Les
destins de Célestin
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Saint
Célestin par Giulio Cesare Bedeschini
(Musée de l'Aquila - Abruzzes) |
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"Béranger
s'attarda aussi au musée du Louvre ; après s'être documenté sur
leurs auteurs, il acheta les reproductions de trois tableaux qu'il
accrochera dès son retour aux murs de son modeste logis : les bergers
d'Arcadie de Poussin, le Saint Antoine Ermite de David Téniers et un portrait
de Saint Célestin V. Assortiment assez étrange."
(1)
Gérard de Sède : "L'or de Rennes"
C'est ainsi qu'arrivèrent dans notre histoire ces trois fameux tableaux.
Notons au passage que notre "pauvre curé", au "modeste
logis" a quand même de
quoi s'acheter trois reproductions qui devaient être à cette époque
assez coûteuses si ce n'est rares (en tout cas pour un Téniers !).
Puis,
il nous faut bien constater que ce brave Célestin posé dans notre
énigme par Gérard de Sède auprès d'un Poussin et d'un Téniers,
introduits eux par le décryptage du "Grand Parchemin", fait
office d'intrus !
Aucun élément dans les codages et décryptages variés ne
l'ayant jamais ne serait-ce que laissé transparaître.
Alors, chacun y a été comme d'habitude de son explication : lien entre Téniers et
Poussin pour conduire à la caverne aux trésors, repère historique par
la date de son entrée en fonction papale (1294, année de l'arrivée de
notre trésor ??), lien de cette même
date avec les éléments peints par Téniers sur un de ses tableaux... |
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le
couronnement du pape Célestin V le 5 juillet 1294 -
(Anonyme - Musée du Louvre)
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Le
seul Célestin que possède depuis 1843, le musée du Louvre n'est pas
un portrait mais une scène peinte sur bois sur laquelle est représenté le couronnement
du Saint Ermite sous le regard songeur d'un roi : François 1er et triste
d'un empereur : Charles
Quint.
Le tableau fut commandé par Pierre Julian, prieur des célestins de Marcoussis
au
milieu du XVIème siècle et porte les armes de Jean de Montaigu (D'argent à la
croix d'azur cantonnée de quatre aiglettes de gueules que l'on voit en
bas du tableau aux angles gauche et droit). Les feuilles de courge
entrelacées sur les côtés du blason viennent confirmer cette
attribution puisque Montaigu en avait aussi fait son emblème.
Jean de Montaigu fut
surintendant des finances puis Grand maître de France de Charles VI.
C'est Jean de Montaigu qui finança la construction du couvent des
Célestins de Marcoussis.
Tout cela est bien beau, mais à l'époque de la visite de Bérenger
Saunière, le musée du Louvre qui exposait ce tableau dans la Salle des
Clouet sous le n° 1007B ignorait totalement que le pape en question
était notre bon Célestin !!
Le rapprochement ne fut effectué qu' en
1923 !! (2)
C'est en effet M. Barberini, correspondant parisien de la Société Nationale des antiquaires de France qui en l'examinant reconnaît le
blason de Jean de Montaigu.
Ce tableau du Louvre n'est donc, et contrairement à ce qui a été dit
par de nombreux chercheurs, d'aucun intérêt pour l'éclaircissement de
notre énigme, en tout cas à un premier degré : celui de la
localisation d'un trésor ! Par contraire, le personnage de Célestin
qu'il nous révèle et riche en enseignement. |
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Car,
si ce Célestin est ainsi entouré d'un roi et d'un empereur, indépendants de
Rome et de ses intrigues, ce n'est pas sans raison.
A la mort du Pape Nicolas IV, ce sont deux grandes familles, les
Orsini (Guelfes) et les Colonna (Gibelins) qui se déchirent pour sa succession.
Le Sacré collège hésite durant 27 mois et finit par trouver en un
ermite de Saint Damien, étranger à toute obédience, son futur pape. Ainsi fut couronné
Célestin V !
Le seul fait
notable qu'il faut retenir de sa vie (et qui soit en rapport avec cette
obsession monarchique mise en avant par les sieurs Plantard et Cherisey)
est Célestin, incapable de gouverner la nef de Pierre, renonça au pouvoir papal.
