Autour d'une Station XIV 








La station XIV du Chemin de croix de l'église de Rennes-les-Bains







Très étrangement les chercheurs qui se penchent sur ces mystères des deux Rennes semblent très régulièrement faire l'impasse sur certains éléments qu'à vrai dire ils n'ont pas révélés ou relevés. Il en est ainsi du chemin de croix de l'église de Rennes-les-Bains qui n'a pas la réputation d'apporter quoi que ce soit à l'éclaircissement du mystère. On passe donc, dans la petite église d'une grande simplicité, devant ces stations pour aller scruter deux tableaux plus célèbres et sensés renfermer par leur supposé rapprochement les abords de la grotte au trésor. 
Et pourtant, à bien la regarder, cette station XIV du chemin de croix de l'église de Rennes-les-Bains présente de nombreuses particularités.
Pour mieux le réaliser, il convient peut-être de la disposer en comparaison avec celles que l'on peut admirer dans sa région et de se replonger dans les textes concernant cette mise au tombeau.








La station XIV de Rennes-le-Château

La station XIV d'une église de l'Aude






Saint Matthieu (1) est le plus succinct des évangélistes à propos de cette mise au tombeau :
"Le soir étant venu, un homme riche, d'Arimathée, nommé Joseph, qui lui-même était disciple de Jésus, alla trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus; alors Pilate ordonna qu'on le lui remit. Joseph prit le corps, l'enveloppa dans un linceul blanc, et il le déposa dans un sépulcre neuf qu'il avait fait tailler dans le roc pour lui-même; puis il roula une grande pierre à l'entrée du sépulcre et il s'en alla. Or Madeleine et l'autre Marie étaient là assise en face du tombeau." Math. 27/57-61






Pour Saint Luc les évènements se déroulèrent ainsi :
"Il y avait un homme, appelé Joseph, qui était membre du Sanhédrin, homme droit et juste, qui n'avait pas consenti au dessein des autres, ni à ce qu'ils avaient fait. Il était d'Arimathée, ville de Judée, et il attendait le royaume de Dieu. Il vint donc trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus. après l'avoir descendu de la croix, il l'enveloppa d'un linceul et le déposa dans un tombeau taillé dans le roc, où personne n'avait encore été mis..." Luc - 23/50-56
Suivent des précisions sur les femmes qui accompagnaient Jésus et le fait qu'étant jour de Sabbat, elles ne purent procéder à la préparation du corps.



Une station XIV au cadre similaire...








Saint Marc nous confirme que Joseph est bien membre du Sanhédrin :
" Le soir était déjà venu et c'était un jour de préparation, c'est à dire la veille du sabbat. 
Alors arriva Joseph d'Arimathée, membre considéré du Sanhédrin, et qui attendait lui aussi le royaume de Dieu. Il eut le courage de se présenter devant Pilate pour lui demander le corps de Jésus. Pilate s'étonna que Jésus fut mort si tôt ; et, ayant appelé le centenier, il lui demanda s'il y avait longtemps qu'il était mort. Informé par le centenier, il accorda le corps à Joseph. 
Celui-ci, ayant acheté un linceul, descendit Jésus de la croix, l'enveloppa dans le linceul et le mit dans un tombeau qui était taillé dans le roc; puis il roula une pierre à l'entrée du tombeau. 
Or Marie-Madeleine et Marie, mère de Joses, regardaient où on le mettait."
Marc 15/42-47 




...et une autre d'une église d'Haute-Garonne







Enfin Saint Jean (2) :
"Après ces évènements, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus mais en secret par crainte des juifs, demanda à Pilate d'enlever le corps de Jésus. Pilate l'autorisa. Ils vinrent donc et enlevèrent le corps. Vint aussi Nicomède, celui qui était aller le trouver de nuit, portant un mélange de myrrhe et d'aloes d'environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus qu'ils enroulèrent dans des linges, avec les aromates, comme font les juifs pour ensevelir. Proche du lieu où il avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin un  tombeau neuf dans lequel personne encore n'avait été mis. C'est là, étant donné le jour -la préparation des juifs- et la proximité du tombeau qu'ils déposèrent Jésus." Jean 19/38-42



Joseph d'Arimathie et Nicomède 
déposent le Christ au tombeau...







Les quatre évangélistes relatent donc cet ensevelissement précipité avec une bonne concordance. 
Un certain Joseph d'Arimathée, membre du Sanhédrin et disciple secret de Jésus ose aller déranger PIlate (ce qu'aucune autre personne proche de Jésus n'a le courage de faire) et une fois la preuve de la mort donnée par un centenier (qui n'a pu se laisser abuser, c'est un militaire !), obtient le cadavre. 
Tout cela a demandé du temps en négociations, vérifications, allers et retours et la nuit commence à tomber. Cette heure tardive oblige par respect pour la coutume à ensevelir le corps avant le sabbat, très particulier en plus de cette Pâques, aussi ne pourra-t-on pas porter au mort les derniers soins : lavage des plaies et du corps, et onction définitive. Ces opérations ne pourront se faire qu'à la fin du sabbat, soit le dimanche matin, premier jour de la semaine.
Jean nous précise cependant que Nicomède porte un mélange de myrrhe et d'aloes d'environ cent livres (soit près de 32 kilos). Ces deux résines n'ont aucun pouvoir d'embaumement et ne sont qu'antiseptiques, elles permettront de retarder tout au plus la corruption du corps dans l'attente des derniers soins rituels. Pour cette même raison, il serait vain de réaliser un enfermement traditionnel et rigoureux du corps en sachant qu'il faudra tout défaire pour lui donner les derniers préparatifs mortuaires.
En cela, nous comprenons bien que la représentation de la station XIV de Rennes est particulièrement étrange car elle nous donne à voir un Christ entièrement entouré de bandelettes à l'égyptienne.








