Certes l'on sait par les frères Foreau (1) que Nicolas
Pavillon, le pieux évêque d'Alet (1597-1677) a doté les églises
de son diocèse d'un même tableau, un christ en croix. Par même tableau,
dans la description des frères Foreau, je ne pense pas qu'il faille
entendre une peinture traits pour traits similaire, mais plutôt une même
représentation, un même concept. Voici ce que
décrivent les deux pèlerins à propos de leur visite dans une de ces églises :
" ../..
Nous y avons aussi vu le même tableau qu'en toutes les autres églises.
Mgr d'Alet ayant fait mettre à tous les tableaux des grands autels de
beaux crucifix bien peints et uniformes en ce point et dans la construction
du chœur, arrangement des bancs etc. si bien qu'on ne trouverait pas plus
de rapport entre les églises des capucins qu'il n'y en a en presque
toutes les églises de ce diocèse../.."
Le fait étant
établi, une visite dans l' église Saint-André d'Alet devrait nous
permettre d'y retrouver peut-être une de ces crucifixions.
Depuis sa destruction au cours des guerres de religion en 1577, la
cathédrale Sainte Marie n'est que ruine abandonnée aux pigeons, chats
errants et touristes de passage. D'abord transféré au réfectoire de
l'abbaye Saint Benoît, le culte se pratiqua ensuite dans l'église Saint
André, seule en état aujourd'hui.
Nous n'avons plus d'autre choix à Alet, si un tableau commandé par
Nicolas Pavillon a survécu aux temps, il ne peut être que là.
L'abbé Joseph-Théodore Lasserre (2) nous apprend cependant que cette
crucifixion que nous pouvons admirer aujourd'hui provient de l'ancienne
chapelle de l'évêché, mais ne semble pas en être très sûr :
../.. Au-dessus du
Tabernacle, on avait conservé le tableau de Jésus-Christ en Croix, qui
orne le retable de l'église Saint-André. Ce tableau, d'un certain
mérite, parait très ancien. Nous pensons qu'il provient de la Chapelle
de l'évêché que fit démolir Mgr de Chantérac (3)
../..
Constatons que contrairement aux crucifixions vues précédemment, la tête du
Christ est ici inclinée dans le sens traditionnel. En considérant aussi
l'extrême rigorisme, la volonté constante de dépouillement de Nicolas
Pavillon, il semble logique que le prélat ait plutôt autorisé une représentation
du Christ en croix exempte de toute surenchère artistique.
D'autre part, les décisions du concile de Trente, que respecta à la
lettre Nicolas Pavillon, ne permettaient pas la présentation dans
le chœur d'une église d'autre chose qu'un crucifix. Elles interdisaient
la présence sur un tableau de statues (saints, disciples, parents du
Christ...).
Ce Christ d'Alet
est donc seul dans un paysage décharné, abandonné de tous, et contrairement
aux quatre crucifixions similaires présentées en page précédente, les
couleurs en sont plus froides. A un ascétique dénuement, le peintre
s'est toutefois octroyé la fantaisie de rajouter quelques frêles arbustes
; mais
ici pas de Marie-madeleine, de St Jean ou de Marie. Le crucifié se
détache sur un fond de ciel tourmenté dans la plus parfaite sobriété.
L'ensemble cadre donc assez bien psychologiquement
avec le caractère de rigidité que l'on a, à tort, octroyé au saint
prélat. Pourrait-on alors, et contre l'avis de l'abbé Lasserre, penser
que nous sommes bien en présence d'une de ces crucifixions que fit
peindre Nicolas Pavillon pour prendre solennellement place dans les
églises de son diocèse ? La vénération dans laquelle Alet tint son
Saint évêque pourrait nous faire supposer qu'un tableau commandé par
lui n'a pu être que pieusement (et non pieussement !) préservé...
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C'est
dans l'église d'Arques en plein cœur du diocèse de Nicolas Pavillon
qu'un autre Christ en croix pourrait bien répondre à nos
suppositions.
Le voici, ci-contre.
Plusieurs constats s'imposent :
- la représentation tout d'abord est connue localement pour être, elle
aussi, très ancienne, la tradition locale en fait une commande de...
Nicolas Pavillon,
- le tableau dénote le même souci d'extrême sobriété que celui d'Alet,
- le Christ y est représenté tout aussi seul,
- le paysage, comme à Alet, occupe une place réduite dans la
composition,
- le drappé du linge reste soobre sans envolée.
- le Christ, là encore, se détache sur un ciel tourmenté de nuages
lourds.
Mais les points communs ne s'arrêtent pas là :
- la partie haute de la croix n'est pas non plus représentée et
s'arrête au-dessus du titulus,
- il n'y a pas comme à Pieusse ou Rennes d'effets amples de
drapés.
Tous ces points devraient suffire à nous convaincre que les peintres
ayant travaillé à ces oeuvres le firent dans un esprit très voisin et,
si l'on peut dire, avec une charte graphique très précise.
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Durement contredit récemment sur un forum (4) par un célèbre chercheur
à propos de mon incrédulité à vouloir accepter la crucifixion de
Pieusse comme commandée par Nicolas Pavillon, je vous laisse juges pour
considérer quel type de crucifixion peut le plus plausiblement avoir
été une commandée par le digne évêque d'Alet.
Et allez, je vais même aller jusqu'à faire ici, ce 18 octobre 2008 une
petite prédiction : un jour plus ou moins prochain, un chercheur
présentera, issu d'une petite église de l'ancien diocèse d'Alet, un
autre tableau d'un Christ en croix dramatiquement seul, sur fond de ciel
et au cartouche I.N.R.I. sur deux lignes. Ce jour là, vous vous
souviendrez peut-être qu'il m'est arrivé parfois de
"réfléchir" lorsque "je pondais" mes modestes
articles.
Quant à l'affirmation hautement fantaisiste que : "N-D
de Marceille, sanctuaire qui au 17 ème siècle était de 1639 à 1660,
sous la tutelle de Mgr Nicolas Pavillon", j'y reviendrai très
prochainement aussi.
Christian Attard - ce 18 octobre 2008
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