C'est Philippe le Bel qui en 1300 fit venir en France des Ermites de
Saint Damien puis Jacques Marcel qui les installa à Paris dans un ancien
couvent des Carmes (3). Un tel attachement aux ermites de Saint Damien qui
vécurent autour de Pierre d'Isern sur le mont Morhon avant qu'il ne
devint par calcul politique Célestin V en 1294 ne se justifie pas pour
Philippe le Bel par une vague de piété reconnaissante.
Si le mouvement du Saint
Ermite est ainsi "importé" en France c'est parce que son opposition fut
très vite perçue comme celle d'un homme renonçant aux volontés de
pouvoir monarchique de Rome. Et cela correspondait parfaitement aux vues
de Philippe le Bel qui refusait l'emprise du Pape Boniface VIII, celui
là même qui fit incarcérer, peut-être même assassina Célestin une fois son abdication signée.
En France, on se serait fort bien accommodé d'un pape comme
Célestin.
Charles V entoura les Célestins de sa bienveillance et leur couvent
devint l'un des plus riches de Paris.
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OOn
vient chercher Célestin pour le faire pape !!
(Église de Thiais)
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Guillaume de Melun, archevêque de Sens aux idées fortement gallicanes dota
avantageusement le couvent des célestins qui devint un symbole de ralliement
et
un lieu de culte monarchique.
Louis duc d'Orléans y fit nombre de
séjours et voulut même être enterré en habit de Célestin et Jean de
Montaigu à qui est dédié ce tableau, grand argentier, Grand maître
de France, on l'a vu, leur donna une forte somme pour la construction du
couvent de Marcoussis.
Cette réputation de symbole d'une église française autonome et
respectueuse de la monarchie en place trouva une filiation dans le
mouvement sulpicien d'Olier. A ce titre, les familles de convictions
royalistes qui souhaitaient qu'un de leur fils exprime sa vocation
religieuse, confiaient préférentiellement leur progéniture entre les
mains des sulpiciens et, ou, des lazaristes. En France, cette
tendance fut majoritaire car fort peu de ces familles étaient
ultramontaines.
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Il n'est donc pas spécialement étonnant que ce pauvre Célestin se soit retrouvé mêlé
à une histoire où précisément monarchie et gallicanisme ne
reviennent que trop fréquemment, ne serait-ce que par la personnalité
et les convictions de Bérenger Saunière.
Il n'est donc pas impossible
que trouvant à Rennes-le-château les vecteurs idéaux de ses théories
fantaisistes, notre cher Plantard y ait traîné avec lui un Célestin
qu'il avait déjà essayé de fourguer par ailleurs.
Pape-ermite,
pape angélique, Célestin V avait tout pour séduire les milieux
légitimistes dans lesquels évoluait Saunière. Ces milieux croyaient
fermement au futur avènement d'un roi providentiel capable de
restaurer la puissance française et de renouer avec les antiques
valeurs chevaleresque. A ses côtés, un pape-ermite indépendant et
respectueux assurerait la bienveillance de Dieu sur la France en dehors
de tout mélange politiquo-religieux.
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Le
pape Célestin par Bartoloméo Romano |
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On
comprend que pour l'illuminé royaliste Pierre Plantard, Rennes-le-Château et son ancien curé aient été "pain béni", il
trouvait là un terreau où pousseraient vivement ses affabulations,
soutenues depuis quelques temps par un Philippe de Cherisey goguenard et
un de Sède intéressé.
Célestin V ne pouvait qu'apparaître dans cette histoire, un paradoxe
pour cet ermite qui n'avait songé lui qu'à se retirer du monde.
Christian Attard
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Notes
et sources
(1) - Gérard de Sède : "L'or de Rennes" chez Julliard page
28 de l'édition de 1967
(3) - Voir le Bulletin de la Société Nationale des antiquaires de
l'année 1923 qui ne laisse aucun doute à ce sujet !
(3) - "Le Diocèse de Paris"
Bernard
Plongeron, Luce Pietri... Éditions Beauchesne |
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