La
Société de Linguistique de Paris fut créée en 1864, douze ans après
sa fondation, elle se définit comme "le lieu par excellence de la
recherche linguistique en France" (1). Cette docte assemblée
accordait, dit-on aussi, la primauté à l'établissement des faits, à la
philologie, des langues anciennes et modernes, écrites et orales. Autant
dire trivialement qu'avec Henri Boudet, elle n'allait pas du être
"déçue du voyage" !
Notre bon curé du Razès a eu de la chance car si l'article 2 des statuts
de 1866 avaient été conservé, il n'aurait jamais pu en être membre.
Cet article dans un souci raisonnable et de bon sens édictait la règle
suivante : « La Société n’admet aucune communication concernant, soit
l’origine du langage, soit la création d’une langue universelle. ».
Mais comme le répétait à loisir Nicolas Pavillon, les groupes humains
s'éloignent très vite de ce pour quoi ils ont été créés.
Le bulletin n°45 édité par la Société donne le compte-rendu de la
séance du 20 novembre 1897, on y apprend que MM. Duvau et Imbert
présentent, parrainent serait un terme plus exact, Henri Boudet, curé de
Rennes-les-Bains. Le 4 décembre suivant l'abbé est élu membre.
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Le
5 février 1898, en l'absence de l'abbé Boudet, M. Duvau résume son
travail, semble-t-il en se gardant d'évoquer une source anglaise moderne
à ses "Étymologies languedociennes". C'était
souhaitable en effet !
Mais qui a bien pu dans une Société si sérieuse introduire un élément
aussi "fantasque" ?
Le 24 mai 1902, toujours en son absence, est donné lecture de ses
"explications à propos de quelques noms de lieux du Languedoc".
Le germanique est évoqué une nouvelle fois.
Mais qui sont donc ces fameux parrains qui semblent s'être engagés à
introduire avec tant de légèreté un curé audois aux idées si extravagantes
?
Louis DUVAU (1864-1903)
agrégé de grammaire, ancien élève de l'École française de Rome,
avait été maître de conférences de grammaire comparée, puis
directeur-adjoint à l'École pratique des hautes études de Paris, avant
d'occuper une chaire au Collège de France. Élu membre en 1884, ses
qualités lui valurent le poste d'administrateur de la Société en janvier 1892. Il faisait partie justement de ceux qui évincèrent
progressivement les créateurs de la Société mais il est surtout le
collaborateur de diverses revues, le directeur de la Revue de philologie,
et le secrétaire de rédaction de la "Revue celtique" créée
en 1870 par Henri Gaidoz (2). Et à ce titre, on peut comprendre une
certaine affinité de pensée, une certaine curiosité envers les écrits
d'Henri Boudet.
On doit à Louis Duvau entre autres :Histoire du cochon de Mac Datho
(1886), La légende de la conception de Cûchulainn (1888), L'épopée
celtique en Irlande (1892), Les poètes de cour irlandais et scandinaves
(1896).
Mais, on ne peut pour autant en déduire qu'il aida notre brave abbé à accéder au statut de membre de la Société de Linguistique de Paris.
Henri Boudet, il est vrai, a présenté
"La vraie Langue Celtique et
le Cromleck de Rennes-les-Bains".à
l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse en
1887. En
1888, il est élu membre de la Société des Arts et sciences de
Carcassonne. Il a donc quelques références pour pouvoir prétendre être
coopté à Paris, mais était-ce bien suffisant sans un appui conséquent
? es de Carcassonne.
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C'est
un autre érudit M. J.
IMBERT qui va
peut-être nous éclairer sur cette nomination et qui très probablement
a fourni cet appui au curé de Rennes-les-Bains. Imbert est le grand
spécialiste de la civilisation lycienne, peuple d'Anatolie allié des
troyens.
Mais ce n'est pas un chercheur de métier car il est receveur de
l'Enregistrement et des domaines, et tout comme Henri Boudet, il
consacre une partie de ses loisirs à ses recherches. Sa grande
connaissance de la civilisation grecque et ses écrits lui valent
l'accession au titre de membre de la Société de linguistique le 14
décembre 1889.
Fonctionnaire de l'état, le receveur de l'Enregistrement et des
domaines est appelé à changer de postes et c'est ce qu'accepta
Monsieur Imbert sa vie durant. Il fut en poste à Tence (Haute-Loire)
Monsol (Rhône), Brezolles (Eure et Loire). Mais au moment de la
présentation de son filleul, Henri Boudet, il est en poste à Couiza
dans l'Aude !
Autant dire que les deux hommes se connaissaient forcement et que ce bon
voisinage a très certainement un peu aidé les choses.
Si ce M. Imbert connut l'abbé et lui proposa l'honneur de ce parrainage,
sa modestie cléricale dut-elle en souffrir, il accepta.
Dans le cas contraire, est-ce lui ou un des ses proches qui fit la
démarche auprès du docte receveur ? Nous n'en saurons rien.
Mais dans tous les cas, nous savions depuis longtemps déjà que le
prêtre avait aussi quelques ambitions honorifiques, en dehors
bien sûr de son incomparable capacité à brouiller toutes les pistes
qu'elles soient linguistiques ou trésoraires.
Christian Attard |