Saunière chez lui



Cuisine reconstituée - Musée Saunière de Rennes-le-Château
 (Doc. Coll. Christian Attard)







"Les vignes du Seigneur"




Il n'est de secret pour personne dans une histoire qui en porte beaucoup, que Bérenger Saunière fut un bon vivant. Solide gaillard, ses aspirations spirituelles se vivifiaient de nourritures bien terrestres, elles mêmes arrosées des plus belles productions des vignes du seigneur. Mais, fidèle à des penchants bien naturels qui firent de lui un prêtre actif, il eut pu aussi être un excellent représentant de commerce.

Son intérêt pour les bons vins et spiritueux est souligné par Josette Barthe dans l'ouvrage qu'elle consacra à la table de l'abbé Saunière (1). "Il se montra un hôte bienveillant et magnifique, ne craignant jamais d'offrir à ses convives étonnés les mets les plus fins, les vins les plus capiteux, sans marquer aucune différence quant à l'origine ou la qualité de ceux qu'il traitait.".  Madame Barthe connut bien Marie Dénarnaud et sait donc de quoi elle parle.





vins Oliver

Réclame pour les vins Oliver. La concurrence semblait déjà être impitoyable.
(Avec l'aimable autorisation de M. Albert Callis - http://albert.callis.over-blog.com)





A tout seigneur, tout honneur commençons pas le vin liturgique, plus communément nommé "Vin de messe". 

Ce vin qui matérialise le sang du Christ est paradoxalement blanc (2) et doit être issu de raisins fermentés sans sucre ou autres additifs. C'était encore tout à fait possible à l'époque de l'abbé Saunière. Le vin ne se partageant pas durant la célébration de l'Eucharistie, les prêtres n'ont aucune raison de choisir une basse piquette, ce qui ne fut jamais le genre de Saunière par ailleurs. Bérenger Saunière commandait donc ce vin spécial à Banyuls aux établissements Oliver.

La maison avait été fondée en 1871 par le curé de Banyuls-sur-mer qui avait, semble-t-il, trouvé cet avantageux moyen de boucler ses mois. Cet abbé Rous avait eu l'idée de s'adresser à ses confrères et aux consommateurs aisés pour créer son "Oeuvre du vin de messe".
Preuve renouvelée que les prêtres de cette époque savaient se faire affairistes et profiter, comme le firent les frères Saunière de leurs ouailles les plus riches.
L'abbé Rous confia en 1889 les destinées de sa noble entreprise à M. Paul Oliver. Et à la mort de ce dernier, sa veuve reprit le flambeau nommant l'entreprise : Les établissements Veuve P. Oliver.
Bérenger Saunière y commandait ses vins de messe, mais aussi divers vins vieux de Banyuls, des Muscats, Malaga, Malvoisie, Rancio et vins de l'Agly. Comme avec tous ses autres fournisseurs, Saunière réglait à tempérament, jouant facilement sur des traites à 60 jours qu'il faisait souvent reculer à échéance.
Il n'hésitait pas non plus à quémander des échantillons et des réductions.



Cuves Banyuls

Caves des vins Oliver.
 (Doc. Coll. Christian Attard)




Ces vins se buvaient eu déssert ou au gouter et il devait être sympathique de les faire connaître aux visiteurs n'étant pas de la région.

Pour le tout venant, le prêtre n'avait que l'embarras du choix tant les petits producteurs locaux abondaient. A commencer par les productions des propriétés que gérait Joseph, son père ou celle de ses amis. Il demande aussi du vin blanc à Justin Sarda de Douzens apparenté au curé de Rennes-Les-Bains ou à ses collègues de Coursan.

L'achat des statues et bas reliefs ornant son église va d'ailleurs être l'objet d'un échange pittoresque avec son fournisseur principal les établissements toulousains Giscard, souvent évoqués ici. Saunière ayant fait parvenir par son père quelques échantillons de son vin à Giscard à Toulouse, le breuvage fut apprécié. Les Giscard vont donc commander aux Saunière en juin 1897 alors que le gros du travail de décoration de l'église est en passe d'être achevé.

