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Saint Aphrodise, l'apôtre "zéro" !
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Le
Pont-Vieux traversant l’Orb au pied du centre-ville de Béziers
(Source libre wikipédia)
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Chaque 28 avril, la ville de
Béziers fête joyeusement son premier évêque saint Aphrodise et son
chameau (lou camel) !
Extraordinaire légende que voilà ! Elle mérite que l’on s’y « attarde »
un peu et va, au fil du temps, nous dévoiler un subtil processus de "récupération"...
Car la plaisante histoire veut que le bon saint soit venu de sa
lointaine Egypte jusqu’en Gaule sur le dos bossu du sobre animal.
Depuis la mort d’Aphrodise et de son vaisseau, on promène dans les rues
de la ville un chameau de toile et de bois aux mâchoires démesurées et
l’on déguste des « coques », brioches dites de saint Aphrodise. |
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1 - Aphrodise, le véritable
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Le sarcophage ayant contenu le corps d'Aphrodise.
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Si
la plus
ancienne mention des reliques du saint date de la fin du IXe siècle,
il
est plus que probable que la constitution de la vie exceptionnelle
d’Aphrodise se soit effectuée au long des siècles s’enrichissant de
détails qui sont loin d’être sans sel pour qui s'intéresse un peu
à l’Alchimie, aux sociétés initiatiques des corporations de métier et
encore aux procédés de "récupération" de l'église catholique.
Si l’on se
réfère au "Bréviaire de Béziers", au XIVème et XVème siècle, Aphrodise
fut bien, en effet, évêque et confesseur, mais il est mort sans
violence un 22 mars et non un 28 avril !
C'est donc
au
XVIème siècle que va se constituer peu à peu sa fantasque légende,
collectée avec conscience en 1860 par l’abbé Coste (1).
Plusieurs
versions font alors d’Aphrodise soit un citoyen de la ville d’Hermopolis en
Egypte, soit d’Héliopolis où il aurait été pour les uns, préfet, pour
les autres, grand prêtre du temple de Mercure.
Selon monseigneur
Guerin, en 1860, dans son ouvrage "Les petits bollandistes
: vies des
saints", Aphrodise aurait eu le bonheur d’accueillir la sainte famille
lors de sa célèbre fuite en Egypte et serait plus tard devenu un
disciple du Christ.
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Aphrodise et son chameau dans Béziers.
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Après
l’Ascension, Aphrodise suivant Paul ou Pierre (mais pas Jacques) serait
finalement arrivé à Béziers où il ne fut évêque que fort peu de temps
avant de perdre la tête. Le saint homme étant devenu martyr au fil du
temps et de l’épée. Cette tête, ce "caput mortem" que ses tortionnaires
auraient pourtant lancée dans un puits, lui fut rendue par une brusque
montée des eaux qui se « cristallisèrent » au niveau de la margelle.
Son
chef sous le bras, le décapité parcourut la ville et, Dieu sait
pourquoi, des habitants, pour le tester, placèrent des escargots sur
son passage qu’il évita avec le plus grand soin ! Plus loin ce furent,
nous dit-on, neuf maçons moqueurs qu’il « pétrifia » dans leur rire !
On
pouvait encore voir ces têtes de pierre, rue des têtes justement, au
XIXe siècle, avant que le couvent dont elles ornaient le mur
ne soit
démoli. Finalement, un rien fatigué et migraineux, Aphrodise alla enfin
s’étendre pour s’éteindre dans la grotte qui lui servait d’ermitage.
Bien
sûr, il ne saurait être question d’un « évêque » contemporain du
Christ, même fort âgé. Béziers ne fut sûrement pas gagné par le
christianisme au point de nommer un évêque avant le milieu du IIIe
siècle. Or la tradition, si elle nous transmet bien le nom d’Aphrodise
et de ses disciples : Agape, Caralippe et Eusèbe semble avoir importé à
Béziers le nom de martyrs de Tarse !
Pour s’en assurer, il suffit de
consulter « le Catalogue général des saints, saintes, martyrs,
confesseurs, bienheureux… » pour y retrouver à Tarse, la ville
d’où était originaire Saint Paul (qui rappelons le, fut lui aussi
décapité mais en 64) un certain Afrodise de Tarse dont les co-martyrs,
fêtés comme
lui le 28 avril, se nommaient : Agape, Caralippe et Eusèbe ! (2).
La fête de l’Aphrodise de Béziers était bien primitivement fixée au 22
mars, en important les martyrs tarsiens elle a aussi changé de date
passant au 28 avril !
Il est très étonnant que cette simple constatation n’ait jamais été
faite par nos doctes écrivains ecclésiastiques, pas plus que par tous
ceux qui écrivirent sur ce bon Aphrodise biterrois !
