Barbares et berbères 

Certaines phrases, certains mots employés parfois dans le feu de la discussion révèlent un caractère. On pourrait alors vouloir les excuser, croire à un écart du à une trop forte émotion. Mais lorsque l'écrit laisse à la postérité certaines orientations de pensées malheureuses,  lorsque leur auteur les a pesées et assumées, comment avoir la même compréhension ? 
Peut-être en considérant qu'elles ne sont que le reflet d'une idéologie dominante. Ce qui certes n'excuse rien, mais incite à replacer, repenser l'écrivain au sein de son groupe et de son temps.

Algérie, soumission d'une tribu Kabyle

Il est de règle de répéter que le curé Boudet de Rennes-les-Bains fut un génie, un maître es codage encore incompris à l' intelligence exceptionnelle. 
J'étais, comme beaucoup, porté à le croire...

Page 98 et suivantes de son pensum : "La vraie langue celtique et le cromleck de Rennes-les-Bains", il essaie toujours de nous convaincre de la vérité de sa recherche obsessionnelle : l'anglais serait la langue mère, la langue d'avant Babel, utilisée par de nombreuses civilisations. Il s'attaque cette fois aux Kabyles.

"Les Kabyles sont les descendans incontestés des Numides et sous une dénomination affectant une forme différente, les mœurs chicanières de ce peuple se montrent au grand jour s'accusant de la formation du nom de Kabyle – to cavil, chicaner".

Pour nous faire avaler son explication boiteuse, le mot kabyle ne venant bien sûr pas de l'anglais, il gratifie les kabyles de mœurs chicanières... passons. 
Mais plus loin, il fait des Maures et des Kabyles des êtres perfides, de mauvaise foi. 

"Les Maures, relativement à la chicane, n'ont rien à envier aux habitants de la Grande Kabylie du Sud de l'Atlas.
Les uns et les autres ne manquent aucune occasion de prouver combien sont grandes leur mauvaise foi et leur perfidie."

La tradition historique ayant fait des berbères des alliés du christianisme, ces derniers sont traités un temps avec plus d'égard, mais :

"
Nous ne devons point cependant terminer ce court aperçu, sans interpréter le terme aroumi appliqué par le Kabyle au Français. Pris collectivement, les Français sont connus, en Kabylie, sous le nom de Afransis ; mais le Français pris en soi est, pour le Berber, l'homme qui l'a dompté, qui l'a surpassé en valeur guerrière, devant qui il doit s'incliner comme on s'incline devant la supériorité, et pour renfermer dans un seul mot toute son admiration, le Français, c'est " le Grand " – aroumi, – roomy (roumi), grand –."

Le Français, c'est " le Grand " – aroumi, – roomy (roumi), grand !

Commençons par la traduction du mot "roumi" qui signifie en arabe : romain, et par extension tous ceux qui vinrent de l'occident et parmi eux les chrétiens. Ce mot ne fut sûrement pas utilisé comme une marque d'admiration comme veut nous le faire croire Boudet. 
Ce mot n'a rien à voir avec le terme 'grand" traduit par ameqran en berbère ou même kébir en arabe.

Mais arrêtons-nous par contre sur des affirmations dont le soi disant subtil curé aurait très bien pu se passer : 

"../.. le Français pris en soi est, pour le Berber, l'homme qui l'a dompté, qui l'a surpassé en valeur guerrière, devant qui il doit s'incliner comme on s'incline devant la supériorité ../.."

Lorsque cette phrase est écrite en 1886, la France occupe militairement l'Algérie et la Tunisie après une conquête violente, jalonnée de nombreuses victimes. Majoritairement approuvées par la République et ses représentants, mais aussi le clergé, ces guerres de conquêtes colonialistes et impérialistes ne semblent choquer personne à l'exception de quelques journalistes courageux qui dénoncent ces crimes répétés. 
Certes, mais celui qui écrit ces mots terrifiants (dompter) lorsque l'on parle d'hommes et non d'animaux est un prêtre qui en toute logique devait prôner le respect des commandements de Dieu, la fraternité et l'amour de tous les hommes de quelques race ou ethnie qu'il soit. 
Fusse à des fins de supposés codages, il est difficile de justifier de telles assertions colonialistes. Le berbère a-t-il jamais considéré le français comme celui qui l'a dompté, s'est-il incliné devant sa supériorité ? 

Non, bien sûr. Autant de stupidités à la forte connotation impérialiste dont l'érudit de village aurait pu faire l'économie.
Sa seule excuse étant que ce genre de phrase était banale à son époque. Fort heureusement, il y eut aussi et à toutes les époques des hommes justes, y compris au sein du clergé.

Ainsi à Toulouse dès août 1942, le Cardinal Saliège a dénoncé la barbarie nazie en un temps où tous se taisaient. Ce même prélat courageux rappelait en 1943 que : 

"Sous le régime capitaliste, qui n'est pas encore disparu de la vie sociale, l'individu était trop souvent regardé comme une machine à produire et traité comme tel. L'homme était au service de l'argent, ce qui est contraire à l'ordre voulu par Dieu."

Choses que peu de prêtres osent dire aujourd'hui en ces temps de grande injustice.

Henri Boudet à l'image de Jean Saliège aurait pu dénoncer les horreurs meurtrières du colonialisme ou à défaut, se taire. Mais, il a préféré insister au contraire sur la supériorité du soldat français, citant un de ces militaires bravaches comme le général Melchior Eugène Daumas qui s'illustra par ces expéditions meurtrières tout en se targuant de culture humaniste. Et, je le répète, cela, aucun codage ne le justifiera jamais.

Le général Daumas que cite Boudet

Ce triste constat conduit donc à reconsidérer les écrits d'Henri Boudet mais aussi l'image que l'on a "publicitairement" répandue de lui. 
Boudet, intellectuel ascétique ? En est-on si sûr ? 
Boudet maître du codage de Rennes-le-Château ? Qu'est-ce qui concrètement nous le prouve ?

Malgré la bêtise évidente de ses écrits sur le plan linguistique, le curé de l'Aude sera reçu au sein de la Société de Linguistique de Paris le 4 décembre 1897, preuve que les critères d'entrée ne devaient pas être très rigoureux ! 
Loin de s'arrêter à son ouvrage, il continuera à tenter de prouver contre toute rigueur ou logique, mais avec un orgueil puéril que sa vision burlesque de la langue originelle était bien exacte. 
Étrange folie qui ne s'est pourtant pas arrêtée avec son ouvrage "mythique".

Christian Attard

Notes et sources :

(1) voir l'excellent livre de Jean Guitton : "le cardinal Saliège" chez Grasset - 1957

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