Le grand secret de Nicolas Fouquet (2)




Mazarin par Mignard


Le cardinal Mazarin par Pierre Mignard
© Photo RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / Harry Bréjat




Quelle peut être la teneur de ce secret (voir ici) possédé par Fouquet susceptible de gêner Louis XIV et que pourtant il ne révéla jamais ?


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Anne d'Autriche

Anne d'Autriche par Rubens 

Ce 14 mai 1643, jour de l'Ascension, le sombre Louis XIII en profite pour prendre l'ascenseur ultime. Il laisse Anne d'Autriche (1602-1666), Régente du royaume de France et mère de deux enfants quasi miraculés du destin : Louis et Philippe .
Ne pouvant guère supporter que Jules Mazarin au sein du conseil de Régence, Anne d'Autriche le nomme son principal ministre. L'homme fin et rusé acquiert très vite une grande influence sur la Reine qui n'éprouve pour la gestion des affaires du royaume que peu d'intérêts. Mais le bel italien a bien des charmes et l'œil de velours. Et en cela, Richelieu ne s'était pas trompé, lui qui le lui avait présenté en lui assurant qu'elle allait l'aimer, car il ressemblait au duc de Buckingham !

Anne d'Autriche trop longtemps sous la coupe d'un homme veule, à la libido incertaine semble ne pas avoir résisté au sirupeux Giulio (Jules Mazarin). Si ce fait était autrefois contesté, il n'est plus d'historien sérieux aujourd'hui qui le remette en doute.

La correspondance chiffrée de la Reine et de son ministre témoigne de leur amour en des termes peu équivoques. Sous des noms de codes tels : Zabaot, Séraphin pour la Reine, ou 16, 26, H pour Mazarin, les amants s'affirment leur fidélité et passion amoureuse.
Ainsi, le 26 janvier 1653 :
"15 (la Reine) est un million de fois (suit un signe qui signifie : éprise) jusque au dernier soupir". Puis : "Adieu, je n'en puis plus, mon amour pour vous lui sait bien de quoi". 
Cette passion a fait supposer assez tôt à plusieurs auteurs la possible existence d'un mariage secret entre les deux régents.

Selon le droit canon, on appelait "mariage secret" ou "mariage de conscience" un mariage valide célébré par l'église et accompagné de toutes les formalités nécessaires.
La seule différence avec un mariage traditionnel est que ce mariage était et restait inconnu. 


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L'église le tolérait lorsque le mariage connu pouvait entraîner de graves inconvénients ou que l'inégalité entre le rang des deux époux pouvait être préjudiciable à l'organisation sociale.
Avec le roturier italien Mazarino et la petite-fille de Charles Quint, avec le cardinal (qui ne fut toutefois jamais prêtre) et la Reine de France, il semble bien que rien excepté, un mariage secret n'ait pu sceller leur union.
Une telle union devait pour ces raisons mais aussi par de possibles clauses successorales et financières rester inconnue de tous. Elle assurait aussi à l'ambitieux italien une assurance de stabilité au pouvoir et un élément de chantage le rendant, jusqu'à sa mort, inamovible. 




Vincent de Paul (1581-1660, aumônier et donc Directeur de conscience de la Reine (et par voie de conséquence du Royaume) était on ne peut mieux placé pour gérer cette très délicate situation.

Un de ses biographes (Ils sont très nombreux !) Louis Chaigne (1) dans un ouvrage qui reçut l'imprimatur en 1959 ne parle même plus de ce mariage au conditionnel et affirme que le bon Vincent fut l'artisan principal de cette discrète union.

Aussi, le subtil Mazarin comprendra vite que le landais est dangereux par son influence sur la Reine. Autour de la souveraine s'ancre la mystérieuse compagnie du Saint-Sacrement fondée en 1627 par Henri de Levis, duc de Ventadour et dont  J.J. Olier, le confesseur de la Reine est un proche. François Fouquet et sa famille en sont les plus précieux piliers.

Une lutte d'influence ne cessera de se dérouler entre les uns et les autres. En 1660, Mazarin tentera d'interdire la Compagnie mais Anne d'Autriche l'en empêchera. Ce n'est qu'à la mort de sa mère en 1666 que Louis XIV finira par dissoudre la trop dangereuse Société désormais sans appuis politiques.

En outre, Gérard de Sède dans un de ses livres (2) prétend, reprenant de nombreux pamphlets du XVII° siècle, que Louis XIV ne peut être le fils de Louis XIII, ce dernier étant peu porté aux choses de l'amour.  Cela, les historiens ont beaucoup plus de mal à le supposer. Anne d'Autriche ayant fait plusieurs fausses couches, Louis ne pouvait donc être impuissant. Cependant quelques 20 ans se sont écoulés et la position de la Reine, les tentatives de prises de pouvoir de Gaston d'Orléans ont donné obligation aux souverains d'avoir une descendance male. Le miracle se produit fort à propos et se reproduit même avec la naissance de Philippe. La succession est doublement assurée. (3)


Un émouvant portrait de St Vincent de Paul.





