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Hercule
et les
bergers royaux
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Les
Bergers d'Arcadie - Nicolas Poussin |
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Vouloir
plaquer une méthode d'analyse contemporaine sur le plus célèbre des
tableaux de Nicolas Poussin (1594-1665) est très certainement une erreur. Ainsi,
persister à croire que le peintre, ou plus tard ceux qui firent
l'acquisition supposée de cette oeuvre, la nommèrent ou la connurent
sous le titre des "Bergers d'Arcadie" est faux puisque le tout
premier admirateur et biographe du peintre Giovanni Pietro Bellori (1) ne
connut cette toile que sous le nom de "La félicité sujette à la
mort".
Si pour certains, la toile fut inspirée par une idée de Giulio
Rospigliosi encore jeune prélat et futur Clément IX, pour d'autres,
elle aurait été possession d'un peintre du roi Louis XIV : le Chevalier
Avice. Mais, parlent-ils de la première ou de la seconde version et
d'ailleurs peut-on parler de deux versions tant leur signification
profonde semble différente ? Oublions pour un temps les suppositions publiées sur le parcours de
cette toile après que Poussin l'eut peinte pour ne nous attacher qu'à
une possible lecture symbolique de la seule toile qui puisse présenter
la Félicité et la Mort.
Le géant agenouillé qui pointe son
index sur le "R" de "Et in Arcadia ego" fut à
raison assimilé à Hercule. Car si nous pouvions projeter ce personnage
debout il en imposerait à tous les autres par sa stature. D'autre part,
nombreux sont les auteurs qui ont signalé la concordance de cette
position avec la constellation de l'Agenouillé telle que la
représentaient les anciens. Hercule étant l'autre nom de cette
constellation.
Une tradition
symbolique voulait que la France soit personnifiée justement par
Hercule, Christian Biet,
professeur d'
histoire de l'Université Paris X -
Nanterre (2) ne s'y est pas trompé lorsqu'il écrit : |
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"C’est
ainsi qu’Hercule, héros de la puissance de l’éloquence – c’est
la première qualité de l’Hercule Gaulois au XVIe siècle, qui sera
réduite ou abandonnée dans les représentations du XVIe siècle, en
particulier pour la figuration des chaînes d’or qui sortent de sa
bouche et enchantent les peuples –, de la prudence, de la clémence et
de la sagesse, héros civilisateur, fondateur des cultes, médiateur,
fils d’Osiris en Gaule, grand acteur de l’abolition des coutumes
sauvages, promoteur de la sécurité grâce à sa vaillance et à son
don pour mener la guerre héroïque, représentant en outre de la
justice et des lois instituées, enfin fondateur légendaire de la
lignée de Navarre, est la figure la plus commode et la plus aisément
reconnaissable. C’est une tradition des entrées royales, depuis le
XVe siècle, que de figurer le demi-dieu, aussi bien pour illustrer
François Ier que pour soutenir Henri II de Bourbon, et c’est à
partir de cette tradition que l’image du roi en Hercule devient
prédominante durant les règnes d’Henri IV et Louis XIII."
Si peu à peu,
Hercule est remplacé par le symbole du Soleil, lorsque la ville de Valenciennes
reçoit Louis XIV en août 1680, la personnification du
monarque en puissant Hercule est toujours de mise, comme le démontre cet
extrait du discours de réception sous une allégorie sculptée à
l'effigie aussi herculéenne que royale :
"C’est
Hercule, sure que nous avons choisi pour dessein de nos feux, et pour
nous exprimer l’image de votre majesté. C’est le plus fort, et le
plus célèbre de tous les Héros de la fable, qui représentera sans
fable, et avec vérité le plus grand, le plus valeureux, et le plus
triomphant de tous les Monarques du Monde. « Hercule paroîtra
soûtenant le Ciel après le cours de ses travaux héroïques, pour
marquer le zèle infatigable avec lequel votre majesté soutient les
intérests de Dieu, et de l’Église. Ce zèle, sire, a paru en mille
occasions : l’Hérésie, et les duels exterminez du Royaume ; tant de
puissants secours donnez aux autres Princes contre l’ennemy commun des
Chrétiens ; tant d’actions glorieuses faites pour la défence, et
pour l’accroissement du Royaume de Jésus-Christ, ont fait voir à
toute la terre, que vous êtes un Hercule, sur lequel le Ciel de l’Église
peut sûrement se reposer."
