Les secrets de Saint-Bertrand de Comminges : Têtes de Chapîtres - 3 -




Nous avons pu analyser cette première jouée de l’église sainte Marie de Saint-Bertrand-de-Comminges et comprendre en quoi elle pouvait être particulièrement signifiante pour Jean de Mauléon. Mais il nous reste encore à tenter de comprendre l’étrange équipage qui la surmonte.
Cette superbe sculpture laisse toujours bien des commentateurs sur leurs interrogations et ils ne cessent depuis longtemps déjà d’utiliser le conditionnel lorsqu’ils l’évoquent.
Que peuvent faire, ainsi placés en évidence, cet homme chevauchant une sirène tout en lui tournant le dos ? Quelle signification chrétienne lui donner ? A quel texte cette étrange scène fait-elle référence ?
L’explication classique en appelle à l’allégorie de la luxure, représentée ici par notre sirène que l’homme maîtrise tout en lui tournant le dos. Ou bien, selon d’autres qu’il ne maîtrise pas et qui l’emporte.
C’est aller un peu vite en besogne et surtout négliger avec beaucoup de mauvaise foi quelques détails intrigants de notre scène.





Couple alchimique 1




Couronnement de la première jouée
(Photo Ch. Attard)




Intéressons-nous tout d’abord à cette fascinante femme-serpent aux bras feuillus. La mythologie grecque nous a laissé le nom d’une déesse aux semblables caractéristiques. C’est Echidna (ἔχιδνα / ékhidna signifie « vipère »), mère de monstres effrayants, Cerbère (le chien aux multiples têtes, gardien des Enfers), l’Hydre de Lerne (serpent aux multiples têtes aussi), Chimère (A la fois lion, chèvre et serpent) ou encore le lion de Némée. Tous ou presque combattus par Hercule. Hercule dont elle aurait eu par chantage trois enfants :  Agathyrsos, Gélonos et Scythès.
Est-ce à cette union entre Echidna et Hercule que nous assistons ici ?
Ou bien à celle de la déesse avec le dieu Typhon, titan des tempêtes et du vent  avec qui elle est réputée avoir engendré les monstres précités ?


Echidna fut aussi symbole de fertilité. Elle veillait sur les sources, dirigeait la fécondité des pluies. On la retrouve gigantesque dans le jardin de Bomarzo en Italie conçu par Vicino Orsini aux XVIe siècle, accompagnée de cette mention : Notte et Giorno noi siam vigili et pronte Aguardar dogni inguiria questa fonte - « Nuit et jour nous sommes vigilants, prêts à protéger cette source. »







Jardin de Bomarzo


Echidna dans les jardins de Bomarzo (Italie)
(source libre Wikipédia)




« La déesse est coiffée d'un mézail en diadème terminé sur les tempes, par deux rondelles. Ses membres supérieurs et son buste sont recouverts de feuilles d'acanthes. Un homme nu lui tournant le dos chevauche cet hybride ; il porte deux feuillages à la naissance des omoplates et une couronne laurée sur ses cheveux bouclés.
L'interprétation habituelle d'une allégorie de la luxure entrainant l'homme à sa perle n'est pas convaincante à Saint-Bertrand, car le personnage masculin semble maîtriser la figure symbolique de la fécondité végétale dont il est issu et que lui-même enrichit. Une coupe remplie de fruits est posée à ses genoux. Né de la nature, l'homme regarde vers l'avenir et entend bien demeurer maitre de sa destinée. »
(1)

C’est ainsi qu’est, le plus habituellement, interprétée cette figuration pour le moins insolite, non pas parmi les stalles car on peut  retrouver Echidna aux côtés de représentations encore plus étranges, mais face au siège épiscopal, rappelons-le.






Couple alchimique



L'homme vainqueur de ses pulsions primitives, mérite la couronne laurée.
(Photo Christian Attard)



Entre luxure et fertilité, peut-on imaginer l’évêque Jean de Mauléon (1523-1551) méditer sur ces thématiques alors qu’il préside les offices au sein de la cathédrale ?
Et en quoi la maîtrise des sens pourrait-elle conduire à la corne d’abondance ? En quoi celle de la nature entraînerait-elle la même récompense ?
On sent bien ici les limites interprétatives classiques.

Seule l’alchimiste assure que le mariage du masculin et du féminin, du fixe et du volatil peut le conduire à cette coupe d’abondance, à son Graal.

La femme serpent ne quittera pas le sol mais elle veille aux eaux sacrées. Son partenaire, lui, est maître des vents.
Exagération romantique que tout cela ?

Ce n’était pas l’opinion de l’alchimiste Michael Maier (1568 ou 1569 - 1622) médecin et alchimiste allemand, conseiller de l'empereur Rodolphe II de Habsbourg qui écrivit dans son Arcana arcanissima en 1614 :

« Typhon sulphureum et ardentem spiritum, echidna aquosam et frigidam volubilem substantiam denotat »

Ce qui pourrait se traduire par : Typhon, est un esprit sulfureux et brûlant, échidna, une substance aqueuse et laminante à froid"

Christian Attard




Ma coupe d'abondance






Notes et sources :

(1) - Saint-Bertrand de Comminges, le chœur Renaissance. Saint-Just de Valcabrère, l'église romane de Sylvie Augé, Nelly Pousthomis, Henri Pradalier, Michèle Pradalier-Schlumberger, avec la participation de Pierre Lacroix pour la partie instrumentale de l'orgue. , Éd. Odyssée, Graulhet, 2000.




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