Le daemon du midi

Les portes de l'Hadès - David Rykaert III
Une bergère, un trésor, un gardien et presque du Téniers !

"..j'achève ce daemon de gardien à midi..." Nous annonce la très célèbre phrase issue du décryptage du grand parchemin et de l'anagramme de la stèle. Mais à quel daemon et à quel gardien peut-il bien être fait allusion ?

Plus qu’un mot anglais, on peut voir dans le terme 'daemon" une référence au latin Daemon qui signifie : génie, esprit. Et encore au delà du latin, au grec et à Homère, Hésiode, Platon-Socrate ou Orphée.

Après quelques " fouilles " dans ma bibliothèque, j’ai fini par retrouver le passage suivant tiré du " Banquet " :

A la question qui lui est posée du rôle du daemon, Platon répond :

- Il tient le milieu entre les dieux et les mortels, interprète et porte aux dieux ce qui vient des hommes et aux hommes ce qui vient des dieux…Placé entre les uns et les autres, il remplit l’intervalle de manière à lier ensemble les parties d’un grand tout.

Ce messager n'est pas loin du sens étymologique du mot ange-angelus(lat)-angelos (grec)

Cependant le daemon est bien rarement bénéfique aux hommes. Si l'on trouve dans l'Illiade, une réflexion d'Ulysse remerciant un daemon d'avoir bien voulu calmer les éléments déchaînés, la plupart du temps dans l'antiquité grecque, le daemon est considéré comme funeste et malfaisant.
Si un homme ne sera jamais de son vivant un daemon, une fois mort, les dieux pourront lui assigner une tâche particulière en fonction de son rang et il pourra rejoindre  la confrérie des gardiens de lieux divers : sépulcres, souterrains et cavernes. Et là, cela commence à nous intéresser !
D'autant plus qu'au fil des temps, les éléments naturels furent assimilés à des daemons : une source, une rivière, un siphon aux effets de marée ! pourraient-être sous contrôle d'un daemon gardien.

Daemons bienfaisants des enfers enlevant une jeune femme morte, sous le regard d'Hermès
Source Dalemberg et Saglio

Daemon malfaisant du tombeau de Tarquinii.
Source Dalemberg et Saglio

Représenté ailé, le daemon grec se couvrira de nuées pour observer ou influer sur le destin des hommes. Cette représentation ailée de nos anges ne sera, elle, que plus tardive et très certainement inspirée par l'art grec.

Le démon de midi

A l’appui de cette vision grecque de notre Daemon, se rajoute peut-être le fait que midi était pour les grecs (et aussi pour les celtes) l’heure par excellence de l’apparition des démons, l’heure des morts. On vouait des cultes à l’Hadès à midi.

Plus tard, même l’Église a repris cette notion de démon du midi, mais elle, plutôt par glissement de sens, à partir du Psaume 91, qui évoquait la pestilence atteignant ses paroxysmes à midi. 
Le démon de midi prit ainsi bien souvent des figures terrifiantes.

Détail de l'Allégorie sacrée de Giovanni Bellini vers 1500

Et, même notre bon St Antoine fut particulièrement tenté à l’heure " méridienne " par l’hippocentaure alors qu'il rendait visite à St Paul.
(L'occasion de se souvenir aussi que le terme méridienne-meriene-meridiane en ancien français est précisément ce  "moment de midi").

St Antoine et St Paul - de David Téniers,
dans l'attente d'une pizza corbeau-livrée pour leur ascétique repas de midi.

Au Moyen-age, l'heure de midi continue donc à garder sa réputation néfaste, propice aux démons.
Et très étrangement, c'est Walter Mapes (celui du phylactère de ND de Marceille) qui nous relate l’aventure du moine Gerber (1) et de sa rencontre avec une nymphe nommée " Meridiana " !. Nymphe qui lui demandera en échange de ses largesses la plus parfaite fidélité puis, le renoncement à la communion après que le pauvre Gerber ait failli à sa promesse.

Ainsi donc,  il est fort possible qu'en jouant sur les mots et les sens étymologiques, l'auteur de cette sentence ait voulu nous indiquer à la fois un élément naturel possiblement dangereux placé sur la ligne méridienne mais aussi plus "contrôlable" vers l'heure de midi. 
Allez savoir !