La rigueur historique se doit de conclure
qu’au fond nous ne savons
rien de cet Aphrodise qui, s'il vécut à Béziers, n’a guère dû être
plus
qu’un ermite prédicateur.
Il nous reste à tenter d’en comprendre sa légende et à espérer en
décrypter le sens caché.
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Mention des martyrs de Tarse dans le martyrologe d'Adon au XIIème siècle.
Comme à Béziers, les noms des martyrs associés à Afrodise sont exactement les mêmes.
(Source Gallica : voir ici)
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2 - Maçons et colimaçons
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Tout
d’abord, constatons que quelques soient les versions de cette vie plus
que romanesque, Aphrodise est dit originaire d’Egypte.
A propos de l’étymologie du mot alchimie, certains linguistes lui donne pour origine
le vocable copte, khēme, kimiya. Il signifierait "la terre
noire", la terre généreuse laissée par le retrait des crues du Nil et
aurait donné son nom à l'Égypte. L’Egypte, patrie des alchimistes et de
leur Dieu Thot-Hermès.
Or Aphrodise serait natif de la ville d’Hermopolis et si telle n’était
pas le cas, on le dit aussi prêtre du Dieu Mercure. Mercure qui n’est
jamais que l’Hermès romain. Cette première constatation est déjà
troublante mais il faut lui adjoindre le nom même d’Aphrodise qui
incontestablement provient de la déesse de l’amour Aphrodite dont le
nom vient du grec ἀφρός (aphrós), l'écume. Notion fort intéressante
aussi et qui n'est pas sans nous rapeller que Marie vient de l'hébreu
Maryam, ce prénom signifiait "goutte de mer" ce qui en latin pouvait se
traduire par Stilla Maris, devenu peut-être Stella Maris.
Nous voilà donc en présence d’Hermès et d’Aphrodite, de leur union est
né Hermaphrodite qui, associé à jamais à la naïade Salmacis,
représentera l’être bisexué.
Or cette notion d’hermaphrodisme est à la base même de toutes les
représentations des « noces alchimiques ». Comment s’étonner dès lors
qu’apparaissent sous les pas de notre saint Aphrodise des escargots,
eux-aussi hermaphrodites !! Et qu’en souvenir de l’événement, on
déguste des brioches nommées « coques ». L’escargot a aussi une
intéressante capacité (à la condition de préserver le nœud œsophagien)
celle de voir sa tête repousser si d’aventure, il la perdait ! Ii
continue donc à vivre comme Aphrodise, tête en moins. Mais il est
aussi bien intéressant de se rappeler qu’un escargot sort à la petite
rosée du matin et qu’au fond sa coque ou coquille résulte finalement de
la cristallisation de sels calcaires.
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Souvenons
nous encore du mystérieux et érudit Grasset d'Orcet qui affirmait que
l'hiéroglyphe des maçons était le limaçon, ce qui les avait fait nommer
Coquillons ou gens de coquilles, coquillards ou encore caquerolles du
nom bourguignon du limaçon.
Dans notre midi, l’emploi du mot escargot venu de l’espagnol caracol
qui a donné cargol en catalan est assez tardif. On appelait la
bestiole « limas » venu du latin « limax », corruption de limus
(la boue) car on pensait autrefois que l’escargot naissait de la
corruption, de la putréfaction !! Autre notion très intéressante en alchimie !
Gracet d’Orcet fabulait-il lui aussi ?
Il est alors très étonnant de
retrouver nos escargots sur des chapiteaux dans la crypte de la
basilique Saint Sernin à Toulouse, sur les plafonds peints du château
de Capestang, résidence épiscopale de l'archevêque de Narbonne, dans
les églises de Rocamadour ou les cathédrales de Saint-Bertrand de
Comminges, Lectoure, Rodez, Albi…
Signature trop fréquente pour avoir attiré l’attention des spécialistes
et des historiens, en effet ! Signatures dont la proximité habituelle
avec d’autres grands symboles d’initiés au corps de métier (grenades,
vigne, lapins, chiens…) devraient pourtant leur faire se poser quelques
questions ! (3)
Encore que, bien entendu, on ne saurait prétendre nulle
part à une explication unique car l’escargot fut aussi symbole
de couardise, de résurrection …
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Comment
s’étonner alors et de surcroit que juste après l’épisode des coli «
maçons », intervienne celui des maçons transformés en tête de pierre,
donc pétrifiés ? C’est par ailleurs dans la zone où la légende
situe cet épisode que furent retrouvées neuf têtes de la famille de
l’empereur Auguste, coincidence ? Peut-être… A moins que quelque riche
propriétaire n’ait voulu autrefois honorer à sa façon les antiques
Preux, allant eux-aussi par neuf…
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3 - Le sacrifice du chameau
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Le célèbre chameau et son Papari
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Mais pourquoi le chameau ?
