la moindre dépense, pour pouvoir économiser la somme totale de 160 000 francs (sans compter les titres) qu’il légue à sa commune, sans compter sa maison ! Voilà qui interroge surtout lorsque l’on sait qu’il était issu d’une famille très peu fortunée. Quoi qu’il en soit, c’est grâce aux dons, très conséquents, de la famille Gaudissard que se crée la première maison de retraite de l’Aude à Espéraza.


Mais Joseph est le petit cousin de notre Léon célestin qui n’étant pas mort brutalement a très bien pu tester en sa faveur (Ils ont pour ancêtre commun leur arrière grand-père Jean-Pierre Gaudissard (1739-1795). Joseph et lui (bien évidemment) étant célibataires.

On peut imaginer et cela n’engage que moi (en l’état actuel de mes recherches) que le prêtre ait voulu laisser ses acquis non pas à son évêché mais à un parent. A charge pour lui, à sa mort, d’en faire profiter les indigents de leur commune de naissance. Si ce scénario s’avérait exact, on comprend alors que l’affaire de Bérenger Saunière qui a détourné une propriété qu’il disait destinée aux prêtres âgés ait pu, à la mort de Léon Gaudissard, rappeler de mauvais souvenirs.

De nombreux points communs interpellent : Bérenger Saunière et Léon Gaudissard trouvent de gros moyens pour restaurer tous les deux leur église. La finalité de leur manne financière est, pour tous les deux, détournée de sa destination première pour sortir de l’église et aboutir à un projet de maison de retraite, avorté pour Bérenger et réalisé post-mortem pour le prêtre d’Antugnac.
Si ces sommes d’argent sont passées entre les mains du prélat, on comprend que le célèbre Christ d’Antugnac aient eu les siennes en or !



Christ d'Antugnac

Le Christ d'Antugnac (Photo de Jean-Marie Vilette)



La série de médaillons que fit peindre à grands frais sur les voûtes de son églises, le père Gaudissard, représentait l'Adoration du Saint-Sacrement par des anges. Voilà qui aurait très probablement ravi la congrégation des prêtres adorateurs du Saint Sacrement et la Fraternité sacerdotale où s'activa le père Eugène Prévost au plus grand profit de nos prêtres des campagnes.

Christian Attard, ce 8 juillet 2025



Ajout et précisions de Patrick Mensior en date du 9 juillet :


"Léon Gaudissard est décédé ab intestat et sans inventaire de ses biens. C'est son frère Pierre Clément, propriétaire et fabricant de chapeaux, qui hérita de l'entière succession. Ce qui a sûrement dû déplaire à l'évêché. Comme Bérenger Saunière, l'abbé Gaudissard fit construire sa maison. Devenue à son décès propriété de son frère Pierre Clément, celui-ci la revendra en 1914 au maire d'Antugnac, Philémon Roquefort, pour la somme de 7000 francs."

La recherche continue donc en tâchant de savoir qui reçut l'héritage de ce frère ...



Notes et sources :

(1) Source :  Archives diocésaines de l'évêché de Carcassonne que je remercie.
(2) " Le prêtre accueille et nourrit durant trois mois les ouvriers. Avec le concours d'un architecte, il fait réduire la tribune dans de sages proportions. Les vitraux du Sacré-Cœur de Jésus et de Marie sont placés aux fenêtres de la Nef. La porte d'entrée de l'église est entièrement remise à neuf. De riches girandoles sont apposées aux piliers de l'église et celles de l'autel sont rénovées ainsi que les chandeliers et la Croix. Le retable restauré, l'église est entièrement repeinte à l'huile par un peintre décorateur de Lézignan, Fiorio Lecondin, et son ouvrier Gastaldi. À cette époque, on pouvait admirer aux voûtes du sanctuaire des tableaux et des médaillons représentant l'Adoration du Saint Sacrement par les Anges, l'Apothéose de la Croix de St André, les bustes de la Ste Vierge et de St Joseph. Dans la Nef, il y avait un tableau de l'Agonie de Jésus au jardin des Oliviers, St Louis roi de France et Jeanne d'Arc.
D'un côté de la Nef, ont été disposés les médaillons de St Léon, Ste Anne et St Jacques ; de l'autre côté, ceux de St Roch, Ste Germaine et St Marc ; au milieu le Père Éternel bénit les fidèles."
(3)
cf Conseil municipal du 19 janvier 1936. voir à cette adresse :
 https://fr.geneawiki.com/wiki/D%C3%A9lib%C3%A9rations_du_Conseil_municipal_d%27Esp%C3%A9raza


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