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Hercule
protecteur des arts sous Louis XIV
d'après Charles Errard - Source wikipédia |
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Le
peintre Charles Errard, l'un des fondateurs de l'Académie royale de
peinture et de sculpture et un proche de Nicolas Poussin ne s'y
est d'ailleurs pas trompé lorsqu'il représente Hercule barbu en protecteur
des arts sous le buste du jeune souverain Louis vers 1647-48.
Le grand Nicolas Poussin a pu en faire de même, et en fit de même
lorsqu'en 1641 devenant premier peintre du roi Louis XIII, il a en charge la
décoration de la galerie du Louvre et y exécute une suite de quarante
compositions illustrant le mythe d'Hercule. Nicolas Poussin était un
des protégés de Monseigneur des
Noyers comme Errard et plus d'un expert confondit d'ailleurs Poussin et
Errard tant leur manière était proche.
Si comme Errard, l'intention du peintre Poussin fut de représenter
Hercule, il est alors assez troublant de constater que comme le jeune
Louis Dieudonné sur la
gravure tirée de l'œuvre d'Errard, les deux plus jeunes bergers sont
ceints d'une couronne de laurier. Pourquoi Poussin plaça-t-il ces
couronnes sur leur tête, l'intention ne peut être anodine.
L'un d'eux pourrait-il alors
personnifier Louis XIV adolescent ?
Son pied posé sur un rocher
n'est-il pas depuis Sumer signe de royauté, Jean-Auguste Dominique
Ingres (1780-1867) n'a-t-il pas représenté le futur Oedipe-roi dans la
même position face à la Sphinge ? Questionnements et future accession
au plus haut pouvoir semblent bien se figer en un telle posture.
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Le
roi de Sumer et d'Akkad, Šulgi d'Ur (2094-2047 av. JC) musée du Louvre |
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Si tel était le cas qui serait alors cette autre personne qui pose la
main sur l'épaule du jeune souverain en un geste d'amitié et de soutien
?
Serait-ce une proche du jeune éphèbe, une autre image symbolique comme
Hercule, nous venons de le voir, peut l'être ? Les deux à la fois ?
Pour tenter de répondre à cette seconde interrogation, il faut
peut-être se souvenir du premier et vrai titre donné à cette oeuvre :
"La félicité sujette à la mort". Cette personne
pourrait-elle représenter la félicité ?
L'artiste italien Orazio Lomi Gentileschi (1593-1639) peignit justement
une oeuvre intitulée "La félicité" conservée, tout comme
"Les bergers d'Arcadie", au musée du Louvre. La notice du
Louvre précise : "allégorie
sur la précarité du pouvoir royal durant la régence et le triomphe de
la Reine face aux dangers".
Voilà qui est fort surprenant car c'est précisément ce qu'Anne
d'Autriche, mère du jeune Louis XIV vient de subir sous la pression des
frondeurs.
Le tableau de Gentileschi fut certes commandé vers 1624 par Marie de Médicis
pour le palais du Luxembourg mais l'une et l'autre des souveraines
eurent à subir bien des remous. Là ne s'arrêtent pas les
coïncidences entre les deux tableaux car une étrange concordance du
code des couleurs vestimentaires des deux femmes ne manque pas de nous interpeller. Code
que respectaient les peintres pour mieux aider justement à la
reconnaissance de leurs sujets.
Enfin, le tableau de Gentileschi appartenait lui aussi à Louis XIV.
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La
félicité de Gentileschi (à gauche) et celle de Poussin ?? Une
étrange concordance de couleur vestimentaire ! |
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Fort bien nous dirons les suspicieux mais Marie de Médicis n'est quand
même pas Anne d'Autriche ! Mais ce serait ne pas vouloir voir le
tableau que réalisa Jean Dubois (1604-1676) peintre et valet de chambre
de Louis XIV . Ce tableau fut non seulement possession de la couronne
royale mais décorait la chambre d'Anne d'Autriche au château de
Fontainebleau
dès 1642, comme "Les bergers d'Arcadie" ne quittèrent pas
celle du Roi-soleil. Le voici :
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Et
il a pour titre ... "La
félicité, dit autrefois portrait de la reine Anne d'Autriche"
, toujours selon la
très sérieuse notice du Louvre !
"Certes, certes", poursuivront nos lecteurs les plus difficiles
à convaincre "mais quel rapport avec l'Arcadie ?"
