Céleste tentation (1)







A main gauche, face au cœur dans le sanctuaire de Notre Dame de Marceille, on peut aujourd'hui encore, admirer un superbe tableau représentant "un moine en prière de Frédeau (1684)". C'est ainsi en tout cas que le décrit le petit feuillet distribué dans l'église. le document ne s'étend pas outre mesure et se garde bien de qualifier ou de nommer le moine en question.

Les monuments historiques sont eux un peu plus précis (2) :

Oeuvre exécutée par Ambroise Fredeau, frère lai (1589-1673). Date de protection : 1964/03/02 : classé au titre objet. Statut juridique : propriété d'une association diocésaine.
Seulement déjà se révèle une incohérence entre les uns et les autres car le tableau si on l'attribue dans Notre Dame de Marceille à un certain Frédeau ne peut avoir été peint en 1684 par Ambroise, mort en 1673 !
Et, on peut voir au bas du tableau,  hardiment "dépoussiéré" récemment, la signature de son auteur : non pas Ambroise mais Mathieu Frédeau !  Nos experts des monuments historiques ne savent-ils donc plus lire !!







La signature parfaitement authentique de Mathieu Frédeau 
qui a "échappé" aux experts des monuments historiques en 1964 
et retrouvée par MM. Garcia et Daffos




Comment les personnes chargées de l'inventaire du sanctuaire en 1964 ont-ils pu commettre une erreur pareille, d'autant qu'Ambroise Frédeau faisait précéder sa signature de Fra pour frère ! 




La signature d'Ambroise Frédeau sur son St Roch (1650) 




Et comme si les choses n'étaient pas encore assez compliquées, il se trouve qu'une gravure représentant le sanctuaire semble montrer une toute autre version de ce tableau ! 
Voici ce qu'en écrit Franck Daffos : " Le fait que le tableau ait bien été une représentation de Saint Augustin depuis son arrivée à la fin du XVIIème siècle dans le sanctuaire jusqu'aux grands travaux de remaniement dus à Gasc dans les années 1860 peut désormais parfaitement se prouver grâce à une lithographie des lieux par MM. Reynié et Certain datant de la première moitié du XIX siècle...(1)






Et page 93-94 de son même livre, il nous déclare qu'à l'origine le tableau était une tentation de St Antoine de Mathieu Frédeau que sur commande son frère Ambroise sacrifia pour le transformer en St Augustin ! Mais il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin dans les années 1860, c'est Henri Gasc, un prêtre peintre  à ses heures lui aussi,  qui en refait un St Antoine, toujours selon Franck Daffos.







Il y a de quoi en perdre son latin ! Ambroise ? Mathieu ? Augustin ? Antoine ? On ne sait vraiment plus à quel saint se vouer ! 

Aussi, peut-on essayer une autre approche : celle de considérer que notre illustrateur ( à droite) n'a fait que reproduire de manière assez maladroite ce que nous voyons partiellement encore aujourd'hui à travers de successives retouches sur la peinture (au-dessus). 
En effet, il nous semble bien que dans les deux cas notre moine tient un ouvrage entre ses mains, pose traditionnelle des "tentations" de David Téniers où le bon Saint Antoine est persécuté par le démon alors qu'il lit. Cette main sera retouchée...
L'autre main libre marque elle, une gestuelle typique de la stupeur, comme dans ce tableau de Francisco Ribalta peint en 1620 et représentant St François réconforté par un musicien céleste ( thème que reprendra en
1650 aussi Ambroise Frédeau). Mais aussi, même regard extatique et tourné vers un coin supérieur du tableau





Francisco Ribalta : 
St François réconforté par un musicien céleste

Mais si cette partie centrale peut retrouver dans nos deux versions quelques points communs ; c'est ailleurs que diffèrent le plus nos représentations, notamment dans cet angle de caverne en haut à droite.  

Le tableau semble donc bien avoir enduré une transformation qui d'une possible et traditionnelle tentation surprenant le moine dans sa lecture a glissé vers une extase plus divine. 

 






Le regard actuel, plus apaisé,  traduit beaucoup plus la vision d'une apparition angélique ou divine qu'une frayeur quelconque. La bouche est entrouverte marquant l'étonnement. 
Si le geste est celui de l'admiration (admiror), le regard celui de la contemplation abandonnée, comme celui de ces saints ci-dessous. 
Il en eut été  autrement pour représenter la frayeur : yeux exorbités, bouche ouverte, grimace de frayeur...








Le Guerchin : 
Sainte Palatiate, 1658




Le Dominiquin : 
Sainte Cécile, 1617

Franz Hall : 
Saint Jean,1625





C'est cette représentation qu'a admirée Henri Gasc lorsqu'il décrivait en 1876 : "un moine de l'ordre de St Antoine de Viennois, qui au milieu de la nuit, parait écouter un concert céleste."

Mais déjà, semble-t-il, le tableau avait été retouché, il n'est pas fait mention de peur, de tentation, mais de concert céleste. 
Or Henri Gasc nous précise : "parait écouter". Il ne peut donc qualifier la provenance possible de ce concert, comme dans le tableau de Ribalta ci-dessus, il ne peut dire un ange joue de la cithare, pourquoi ? Tout laisse supposer que le tableau, avant lui, avait déjà été maquillé pour faire disparaître la source de ce concert. 
Peut-être par simple rigorisme, peut-être parce que cette source était un indice quelconque... 
Quoiqu'il en soit, en lui ce tableau renferme la trace de ces multiples offenses et peut-être verrons nous un jour ré-apparaître nos anges musiciens, joueur de flûtes ou de harpe.

Christian Attard




Notes et sources :
(1) - Franck Daffos - Rennes-le-Château, le puzzle reconstitué - Éditions Pégase 2007
(2) - http://www.patrimoine-de-france.org/oeuvres/richesses-51-14840-106512-P181033-260768.html
Merci à Jean-Pierre Garcia, François Pous  à qui nous devons photos et découvertes nombreuses autour de ces images.




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