"L'image"
A propos d'une photographie présumée de l'abbé Boudet






Dans sa préface fantasmée à la réédition de "La vraie langue celtique" (1) Pierre Plantard projette l'image d'un abbé Boudet ascétique qui, depuis, s'est imposée comme vérité parmi les chercheurs des mystères du Razès. S'appuyant semble-t-il, sur une unique photographie plutôt que sur des témoignages qui lui auraient donné l'ecclésiastique des Bains comme étant tout sauf un intellectuel famélique, il reconstruisit un personnage qui coïncidait mieux avec l'idée que l'on croit se faire du créateur tout aussi imaginaire du Cromlech de Rennes-les-Bains.

Parue dans l'ouvrage "L'Alphabet solaire" de MM. Jean-Luc Chaumeil et Jacques Rivière (
2) et donnée pour être la photographie du jeune abbé Boudet, le document a depuis fait l'objet d'incessantes publications. Si quelques auteurs prennent leurs précautions en indiquant que ce portrait en pied est celui "présumé" du futur recteur de Rennes-les-Bains, d'autres n'hésitent pas à l'affirmer et l'utilisent même en page de couverture.

L'homme qui nous fait face est jeune, on lui donne tout au plus 25 ans, 30 au grand maximum. Est-il plausible que cet homme soit Jean-Jacques Henri Boudet ?




Lorsque Jean-Jacques Henri naquit au monde un 16 novembre 1837 à Quillan (Aude), la photographie était, elle aussi, balbutiante. Louis Daguerre venait de déposer son invention sous le nom de Daguerréotype. Le procédé assez complexe de la fixation d'une image sur une plaque de cuivre recouverte d'argent perdura jusqu'en 1860 et connut un très grand succès.  
C'est en Décembre 1861 que le jeune Boudet après des études brillantes est nommé prêtre. Il est passé par le petit puis le grand séminaire de Carcassonne. Au début de l'année 1862, on lui donne son premier poste de vicaire à Durban, il est âgé d'un peu plus de 24 ans et l'on peut considérer que c'est approximativement l'age que présente le jeune homme de notre image.
On ne peut compte-tenu du rapide vieillissement des hommes de cette époque lui donner guère plus que ce quart de siècle.

Les daguerréotypes s'apparentent par leur aspect à de petits portraits sous verre, parfois colorisés. Les temps de pose très longs n'autorisaient pas autre chose que des prises de portraits figés dans l'immobilisme le plus rigoureux pour éviter tout flou.
Le calotype et l'ambrotype suivent l'invention du français Daguerre. Le calotype utilise un papier salé pour fixer l'image, l'ambrotype  une plaque de verre sur laquelle adhère l’émulsion photo-sensible composée  de collodion humide. Les temps de pose restent longs et les images sont toujours présentées dans des supports de protection et sous verre.



Ecclésiastique assis - cliché anonyme vers 1870
Source : http://www.muzeocollection.com





Inventé par un français, Adolphe Alexandre Martin (1824-1896) mais développé par des américains, le ferrotype a aussi une base photosensible au collodion. qui est étalée sur une plaque de fer peu épaisse recouverte de vernis noir. L’image  est un positif direct. Le Ferrotype est enfin, par sa simplicité et son coût, à la portée du grand public. Il connaîtra un grand succès commercial jusque vers 1914. Mais il est très rare de trouver aujourd'hui un ferrotype en bon état de conservation.




A la lecture de ce trop bref aperçu historique, on le comprend déjà, la photographie que l'on nous donne comme étant celle de l'abbé Boudet, supposée avoir été prise vers 1862 a de fortes chances de dater d'une trentaine d'années de plus. Mais alors notre bon prêtre aurait eu quelques 50 années et n'aurait plus l'allure de ce sémillant jeune homme tout juste sorti du séminaire.





Notez l'apparition du col blanc, 
le raccourcissement du rabat 
et l'abaissement de la hauteur de ce même col
en comparaison avec ceux de l'abbé Moigno.


François-Napoléon-Marie Moigno (1804–1884)
vers 1870 -
Source libre wikipédia
84)





Tout laisse donc supposer que notre cliché date de la fin du XIXe siècle ou du tout début du XXe


Un détail de la tenue de ce prêtre peut encore nous aider à approcher de cette datation. Sur la grande majorité des photographies  d'ecclésiastiques qui nous sont parvenues datant de la période 1870-1890  (le site Photo-carte en expose de très nombreuses).(3) tous portent un rabat sortant du col haut de leur soutane. Seuls quelques rares prêtres italiens ou suisses font exception. Le petit col blanc que porte notre "présumé" abbé Boudet n'est jamais présent avant le début du XXe siècle où le col de la soutane s'est rabaissé  depuis la fin du XIXe siècle pour laisser place à ce nouvel accessoire amidonné à la "romaine". En effet, petit à petit, l'usage du col à rabat, marque d'un certain gallicanisme par opposition au col blanc romain sans rabat, se perd. Ainsi, les frères Saunière plus jeunes de près de 15 à 18 années qu'Henri Boudet n'arboreront plus de rabat.
Ce type de col mixte - rabat et col rond amidonné- ne commence à apparaître que dans les années 1890.


L'abbé Gélis très probablement vers 1860






Il semblerait que l'abbé Gélis, curé de la paroisse de Coustaussa, né 10 ans avant Boudet n'ait quant à lui jamais abandonné son col à rabat à la française comme on peut s'en rendre compte sur une photo apparue récemment où il figure aux côtés des Saunière. Sur cette même image, on a pensé retrouver l'abbé Boudet portant lorgnon, rondouillard à l'inverse de l'image que l'on croyait avoir de lui.





Les frères saunière, le curé Malot, Henri Boudet ? et le curé Gélis vers 1895.
les cols sont bas, les rabats résolument gallicans à l'exception des cols romains des Saunière...




Enfin la coupe de cheveux de notre jeune prêtre semble, elle aussi, peu conforme à ce qui se faisait dans les années 1860-70. La plus grande majorité des photographies qui nous sont parvenues montrent des prêtres portant des cheveux assez longs, recouvrant souvent les oreilles.

Toutes ces constatations conduisent à remettre en question l'attribution de cette image au physique d'Henri Boudet. Si ce portrait fut présent dans ses affaires, peut-être était-il celui d'un ami ou d'un parent plus jeune. 
Pour ma part, je tendrai à penser quelle fut prise vers 1910, un peu avant la Première guerre mondiale.

Quoi qu'il en soit je n'en reste pas moins intimement convaincu que cette photographie continuera encore bien longtemps à être utilisée comme étant celle d'Henri Boudet jeune !

Christian Attard






Notes et sources :

(1) Préface de Pierre Plantard pour la réédition de 1978 de "La vraie langue celtique".

(2) L'Alphabet solaire : Introduction à la langue universelle avec des textes inédits de l'abbé Boudet. Jean-Luc Chaumeil et Jacques Rivière - La Maisnie-Tredaniel. Plusieurs rééditions.

(3) Voir la belle série d'ecclésiastiques du site Photo-carte. On peut voir notamment une photographie d'un certain abbé Boutet de Carcassonne, presque contemporain de notre abbé Boudet. Mais il s'agit bien du patronyme de Boutet ! Attention !!



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