Certes, mais pour autant Nicolas Fouquet pouvait-il être au courant d'au moins ce fameux mariage secret ? Partageait-il avec le Roi et certains membres de la Compagnie cette information ? 
C'est très probable car le Surintendant maintient un réseau de gens à sa solde qui secrètement le tiennent informé de ce qui se dit ou se fait autour des grands du royaume.





Le Cardinal, le Roi, la Reine-mère à l'écoute de M. Vincent pendant un conseil de conscience




Ainsi, C'est Henri de Grave, maître de la garde-robe de Monsieur (le frère de Louis XIV) qui dans une lettre écrite à Nicolas Fouquet lui apprend que la Reine mère aurait fait la confidence suivante :

"Depuis peu le roi lui a dit que Monsieur le cardinal en mourant, lui a protesté, parlant contre Anne d'Autriche elle-même, qu'elle ne se passerait jamais d'homme, qu'il prit garde à elle, et qu'assurément elle ferait un mariage de conscience avec quelqu'un." (4)

Jules Mazarin devait être le mieux placé pour le savoir !

Connaître les termes de ce mariage, c'était aussi exercer une sorte de chantage potentiel et l'on sait que la Compagnie avait en son sein nombre de confesseurs qui par leur pouvoir sur les âmes savaient "capter" les dons et héritages. On comprend mieux alors la volonté farouche et de Mazarin et de Louis XIV de se débarrasser de la dangereuse assemblée.

Les  assertions de Gérard de Sède concernant une fouille méthodique des appartements d'Anne d'Autriche et son déplacement du Val-de-Gràce vers Le Louvre trois jours avant son décès ne sont que pures fantaisies. On peut en effet supposer que personne et pas même la Reine ne tenait à ce que (si secret il y avait) n'importe qui puisse mettre le nez dans ses affaires après son décès.
On comprend aussi que Fouquet possédant une telle information ait toujours eu la pudeur de la tenir pour lui, que ce même Fouquet ait bien eu du mal à critiquer ouvertement la gestion de Mazarin ou que Louis XIV ait attendu la mort de l'Italien pour enfin régner en monarque absolu.

Enfin, le propre mariage secret dans la nuit du 9 au 10 octobre 1683, bien établi celui-là, de Louis XIV avec
Françoise d’Aubigné, Marquise de Maintenon est un révélateur de la psychologie du monarque. Tout aussi bigote que le fut la reine mère, Mme de Maintenon s'arrangea malgré tout avec sa conscience religieuse et, avec l'appui de l'Église, fut Reine de France sans que le bon peuple n'en soit informé. 
Louis XIV devait ainsi très probablement reproduire ce que sa mère fit avec le bel italien qui lui légua en mourrant une colossale fortune de près de 35 millions de livres, dont 8 millions (5) en espèces à lui, le roi, et à aucun autre membre de sa famille. 
Cette fortune en fit en son temps l'homme le plus riche d'Europe au détriment certes d'un peuple de France exsangue et miséreux.

Louis XIV à la mort de Mazarin, le 9 mars 1661, par héritage de celui qui fut peut-être par accord secret son beau-père et était déjà officiellement son parrain, se trouva à la tête d'une incroyable fortune qui se cumulait aux multiples oeuvres d'art et biens luxueux de Nicolas Fouquet. 
Colbert parfaitement informé de tout cela car il avait tenté de gérer cette fortune de Mazarin (que Fouquet avait amplement contribué à reformer) savait que désormais Versailles pouvait être lancé.

Christian Attard

* note du chambellan


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Notes et sources :

(1) - Louis Chaigne - Vincent de Paul - Éditions Manne 1959
(2) - Gérard de Sède - La race fabuleuse - extra-terrestres et mythologie mérovingienne - Éditions J'ai Lu - L'aventure mystérieuse.
(3) - La filiation légitime de Louis XIV ne fait plus aujord'hui aucun doute voir ici : http://centre.france3.fr/2013/01/02/la-tete-d-henri-iv-encore-parle-son-adn-coincide-avec-celui-de-louis-xvi-173349.html
(4) - cité par Philippe Delorme dans son "Anne d'Autriche" - Éditions  Pygmalion 1999
(5) -
Pierre Goubert - Professeur à la Sorbonne - Mazarin - Le livre de poche 1993 p.393. Pierre Goubert pense que plusieurs cassettes d'or passèrent par Colbert des coffres de Mazarin au Roi. Il cite Rebelliau et la somme invraisemblable de 40 millions ! les ramenant à 4 ce qui est déjà considérable.




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