Le creuset maltais - 2




Auberge de Castille




Nous avions évoqué l'île de Malte et son importance dans la création et la diffusion de la Franc-maçonnerie moderne, retourner vers elle pourrait aussi nous permettre de comprendre le renouveau de l'Alchimie au XVIIIème siècle. Mais il conviendrait de ne pas oublier que plusieurs membres de la famille d'Hautpoul furent chevaliers de Malte au XVIIIème siècle et qu'ils furent étroitement liés au Marconis de Nègre et aux Chefdebien.




Fonseca

Deux tableaux représentant Manuel Pinto da Fonseca - A gauche peint par Pierre Bernard - Doc. wikiédia
Dans les deux, on ne retrouve que les couleurs du grand Œuvre : le noir, le blanc, le rouge et... l'or.



Nous avons relaté dans la première partie de cette étude consacrée à Malte, toute l'importance d' Emmanuel de Rohan-Polduc, grand maître de l'ordre en 1775 et franc-maçon.

Lorsqu' un de ses prédécesseurs, Manoel Pinto da Fonseca (24 mai 1681 à Lamego, Portugal - 23 janvier 1773 à La Vallette, Malte), ) devint le 68e grand maître de l'ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en 1741, plus de 176 années se sont écoulées depuis le Grand siège de l'île par les armées ottomanes.

Pinto da Fonseca est issu d'une famille de la haute noblesse portugaise et son long règne à la tête de l'ordre le plus puissant de la chrétienté sera marqué par sa volonté de magnificence.
Il acheva ainsi l'auberge de Castille dont on peut admirer la somptueuse façade en ouverture de cet article. Les armoiries et le buste de da Fonseca y figurent au-dessus de  la porte principale.


Mais, ce que les historiens évoquent beaucoup moins, est l'étrange comportement de ce grand maître qui fut l'ami le plus intime d'un non moins étrange personnage : Joseph Balsamo, plus connu sous le nom d'Alexandre de Cagliostro.




Joseph Balsamo





En 1765, Manuel Pinto da Fonseca reçut Alessandro Balsamo à Malte dans son palais et subvint à tous ses besoins, lui allouant de très fortes sommes pour poursuivre ses recherches alchimiques et cabalistiques. Or, en tant que Grand maître d'un ordre chrétien, il savait qu'il s'exposait ainsi à toutes les critiques de Rome. D'aucuns prétendront que l'on peut être très hautement placé par son destin et n'en être pas moins crédule. Ce serait faire offense à l'intelligence de Pinto da Fonseca qui n'eut pas la moindre faiblesse ni dans sa gestion de l'Ordre, ni dans les crises difficiles qu'il traversa. L'Empire ottoman ne manqua pas d'ourdir de sombres complots pour tenter de le renverser, les jésuites luttèrent longuement pour se maintenir sur l'île mais da Fonseca, sorti victorieux de tous ces tourments, ne manqua pas de toujours enrichir en gloire et en or son Ordre.

« Je deviens celui que je désire. « Participant consciemment à l’Être absolu, je règle mon action selon le milieu qui m’entoure. Mon nom est celui de ma fonction et je le choisis, ainsi que ma fonction, parce que je suis libre. »

Ainsi s'exprimait Cagliostro devant le Parlement français en 1786 et ainsi vécut-il. Volontiers insolent et provocateur mais toujours stupéfiant, fascinant d'où que proviennent les témoignages que l'on tient sur lui et l'on en conserve beaucoup. On ne peut plus douter aujourd'hui de la manipulation éhontée perpétrée par l'église catholique à l'égard de cet homme qui toute sa vie pratiqua la charité mais ce défia de la religion installée et de ses servants.

Mystérieux en diable sur ses origines, Cagliostro prétendait être né à Médine ou à Malte. Mais, on ne sait plus rien de lui avec certitude. Les historiens s'accordent à le voir naître à Palerme le 2 juin 1743, Il est le fils de Pietro Balsamo et Felicita Bracconieri. 



Legs au roi

Legs d'une croix en or massif et d'une agate faits au roi Louis XIV par le Joseph Balsamo de Toulouse.
(Photo Christian Attard - Archives municipales de Toulouse)



Étrangement, j'ai évoqué un autre Balsamo ayant vécu à Toulouse et ayant de nombreux traits de similarité avec Cagliostro. Alchimiste et thaumaturge, il gagna l'estime de ses contemporains. Mais par quelle surprenante coïncidence les deux hommes eurent-ils la même origine, la même vie itinérante, les mêmes occupations ?