"Monsieur votre Père nous a envoyé l’échantillon de son vin. L’ayant trouvé excellent et parfaitement à notre goût nous serions heureux d’en posséder. Accepteriez-vous la proposition suivante : Etant quelque peu gêné, ne vous serait-il pas possible de me faire livrer une quantité de vin représentant la valeur de 250 Frs que vous m’avez fait en paiement d’une partie de la somme que vous me devez. Je vous retournerais cette valeur acquittée et vous me feriez livrer en échange le vin ? J’espère que vous adhérerez à ma demande. Sur les deux échantillons envoyés nous donnons notre préférence au foudre .N. ainsi désigné. Monsieur votre Père sera au courant." (3)


Ainsi fut fait. Bérenger Saunière déclara comme soldée auprès de son père la somme des 250 frs, tout en lui demandant de chercher à nouveau du vin. Lui rétribua-t-il réellement tout ou partie de la somme ? Cela restera de petits arrangements en famille.

Deux ans plus tard, en juin 1899, lorsque Giscard redemandera du vin, Saunière lui répondra qu'il n'y en a plus !
Le vin constituera donc pour Bérenger Saunière un produit d'échange et d'allégement de ses  factures.





banyuls
Mise en bouteille des vins Oliver au temps de Saunière
 (Doc. Coll. Christian Attard)




Il traite aussi son rhum et son café avec un ex-négociant en vins de Toulon, André Bourges déclaré faillitaire par jugement du 23 février 1887. Il lui écrit dix ans après, en février 1897 pour lui demander du Rhum. Comment l'a-t-il connu reste un mystère. Il arrive à négocier ce qui doit être un Rhum de qualité à 2frs,20/litre, le prix habituel état de 2frs.
En 1897, il va jusqu'à réaliser trois commandes et par fût de 60 litres ce qui fait quand même beaucoup pour sa seule consommation personnelle ! Et on le voit négocier ce même rhum avec ses collègues, le curé Martinnot de Ginoles ou le vicaire de Quillan.
Là encore, on peut sans gros risques supposer qu'il en revend une partie à des relations discrètes, effectuant un petit bénéfice au passage.




Mais la liste des fournisseurs en alcool de l'abbé ne s'arrête pas là !
Aux établissements d' Etienne
Armbruster de Castelnaudary, il va acheter alcools et spiritueux, il en fera de même au magasin de Michel Sabatier à Carcassonne où il achétera Micheline, Or'kinna, triple sec et autres étrangetés alcoolisées et bien sûr de la Blanquette. Les quantités sont toujours importantes. deux caissettes de liqueur représentant au moins 16 bouteilles, par exemple. Comme à son usage, il en fait profiter des amis comme les Auriol de Castres à qui il semble revendre ses trouvailles. Comment expliquer sinon des factures relativement élevées : 33frs dus à Sabatier alors que le salaire mensuel de Saunière tourne autour des 70 frs/ mois ?




Micheline

La Micheline de l'antique cité de Carcassonne par Laurens, Jean-Paul, 1838-1921
Bibliothèque municipale de Lyon (AffG0057)  © Creative Commons




On ne saurait être exhaustif lorsque l'on évoque Bérenger Saunière et l'alcool. Mais l'analyse de sa correspondance permet de comprendre à quel point le vin et les alcools de toutes sortes prenaient une place importante de ses échanges aussi divers que variés. Il est plus que probable que ce fut aussi une façon d'améliorer encore ses finances en achetant au plus juste et en revendant avec une petite marge ses produits. En dehors de cela ce fut sûrement à cette époque un facteur de convivialité en faveur du prêtre, aussi bien auprès de ses invités que des ouvriers qui travaillèrent à ses ouvrages.

Pour clin d'oeil final, il est amusant de retrouver sur l'affiche publicitaire de liqueurs que Bérenger Saunière commanda à Clermont-Ferrand à la maison Roure et Barthomeuf, diable et ermite !

Christian Attard




Barthomeuf
Le Goudron F. Roure, apéritif par Marchisio
Bibliothèque municipale de Lyon





 

Notes

1- Josette Barthe : "A la table de l'abbé Saunière" Editions l'oeil du Sphynx. 2011
2- La raison traditionnellement donnée est que le vin blanc ne tâche pas le linge de messe.
3- Voir sur les rapports Saunière-Giscard l'excellente étude de MM Lucain et Pous ici : http://www.portail-rennes-le-chateau.com/lucain/giscard.pdf




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