La mise au tombeau par Gustave Doré
On reconnaît Marie Madeleine qui traditionnellement croise ses doigts.






Il nous faut maintenant revenir un temps en arrière lorsque Joseph d'Arimathée obtient de Pilate l'autorisation de disposer du corps du Christ. Arrivé au pied de la croix, il s'agit de déposer le cadavre sur lequel la rigidité de la mort rend déjà l' opération difficile pour plusieurs hommes. 
Il faut encore défaire les attaches, ôter les clous et libérer les membres, les ramener au corps, nettoyer sommairement les plaies et étendre le mort sur une grande pièce de tissu pour le transport au plus vite et assez près du  Golgotha.
Dans tous les cas, à aucun moment, ils n'auraient eu le temps d'enrouler le corps dans des bandes de tissu tel que nous le voyons sur cette station de Rennes-les-Bains.
Jamais les juifs n'ont procédé ainsi. L'archéologie israélienne n'a pu retrouver que très rarement des corps momifiés contemporains du Christ et encore les pense-t-on d'origine égyptienne. Dans la bible seuls Jacob et Joseph furent momifiés, dit-on, mais ils étaient considérés comme de quasi égyptiens. Pas de bandelettes, d'éviscérations ou de traitement au natron en dehors des rites égyptiens donc.

On pourrait enfin considérer (même si rien ne va vers cette idée) que le corps porté au tombeau fut préparé pour un séjour définitif. Il nous faut alors nous pencher sur les habitudes juives de mise au tombeau et St Jean lui-même nous en donne une description suffisamment détaillée à propos de la résurrection de Lazare :

"... après quoi, il crie d'une voie forte : Lazare, viens dehors ! pieds et mains liés par des bandelettes, le visage recouvert d'un suaire, le mort est sorti. Déliez-le et qu'il aille, dit Jésus." Jean 11/43

La description est claire, le corps placé sur le linceul qui le recouvre complètement est lié aux pieds, au cou et aux mains, les membres sont donc maintenus et l'ensemble aussi. En aucun cas, ne sont évoqués ces bandelettes qui entourent l'ensemble du corps telles qu'on les voit sur cette station XIV.
Dans leur hâte, Joseph et les femmes qui suivaient le Christ font au plus pressé. Ils nettoient rapidement le corps, achètent un linceul y étendent le cadavre puis  recouvrent le corps d'un mélanges de résines antiseptiques. Ainsi fait, la pierre est provisoirement roulée dans l'attente des ultimes visites au mort qui se déroulaient tous les jours comme l'indique Jean dans l'épisode de Lazare.







Un autre station peinte du Tarn où Marie-Madeleine semble seule assister à la mise au tombeau 

Mais en dehors de cette anomalie flagrante des bandelettes, il nous faut aussi mentionner l'éclatant rôle central de Marie-Madeleine en précisant cependant que cela ne constitue aucunement une anormalité dans ces représentations de la mise au tombeau. En effet, il s'agit bien de Marie-Madeleine au centre de cette station XIV de Rennes-les-Bains. Le Christ et la vierge sont porteurs d'une auréole. Il n'est donc plus possible de douter de l'identité de cette femme aux cheveux libres qui semble diriger cette opération. 
En opposition marquée avec les préceptes de Rome, elle est vêtue de rouge, couleur réservée aux cardinaux et que l'on avait interdite aux représentations de la magdaléenne. Sa forte présence liée à ce bien étrange corps entouré de bandes font de cette station et de l'ensemble de ce chemin de croix simple et déroutant à la fois une pièce de plus à rapporter aux dossiers déjà lourd de ces mystères.






Ci-contre, une station XIV dans une église du Tarn et Garonne, peut-être là plus proche à ce jour de l'esprit de celle de Rennes-les-Bains. Madeleine occupe la même place centrale dans la composition du tableau et Joseph d'Arimathie et Nicomède adoptent la même attitude pour transporter le corps du Christ. Cependant le linceul traditionnel se retrouve ici, bien que dans une représentation peu classique car il enserre les bras croisés du supplicié.






En conclusion provisoire, on peut bien sûr continuer à penser qu'il ne s'agit là que d'ignorance ou de fantaisie du peintre de cette station. Une autre option serait d'y voir un message à saisir se rapportant à la fois à Marie Madeleine et à un corps momifié.
Personne ne peut à ce jour certifier si ce chemin de croix est bien celui devant lequel priait Henri Boudet dans son église. On a dit qu'il fut un temps enlevé pour permettre la restauration des lieux. Fut-il remplacé à ce moment ? Quoiqu'il en soit les points soulignés ici posent questions dans l'attente de l'éventuelle découverte d'un chemin de croix identique.

Christian Attard









Notes et sources :
(1) - Pour les trois évangiles de Marc, Matthieu et Luc :  Traduction de la société biblique britannique - version synodale de 1949- Cambridge 
(2) - Pour les textes issus de l'évangile de Jean :Nouvelle traduction de la bible - Bayard 2001 






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