A chaque fête de la charité (au jour de l’Ascension, notez-le bien), le chameau de bois et de toile cachant dans son ventre les
hommes qui le mouvaient et faisaient claquer sa mâchoire de fer, était
de sortie. Pour le guider, son cornac, le Papari, vêtu à l’oriental,
demandait place et obole parmi les membres des corporations, et la foule joyeuse
des biterrois. Aboli par la Révolution qui brûla le chameau et détourna
les subventions allouées à son entretien sous le fallacieux prétexte
qu’il était un « immigré », il fut reconstruit maintes fois portant en
mémoire de ces revirements historiques, peintes sur ses flancs les
phrases explicatives suivantes : « ex antiquitate renascor » (je
reviens du passé) et « sen fosso » (nous sommes nombreux).
Tout d'abord, il est inutile de chercher un quelconque sens
ésotérique ou une
étymologie secrète au nom du conducteur du chameau, le Papari. Les
archives de la ville de Béziers ont conservé pour l'ancienne paroisse
de Saint Félix et à la date du 2 janvier 1659, la mention du décès d'un
sieur Papary, propriétaire de l'auberge du Lyon d'Or. Ce Papary était
alors connu pour être un histrion et parfait bout-en-train, son
hostellerie étant particulièrment fréquentée par les comédiens de
passage.
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La mention du décès de Papary à environ quarante ans.
(souce archives en ligne de l'Hérault)
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Il
est bien évident que ce bon Aphrodise ne s'est sûrement pas embarassé
d'un chameau pour prêcher tout au long de son périple méditeranéen.
Certes, le
chameau a eu sa part dans l'histoire de France, ainsi la terrible
Brunehaut fut-elle exibée nue sur un chameau avant d'être trainée par
un cheval jusqu'à ce que mort s'en suive (4). Mais ce n'est pas là
encore la source de la coutume bittéroise. Cette tradition, il nous
faut aller la chercher en Orient dans une ancienne fête : le sacrifice
du chameau.
Tous les ans se pratiquait autrefois en Perse comme il se pratique
toujours de nos jours, le sacrifice du chameau. L'animal, donné par le
Roi, était confié aux habitants d'un quartier de la ville d'Ispahan.
Une famille a le privilège de le loger de nuit mais en journée, le
chameau est promené de par la cité, la tête entourée de guirlandes,
couvert de fleurs. On le présente à chaque maison riche et il obtient
des dons et offrandes. Malheureusement pour le camélidé, il finira par
être sacrifié la tête tournée vers la Mecque. Pour les musulmans,
Abraham sacrifia autrefois un chameau à la place de son fils, puis le
chameau fut remplacé par un mouton.
Le chevalier Chardin (1643-1713) (5) qui rapporte cette coutume précise que
le sacrifice eut lieu au tout début du mois de juin, jour de
l'ascension !
Tout porterait donc à penser que la fête du Chameau de Béziers ne soit
qu'une réminiscence de cette fête du sacrifice (6)
dans le Béziers musulman
du Moyen-âge. Bien que la ville ait peu été sous domination sarrasine,
cette fête marqua-t-elle les esprits au point d'être reprise au compte
de Saint Aphrodise ? Trop de point communs relient les deux
coutumes : le chameau, sa procession de maisons en maisons, les
offrandes, la peur qu'il déclenche lorsqu'il agite ses machoires, son
rapport aussi autrefois avec une galère ornée que les biterrois
associaient aux razzias sarrasines.
Riche légende que celle de ce bon Aphrodise !.
L'apôtre "zéro", fort d'avoir roulé sa bosse à travers tout le bassin
méditerranéen a finalement amarré son vaisseau du désert à Béziers en
conservant pour notre plus grand plaisir à travers son unique légende
bien des secrets ancestraux.
Christian Attard (juillet 2014)
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Saint Aphrodise, l'apôtre zéro sous le talentueux crayon de Jean-Claude Pertuzé aux éditions Loubatières.
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Notes et sources :
1-
Saint-Aphrodise et son église à travers les âges, par Coste. Béziers,
1899, in-8 et Saint Aphrodise, apôtre de Béziers, sa vie, son église,
son culte par un membre du comité catholique de Béziers et de la
société archéologique de la même ville en 1875.
2- Voir sur
ce
site
3- Voir ce site Franc-maçon qui
reprend mes recherches en ce domaine avec une douce ironie. Les
dictionnaires de symboles maçonniques n'ont pas encore intégré le
limaçon de leurs initiateurs mais cela viendra ...
4- Dans " l'Abbrege' chronologique, ou Extrait de l'Histoire de France. Volume 1 de François Eudes : de Mézeray Voir ici
5- Voyages de monsieur le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient, Amsterdam, Jean-Louis de Lorme, 1711. 6- Voir sur ce site la description de ces différents sacrifices.
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Retour vers la Reine |
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