Et que tient donc notre reine Anne d'Autriche entre ses mains si ce n'est
le célèbre caducée d'Hermès, le fils de Zeus qui naquit dans une
caverne du mont Cyllène en.... Arcadie !
La boucle serait-elle bouclée ?
Serait-il irréaliste de vouloir voir en cette noble figure sur le tableau
de Nicolas Poussin une
représentation allégorique de la Félicité - Anne d'Autriche, régente
du Royaume de France posant une main protectrice sur l'épaule du jeune
berger -Louis, l'enfant bientôt roi et déjà couronné des lauriers de
la gloire. (3) La forme de sa main gauche étant l'exacte représentation du futur sceptre royal.
Cette Félicité étant ainsi assurée au jeune Louis mais aussi au
royaume.
Le dernier personnage du tableau de monsieur Poussin pouvant alors être
le frère du roi, Philippe d'Orléans (1640-1701).
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"La
félicité, dit autrefois portrait de la reine Anne d'Autriche"
selon Jean Dubois - source base Joconde
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Cette
lecture possible reste une simple hypothèse posée à la réflexion de
mes lecteurs, cependant après la mort de Louis XIII de nombreux grands du
royaume commandèrent des tableaux à Nicolas Poussin revenu à Rome écœuré
des mesquineries et vulgarités de l'entourage artistique du souverain.
Ainsi Colbert commande-t-il plus tard au nom de Louis XIV plusieurs tableaux au
peintre désormais romain, peintre ordinaire du roi Louis XIII, il n'est
pas irréaliste de croire que l'entourage de la régente ait pu continuer
à faire travailler le grand Nicolas Poussin.
Notre Hercule pourrait alors pointer du doigt un "R" royal,
première lettre d'un "Rex", premier sujet du Royaume de France
mais tout aussi mortel que tous les autres. Le tableau pourrait alors
être entendu comme une sorte de leçon morale aux deux souverains,
soutenus par la félicité (leur mère) mais destinés à mourir comme tout un chacun.
Méditation profonde sur la puissance et ses vanités, sur les devoirs
d'un souverain face à l'Histoire qui le jugera, ce travail si intelligent
du Poussin est aussi hommage à la Régente affaiblie un temps par la
Fronde. Cette
nouvelle approche fera sourire nos doctes conservateurs et spécialistes,
elle disqualifie bien sûr toute intervention irréaliste de codage et
encore bien d'avantage tout ancrage du décor de cette "félicité" dans le
sud de la France.
En 1931, M. Paul Desjardins écrivit une belle biographie de Nicolas
Poussin (4), et publia dans ce beau livre la photographie suivante :
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M. Desjardins semble rejoindre
alors notre analyse, le tableau, selon lui aurait été peint en 1653 pour
Louis XIV !
En 1653, Louis né le 5
septembre 1638 avait 15 ans. En pleine mode pastorale et alors qu'il
n'était pas inhabituel que les plus puissants se fassent représenter en
humbles bergers cela ne me semble aucunement irréaliste.
Je pencherai cependant plus volontiers pour une oeuvre hommage à la
famille royale et à Anne d'Autriche.
Voilà qui pourrait expliquer alors l'attachement du roi à ce tableau
exécuté par l'un des plus grands peintres de son temps et rappel des vicissitudes
que sa mère eut à traverser pour lui assurer son règne, rappel aussi de
toute impermanence de nos agitations, fussent-elles royales.
Christian Attard
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Notes
et sources :
(1) - dans
"Vite de pittori , scultori y architetti moderni" dédicacé
à Colbert - Rome 1672 -Vita de
Niccolo Pussino d'Andeli Francese - Pittore.
Voir aussi "Entretiens
sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres anciens et
modernes ; augmentée des Conférences de l'Académie royale de peinture
& de sculpture. avec La vie des architectes
. Tome 4 / par Félibien (1619-1695).
Bellori et Félibien étant les deux seuls biographes
contemporains du peintre et l'ayant bien connu.
(2) voir ici son article en entier : http://cour-de-france.fr/article268.html
(3) - D'aucuns ont vu en ce personnage
la constellation du bouvier, toujours représentée le pied sur un roc.
Cela n'est pas incompatible avec l'idée d'un Hermès arcadien et voleur
des bœufs d'Appollon.
(4) -
"Poussin"
- Éditions Henri Laurens – 1931
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