Étranges oublis 

Le chapelle de Sainte Madeleine à Pezens (Aude)
(photo Ch. Attard)


Aujourd'hui, pour bien des personnes le site de référence de la dévotion à Sainte Madeleine est Rennes-Le-Château. Ni la Sainte Beaume, ni Vezelay ou St Maximin et encore moins Éphèse ne leur viennent à l'esprit. Et pourtant, ce culte si affirmé localement ne semble pas avoir marqué les mémoires avant sa redécouverte tardive . Le village bien que remarquable fut après guerre bien éloigné de toutes nos considérations actuelles. Et dans l'Aude, seul un site retient l'attention de nos religieux historiens.

Monseigneur Rivière, vicaire Général de Carcassonne en 1948, dans un très intéressant ouvrage intitulé : "La sainteté en pays d'Aude" (2) ne mentionne en effet que le seul village de Pezens comme étant plus particulièrement voué au culte de la plus célèbre des pénitentes.
 
Venant de Toulouse pour nous rendre à Carcassonne par la nationale 113, nous passons devant ce modeste édifice très anciennement dédié à la Sainte, souvent sans même le voir, tellement il est dangereusement placé entre deux voies à grande vitesse. 
Construite au Xème siècle, souvent restaurée ou réaménagée, cette chapelle a beaucoup souffert. Notons qu'en 1295, Philippe le Bel céda la seigneurie de Pezens à Guillaume de Voisins, seigneur de Rennes et sa famille la conserva jusqu'à la Révolution. Leurs armoiries en témoignent encore sur une clef de voûte.

Les armoiries de la famille de Voisins
(photo Ch. Attard)

Une croix aux N, comme il se doit, totalement inversés, nous précise que ce lieu est celui de "Magdelene". Croix y est obstinément écrit avec un S, preuve que les graveurs n'écoutaient pas grand monde ! 
Socle et fût sont très ancien, alors que la croix semble être de facture plus récente.

(photo Ch. Attard)

A l'intérieur, un très beau tableau, misérablement dégradé par l'incurie des hommes et du temps, nous permet de retrouver Madeleine en extase. Son si beau visage contraste étonnamment avec le reste de la peinture plus grossière, peut-être, sûrement,  maladroitement retouchée. Madeleine nous est dépeinte ici très richement parée, entourée de somptueux tissus, coffrets de perles et bijoux. Touchée par l'appel divin, elle est sur le point de tout abandonner et suivra le Sauveur sur la voie du renoncement et de sa future Pénitence. 
De nombreux détails sont malheureusement perdus à jamais. 

 Les murs de la chapelle sont constellés de marques laissées par des compagnons itinérants qui ne manquèrent pas de venir saluer une sainte qui leur est si chère.  
Comme à Réalmont, nous constatons bien en ce lieu les signes d'une affection que nous ne retrouvons pas ailleurs.
On peut ainsi retrouver quelques dessins de fers à chevaux, marque des compagnons forgerons

Pezens est donc l'occasion pour Mgr Rivière de faire l'éloge de la compagne de tous les instants du Christ, que ces moments soient heureux ou sinistres, et il insiste sur le fait qu'elle fut en tout la première :

"Au matin de la résurrection, elle fut la première au sépulcre, la première à laquelle le Sauveur ressuscité apparut, la première qui reçut de lui, l'ordre d'aller annoncer sa résurrection aux apôtres et aux disciples, la première à qui il fut donné de publier la gloire de sa vie nouvelle et son triomphe sur la mort, sur le péché et sur ses ennemis."

Étrangement, le prélat ne mentionne même pas Rennes-le-Château qui à cette époque semblait en plein oubli, volontaire ou pas. D'ailleurs cette zone de l'Aude a très peu attiré son attention.


De la même manière, un peu avant Jean Rivière, un autre prêtre de l'Aude, l'abbé Paul Montagné, professeur de philosophie à l'école privée Beauséjour de Narbonne et vice-président du Groupe audois d'études folkloriques dans lequel nous retrouvons le Docteur Paul Courrent, médecin de Saunière, Joe Bousquet, René Nelli... se livre à une étude ampoulée sur le fait folklorique et les superstitions populaires audoises en 1940/41.
Abordant la démonologie de son département, il ne parle pas du fameux diable au bénitier alors qu'il évoque des représentations du démon de bien d'autres églises de France. 
Par contre, il narre la légende du trésor de Blanchefort qui lui aurait été rapportée par M. Gibert, instituteur à Lauragel et qui n'est qu'une reprise d'un récit d' Auguste de Labouisse-Rochefort dans son "Voyages à Rennes-les-Bains" de 1832.

Extrait du magazine "Folklore" n°23 - Édité en 1941 par le groupe audois d'études folkloriques

Observé alors qu'il compte ses louis d'or par un jeune berger (une bergère chez Labouisse-Rochefort)  - qui ne s'appelle pas encore "Paris" - , le Diable anéantit le sorcier de Rennes qui avait cru pouvoir lui dérober son fabuleux trésor.
Montagné cite ainsi plusieurs histoires locales où le Diable joue un rôle important et évoque même un prédécesseur de Saunière alors qu'il rapporte la légende des Sept archers de St Gimer précipités par le Diable dans un puits.

L'abbé Montagné rapporte aussi d'autres légendes de Rennes-le-Château ou de Montferrand, mais à lire tous ces récits recueillis de la bouche de très vieilles personnes, on comprend bien qu'il est fort improbable que jamais n'ait été associé à une de ces histoires de trésor enfouis et protégés par le Diable, le moindre nom propre de personne. 
A moins que la source même de cette information, de ce nom supposé de "Paris" soit de première main, véritable et vérifiable ce dont personne n'a jamais apporté la moindre preuve.

Oublis étranges de ces prêtres érudits ? 
Pas nécessairement, historiens, archéologues, ethnologues, ils n'avaient peut-être aucun intérêt pour les frasques d'un prêtre contemporain, fut-il aussi flamboyant que Bérenger Saunière.

Christian Attard

Notes et sources :

1) - Christian Doumergue est l'auteur de plusieurs ouvrages sur Marie Madeleine dont aux Éditions Lacour : Marie-Madeleine, la Reine Oubliée, une publication en deux volumes d'un peu plus de 640 pages chacun, respectivement intitulés : "L'Épouse du Christ" et "La Terre Élue".
(2) - Mgr Jean Rivière - La sainteté en pays d'Aude - Narbonne - Brille et Gautier 1949
cATHERINE 
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