On sait aujourd'hui que la modeste famille de notre second et célèbre Balsamo était apparentée à Giovano Balsamo, Grand Prieur de Malte. Sa mère, née Félice Bracconieri, était liée par son frère à des Cagliostro, originaire de Messine. Giuseppe Cagliostro, administra les biens du Prince Villafranca.
Joseph Balsamo lorsqu'il hérita de cet oncle ajouta ce titre de Cagliostro à son nom.

En 1756, il entre au séminaire du couvent des Fatebenefratelli à Caltagirone, où il devient frère de la Miséricorde. Il se forme à la pratique de la médecine et des soins. Dix ans plus tard, nous le retrouvons à Malte en compagnie Manuel Pinto da Fonseca. Étrange et rapide ascension pour un homme que l’Église s'est évertuée à faire passer pour un charlatan.





Di Sangro

L'extraordinaire machine anatomique de Raimondo di Sangro.


Da Fonseca fut aussi un franc-maçon de très haute obédience et à ce titre initia au 33° degré (1) Raimondo di Sangro, prince de Sansevero (1710-1771).
Ce dernier tenait du génie d'un Da Vinci car il fut tout comme lui, anatomiste, inventeur, académicien mais surtout, un très grand alchimiste. Il travaillait sur une lampe perpétuelle et fabriquait des gemmes et autres pierres semi-précieuses. Son palais protège toujours de très nombreuses œuvres d'art et ses fameuses machines anatomiques.
Di Sangro, pouvait se qualifier d'être 1er Souverain Grand Hiérophante et Grand Maître du Rite Égyptien Traditionnel (2) qu'il fonda à Naples en 1747, Grand maître de la franc-maçonnerie napolitaine (3), Vénérable maître de la loge l'Union parfaite.

Nous avions déjà évoqué le rôle de plaque tournante de Malte et de Naples en matière d'alchimie et de Franc-Maçonnerie, il se confirme donc et les Marconis de Nègre ou les Chefdebien savaient ce qu'ils devaient à ces deux hauts lieux initiatiques.

Voici la liste des Chefdebien, chevaliers de l'Ordre :

Chefdebien (François-Guillaume-Gabriel de) fait chevalier le 29 décembre 1787
Chefdebien (Paul-Serge-Anne de) le 28 juillet 1788
Chefdebien (Louis-François-Gabriel de) le 21 janvier 1788
Chefdebien d'Armissan (Marie-Joseph-Louis de) le 18 octobre 1776
Chefdebien
d'Armissan ( François-Guillaume de) le 24 décembre 1787
Chefdebien
d'Armissan (François-Marie de) le 21 janvier 1788, notre "Eques a capite Galeato" et ses "philadelphes" férus d'alchimie.

Quant aux Hautpoul, voici la liste des membres de cette famille (4) faits chevaliers de l'Ordre en pleine période maçonnique :

- Hautpoul (Jean-Henri d'), fait chevalier le 9 septembre 1733
- Hautpoul (Joseph-Paul-Marie-Louis), le 14 juin 1772
- Hautpoul (Jean-Marie-Grégoire-Prosper de), le 14 juin 1772
- Hautpoul (Charles-Marie-Benjamin d') le 3 mai 1777
- Hautpoul (Marie-François d') le 18 mai 1777
- Hautpoul (Alexandre-Jean de) le 9 février 1779
- Hautpoul de Felines (Henri-Anne d') le 26 avril 1747
- Hautpoul de la Terrasse (François-Pierre) en 1760



Notes et sources :

Pour la rédaction de cette page en général :

Pierre MOLLIER - Malte, les chevaliers et la Franc-maçonnerie  - Cahiers de la Méditerranée- vol. 72–2006, La Franc-Maçonnerie en Méditerranée (XVIIIe - XXe siècle) Lumières, sociabilité et espace public : le XVIIIe siècle.

Pierre Chevallier dans : Histoire de la Franc-maçonnerie française, Fayard, Paris, 1974

Michel Taillefer, La Franc-maçonnerie Toulousaine : 1741-1799, Commission d’Histoire de la Révolution Française/ENSB-CTHS, Paris, 1984.

(1) - The After life of a roman town - From Pompéi, Ingrid D. Rowland, p. 115. Harvard University Press, 2014.
(2) - Voir ici :  http://www.treccani.it/enciclopedia/massoneria/
(3) - Giordano Gamberini, Mille visages de francs-maçons, Rome, Ed. Erasmo, 1975, p. 27
(4) - L'ordre de Malte, ses grands maîtres et ses chevaliers, M. de Saint Allais, Paris 1839.





Retour vers la Reine